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A propos de l'érection de la statue de Reimbold Liebenzeller

 

 

Trois pages tirées de la chronique de Closener pour expliquer la bataille d'Oberhausbergen en 1262 (voir ci-après) et quelques réflexions sur la statue de Reimbold Liebenzeller érigée place des Tripiers et inaugurée le 16 avril 2019.

Cette bataille fut évidemment très importante pour Strassburgpuisqu'elle a permis à la ville de se libérer de la domination épiscopale et de gagner son autonomie. L'idée d'ériger un monument à la mémoire d'un de ceux qui permirent cette victoire est donc plutôt une bonne idée dont il faut féliciter la mairie. Cependant, il faut préciser que Liebenzeller ne fut pas le seul héros de cette journée historique. D'autres comme les sires Zorn, Kuchenmeister, Ache ou Eckwersheim mériteraient tout autant d'être honorés. Pourquoi occulter leurs noms et n'en retenir qu'un seul ?? 

La victoire d'Oberhausbergen aura permis à la ville de Strassburgd’accéder au rang de « ville libre impériale », soit un statut d’Etat au sein du Saint Empire. Il n’y avait dorénavant plus de seigneur entre elle et l’Empire.

Aussi, les bourgeois et les artisans révoltés de Strassburg feront-t-ils des émules dans les autres villes, tout autant éprises de ces libertés attachées à l’immédiateté d’Empire. 

Mais certains historiens tirent une tout autre conclusion de cet évènement. Pour eux, cette victoire ruinait dans le même temps l’espoir d’une unification de l’Alsace. En effet, l’évêque Walther von Geroldseck, seigneur le plus puissant du pays, possessionné en Basse- et Haute-Alsace ainsi que sur la rive droite du Rhin, voulait fonder une grande principauté épiscopale alsacienne autour de laquelle auraient pu s’agréger les autres petites souverainetés. Cet ensemble, une fois uni, aurait pu évoluer ensuite vers un Etat alsacien indépendant et puissant. L’échec de l’évêque aurait donc, indirectement, favorisé la fragmentation ultérieure de l’Alsace... et facilité du même coup l'annexion française au XVIIe siècle !

Cependant, même si ces arguments se tiennent, on peut néanmoins objecter que, chaque évêque venant d’une autre famille, ceux qui allaient succéder à Walter von Geroldseck n’allaient pas forcément décider de continuer sa politique. Par ailleurs, lors de la tentative de l’évêque de soumettre à son pouvoir la Basse, puis la Haute-Alsace, il se heurta partout à une violente opposition, à commencer à celle des comtes de Habsburg. Il aurait donc été très difficile aux évêques de mener à bien ce plan. Seuls les Hohenstaufen pouvaient réaliser cette union, d’ailleurs ils en avaient la volonté, mais leurs territoires étaient trop disséminés. 

Reste la plaque commémorative :

Celle-ci est entièrement en français, une langue qu’ignorait pourtant Liebenzeller. Une plaque bilingue aurait été une occasion unique d’honorer la langue historique de l’Alsace, celle de nos aïeux…et, du même coup, de respecter la vérité historique. Les révoltés étaient allés à la bataille en lançant le cri : « Für Ehre und Freiheit » (formule plus sobre... un uf Ditsch) ! Mais en Alsace, tout est toujours fait à moitié et dès que nos édiles se mêlent d’histoire ou de culture alsaciennes, immédiatement ils les « folklorisent » ou les instrumentalisent !

Une erreur grossière :

Et puis, on peut relever une erreur grossière : Liebenzeller « Père de la République de Strasbourg » ! Or, après la victoire d'Oberhausbergen, on ne peut parler que de la « ville libre de Strassburg » (Freie Reichsstadt Strassburg)… la république viendra bien plus tard !! Un ami, médiéviste allemand, m’a écrit à ce propos : « Dem Mittelalter waren Begriffe wie « Republik » und « Staat » gänzlich unbekannt ». En effet, ce n’est qu’à partir du XVe siècle, au temps des premiers Humanistes, alors qu’on découvrait les sources antiques et qu’on lut chez Cicéron et Livius l’expression « res publica », que certaines villes d’Empire se qualifièrent de « respublicae » et encore, uniquement dans les documents et textes en latin, pas en allemand. Ajoutons encore à la marge que Liebenzeller ne s’appelait pas Reimbold, mais en réalité Reinbold. Quel bricolage !!

Lors de l’inauguration de la statue de Reimbold Liebenzeller le 16 avril 2019, dans son allocution, le maire Roland Ries n’a pas prononcé une seule phrase, pas un mot, dans la langue du héros qu’on honorait et de sa patrie. Honorer la langue de Liebenzeller lui-même, eût été la moindre des choses et des politesses ! Lamentable, une véritable opération de mystification !

Curieusement, quand commença la cérémonie, un immense drapeau européen voilait la statue. Pourquoi ce choix ? Un rot un wiss aux antiques couleurs de la « Freie Reichsstadt Strassburg » n’aurait-il pas eu infiniment plus de gueule… et de légitimité ? (d’ailleurs, quel est le rapport entre l’Union Européenne et le brave Liebenzeller ?).

Bernard Wittmann (18.4.2019)

 

Note documentaire sommaire : En 1262, n’étant pas une cité impériale, Strassburg accède alors au statut de ville libre quasi indépendante dans l’empire, à l’instar de Köln, Worms, Regensburg (Ratisbonne). En 1273, c’est Rudolf von Habsburg (1273 à 1291), l’ancien général en chef des milices strasbourgeoises devenu empereur (non couronné par le pape) qui confirma tous les privilèges de la ville, affranchit ses citoyens de toute juridiction étrangère et les dispensa d’un impôt qu’ils avaient à payer aux empereurs. En 1262, il n’était donc pas encore question de « République » (on ne pourra parler de « République » qu'à partir du Schwoerbrief (1413) qui donnait une constitution à la ville… et encore)!

 

 

 

(source : Sous la direct. de Ph. Dollinger, Documents de l’Histoire de l’Alsace, éd. Privat, 1972, p.p. 148 à 150)