Imprimer

RUDOLF SCHWANDER : UN MAIRE HORS PAIR ! (23.12.1868 - 25.10.1950)

 

 

Le 1er décembre 2018, aux Archives Municipales Strasbourg et dans le cadre des commémorations de la fin du premier conflit mondial, ont été organisées une série de conférences sous le titre générique : « Rudolf Schwander, un maire en son temps ». Parmi les intervenants Alain Fontanel, Laurence Perry, François Uberfill, Léon Strauss… Cette conférence, qui mit en évidence son rôle essentiel dans le domaine de l’urbanisme et de l’action sociale à Strasbourg, est apparue comme une sorte de réhabilitation de celui qui avait été livré à la damnation mémorielle par les autorités françaises depuis son départ précipité de Strasbourg en 1918. Enfin, justice était rendue à cette très grande figure de la politique alsacienne du Reichsland qui, en plus, fut sans doute le plus remarquable des maires de la capitale alsacienne[1]. 

 

Durant le Reichsland

Né à Colmar le 23.12.1868, il est le fils d’Anne Barbe Schwander, couturière à Colmar. De notoriété publique, le père était Camille Schlumberger, maire de Colmar.

Après des études primaires « supérieures », à 15 ans, il entre dans les services municipaux de Colmar où il travaille au service d’aide sociale. Doué d’une intelligence remarquable, ce protestant de vieille souche alsacienne sera remarqué par ses supérieurs qui lui permettront de reprendre ses études à l’Université de Strassburg où il étudiera le droit (1897-1901). En 1900, il passe sa thèse de doctorat en sciences politiques. 

Ses études achevées, il rejoint l’équipe municipale du maire de Strassburg Otto Back et s’occupe du service de l’Assistance publique. Très tôt, il entre au parti libéral démocrate (Liberale-Fortschrittspartei).

En 1902, il est élu adjoint professionnel grâce aux voix des démocrates et des socialistes, parmi ces derniers, Jacques Peirotes. Repéré pour son dynamisme et ses qualités de gestionnaire, en 1906, après le départ à la retraite du maire Otto Back, il est porté par une coalition libérale-démocrate et socialiste à la tête de la mairie de Strassburg. Les milieux de droite craignaient sa politique sociale trop coûteuse. Plus tard, en 1912, il entrera à la Chambre haute du Landtag.

Schwander va se distinguer par sa bonne gestion des affaires de la ville, ses bons choix et ses réussites dans le domaine de l’urbanisme, ainsi que par sa fibre sociale très marquée. C’est lui qui mena avec succès la gigantesque opération de la « grande percée », de Saint Pierre le Vieux jusqu’à la rue des Francs-Bourgeois, en liaison avec l’opération de relogement en pavillons-jardins du Stockfeld[2]. Il a ainsi considérablement modernisé et assaini la ville. En agrandissant considérablement la surface bâtie, tout en remodelant et en assainissant la vieille ville, avec Otto Back qui oeuvra avant lui, il fit passer la ville d’un statut provincial à celui d’une capitale de Land : Strassburg qui comptait 85 000 habitants en 1870, en comptera 190 000 en 1914. 

C’est également à son initiative que Strassburg a élaboré un statut de l’employé municipal et inauguré une politique sociale moderne de la ville, avec l’assurance-chômage, un salaire minimum pour les entreprises travaillant pour la municipalité et la création d’un office du logement.

Durant la Grande-Guerre, Schwander a constamment cherché à protéger la population des méfaits de la guerre. C’est à lui que les Strasbourgeois devront d’avoir échappé à une terrible famine. L’organisation du ravitallement de la population fut si bien menée, qu’elle lui évita l’évacuation prévue par les militaires, auxquels Schwander ne cessa de s’opposer. 

 

Gouvernement constitutionnel Schwander – Hauss  (19 oct. 1918 – 11 nov. 1918)

En 1917, en pleine guerre, il devient secrétaire d’Etat au ministère impérial de l’Economie (Reichswirtschaftsamt).

Le 12 octobre 1918, il est promu Statthalter du Reichsland par le chancelier d’Empire prince Max von Baden avec pour mission de négocier la formation d’un gouvernement parlementaire, dans la perspective de détacher l’Alsace-Lorraine de l’Empire allemand et de l’élever au rang d’Etat souverain. Schwander confie cette mission et celle d’expédier les affaires courantes à Karl Hauss, un catholique alsacien intelligent et énergique, député au Reichstag et chef du Zentrum alsacien-lorrain. Le 19 octobre, le nouveau Staatssekretär (secrétaire d’Etat) Hauss accepte de former son ministère et convoque le Landtag pour le 3 novembre 1918. Cependant, ce dernier est miné par les divisions. Les élus alsaciens tergiversent et Hauss peine à former son gouvernement.

Jusqu’au bout Schwander tentera d’arracher au Bundesrat un maximum de libertés pour l’Alsace-lorraine pour la placer au rang d’Etat fédéral comme les autres. A cet effet, il adresse un projet de loi au Bundesrat pour faire évoluer la Constitution alsacienne-lorraine de 1911 dans ce sens. Il n’obtiendra gain de cause que le 25 octobre, après que le Reichstag, après le Bundesrat, eut voté la loi modifiant la constitution alsacienne de 1911 pour faire de l’Alsace-Lorraine le 26e Etat de plein droit de la Confédération germanique. Mais les évènements vont s’emballer.

Voyant qu’il est trop tard, Schwander se consacre alors, avec Karl Hauss, exclusivement à la préparation d’un plébiscite qu’il appelle de tous ses vœux et qui permettrait aux Alsaciens de se prononcer sur leur sort. Mais pour lui un plébiscite n’est envisageable que si les troupes françaises n’entrent pas en Alsace.

Désespéré et inquiet devant la détermination et l’impatience françaises d’entrer avec les troupes en Alsace, mais aussi par les subits retournements de veste de certains politiques alsaciens qui précédemment avaient toujours eu pour devise « l’Alsace aux Alsaciens », il déclarera encore le 2.11.1918 : « Il y a six semaines, j’avais encore l’espoir de mener à bien l’institution de l’autonomie. La réponse de Wilson montre que l’Alsace-Lorraine est abandonnée. Résultat : on ne peut plus exiger des partis qu’ils s’exposent (…) Je ne sais pas si la majorité ne votera pas pour la France. Un grand nombre d’intellectuels sont hostiles à l’incorporation à la France. Si les troupes de l’Entente entrent, tout est perdu ; les drapeaux bleu-blanc-rouge sortiront de toutes les maisons. Des troupes suisses seraient le dernier espoir ». En fin politique, il avait senti le vent tourner. Finalement Karl Hauss ne put mener à bien sa mission. Et le 11 novembre 1918, Schwander et Hauss remettaient leur démission.

 

Exilé en Allemagne pour échapper à l’expulsion

En novembre 1918, comprenant qu’il serait victime de la politique d’épuration des Français, pour échapper à l’humiliation d’une expulsion manu militari, comme ce sera le cas pour le président du Landtag le Dr Ricklin, Schwander quitte l’Alsace juste avant l’entrée des troupes françaises.

Exilé en Allemagne, resté profondément attaché à l’Alsace, il accepte d’assumer la présidence d’honneur du Hilfsbund der vertriebenen Elsass-Lothringer im Reich, ainsi que la présidence du Wissenschaftliches Institut der Elsass-Lothringer in dem Reich. En 1923, il adhére encore à l’Alt-Elsass-Lothringische Vereinigung.

Schwander continuera sa brillante carrière en Allemagne en devenant le Président Supérieur (Oberpräsident) du Land Hessen-Nassau de 1919 à 1930. Après sa retraite, il acceptera la présidence du Conseil de surveillance de la Societäts-Drückerei qui publiait le grand journal libéral Die Frankfurter Zeitung à Frankfurt-am-Main. Ce journal d’opposition publiait notamment des articles de René Schickele.

Quand le nazisme commença à monter en Allemagne, après avoir quitté ses fonctions dans la République de Weimar, il se retira complètement de la vie politique officielle : « Was kommt ist nicht Deutsch », prévenait-il dès 1933 à la rédaction de la Frankfurter Zeitung, faisant allusion à l’emprise nazie qui s’annonçait. Au sein de ce journal, qui sera interdit en 1938, il prit part à la lutte contre l’esprit et les agissements des nationaux-socialistes. Par la suite, il se tiendra toujours à l’écart du nazisme et de ses entreprises en Alsace-Lorraine. D’ailleurs, les nazis se méfiaient de lui au point qu’il dut attendre plusieurs mois l’autorisation de visiter sa Heimet. Cependant, sa qualité de président du Wissenschaftliches Institut der Elsass-Lothringer in dem Reich l’amena à assister à l’inauguration de l’université allemande de Strasbourg en novembre 1941, un fait qui lui sera toujours reproché par la suite par les milieux patriotes de Strasbourg.

Pendant la guerre, son seul rôle « officiel » fut d’assumer la liaison entre le Wissenschaftliches Institut der Elsass-Lothringer et l’université de Strasbourg.

En 1948, le gouvernement du land de Hesse eut encore recours à lui comme expert dans une commission ministérielle chargée d'élaborer une réforme de l'administration.

Il décèdera le 25 octobre 1950 à Oberursel près de Frankfurt. A Kassel, en Allemagne, une grande artère porte son nom pour honorer sa mémoire. Mais à Strasbourg, ce n’est que ces dernières années qu’on lui consacra une rue dans un quartier excentré de la ville, pompeusement baptisée « allée Rudolf Schwander », qui va de l’avenue du Rhin au quai du Bassin Dusuzeau. Justice lui était ainsi partiellement rendue !

Bernard Wittmann – 27.2.2019

 

Ce petit chemin envahi de mauvaises herbes et pompeusement baptisé "Allée Rudolf Schwander" marque bien le mépris que témoignent les édiles strasbourgeois à celui qui fut sans doute le plus grand maire de la ville.

 

[1] A consulter : Ady-Maria Schwander, Rudolf Schwander – maire de 1906 à 1918, éd. Culture et Bilinguisme, Strasbourg, 2001.

[2] NDBA 1999, cahier N°34, p.3568.