Jean KEPPI [1]

 

Jean Keppi (26.11.1888 - 19.2.1967) :

théoricien de l’autonomisme, démocrate, chrétien et antinazi.

 

 

Jean Keppi (4.4.1950) 

 

Naissance et première jeunesse

Fils de Jean Keppi, boulanger à Mülhausen, et de Philomène Jermann, tous deux natifs de Steinsulz (respectivement en 1860 et 1859), Jean Keppi est né le 26 novembre 1888 à Mülhausen dans une famille catholique très pratiquante.

Avec son frère cadet Gustave, il passe sa jeunesse à Mülhausen-Dornach où il fréquente l’école primaire. A l’issue de ses études secondaires, il passe 6 mois au Lehrerseminar (Ecole normale d’instituteurs) à Colmar, puis entre à l’Oberrealschule de Mülhausen.

De 1909 à 1913, Jean Keppi étudie l’économie politique et le droit public, d’abord à l’Université de Strasbourg, puis à celle de Zürich.

Etudiant, il est membre de l’Erwinia, une corporation étudiante catholique, où il fait la connaissance de l’abbé Joseph Brauner, de l’avocat Julien Kraeling, de Charles Moschenross de Haguenau, de Mgr Clément Scherer et du Dr Joseph Oster.

 

 

Keppi portant la tenue des étudiants de la Erwinia (vers 1910)

 

Son mariage avec Rose Ettlin, née à Allschwill / Suisse, est célébré le 21.11.1914 à Dornach. Cinq enfants naîtront de cette union : Hélène, Jean, Charles, Anne-Marie et Marguerite.

Un esprit lucide et cultivé

Réputé pour sa droiture, il est décrit par ses amis comme un personnage fort, courageux et travailleur, un esprit lucide et cultivé doté d’une solide capacité d’analyse et de synthèse des situations : « (c’est) un administrateur remarquable et un cerveau politique de premier ordre », dira de lui l’hebdomadaire La Vie Catholique (3.3.1928).

Grand démocrate, européen, hostile aux nationalismes agressifs et à toute autre forme de haine et de discrimination, il témoignera toujours d’un attachement indéfectible tant à la religion catholique qu’à sa Heimet, sa terre natale.

Son engagement alsacien et autonomiste

Pour Jean Keppi, l’amour de l’Alsace passe avant tout autre. C’est pourquoi, il lui a tout sacrifié en luttant sans relâche pour la préservation de son identité, de sa langue et de ses droits à la différence. Toutefois, son engagement en faveur de son émancipation et d’une politique permettant aux Alsaciens d’être associés à la gestion de leur pays, ne l’empêche nullement d’accepter le cadre national. Il pense simplement que toutes les régions doivent pouvoir adapter à leurs mentalités les dispositions étatiques, comme c’est le cas dans les pays fédéraux : au modèle centralisé français, Keppi préfère le modèle pluriel fédéraliste fondé sur les autonomies régionales. Pour lui, l’autonomie est un impératif vital pour l’Alsace mais aussi pour la démocratie, les deux étant indissociables !

Ses idées sociales 

Préoccupé par la condition ouvrière, il milite en faveur du progrès social, du renforcement des liens sociaux et de l’élévation du peuple par l’éducation et la culture, clés de l’émancipation.

En 1909, il engage une correspondance avec le prêtre Carl Sonnenschein, fondateur du Secrétariat social étudiant de Mönchengladbach.

En 1910, il prend l’initiative d’organiser à Mulhouse des cours de vacances dispensés par des étudiants.

En 1912, il séjourne à Mönchengladbach, haut lieu du catholicisme social, qui contribue à l’orientation de ses préoccupations vers le peuple.

Keppi est favorable au remplacement du capitalisme et du libéralisme par un socialisme chrétien.

  

Durant le Reichsland (1871-1918)

 

A partir 1911, Keppi participe activement à la vie du Zentrum alsacien-lorrain que préside Charles Hauss. Aux élections du Landtag, en octobre 1911, il fait campagne pour le candidat du Zentrum, l’universitaire catholique Martin Spahn.

Dès 1912, il écrit divers articles dans l’Elsässer et incite les étudiants à participer à la vie politique. En 1913, il publie encore un ouvrage de référence sur la presse en Alsace : « Die Zeitungen Elsass-Lothringens – eine statistische Studie » où il déplore la faiblesse de la presse catholique.

Pacifiste, opposé aux nationalismes et à la guerre, la même année, il se mobilise pour la paix.

Le 1er avril 1913, à 25 ans, Keppi est chargé de l’organisation du Zentrum dont il devient peu après, le 10 mai 1913, le secrétaire permanent. Là, il fréquente les grands noms du centrisme alsacien : Xavier Haegy, Eugène Muller, Georges Gromer, Eugène Ricklin, Charles Hauss, Joseph Brom, Médard Brogly, Thomas Seltz… En mai 1913, devant la menace de guerre, le Zentrum envoie le Dr Ricklin à la conférence interparlementaire franco-allemande de la paix de Berne.

Membre de l’aile gauche du parti, il crée de nombreuses sections locales ainsi que l’organe de liaison, l’Elsass-Lothringer Zentrumskorrespondenz.

Lorsqu’éclate « l’Affaire de Saverne »[2] (nov.1913), Keppi, qui a toujours exprimé son aversion pour le militarisme allemand, organise de nombreuses manifestations de protestation. Sur 150 réunions tenues, il est le rapporteur dans une centaine d’entre elles.

Son attitude de fronde lui vaut des perquisitions domiciliaires ainsi qu’un ordre d’arrestation… qui ne peut être exécuté car il a déjà été mobilisé dès août 1914 dans un bataillon de travailleurs de l’armée impériale. D’abord soldat dans l’infanterie et au train, il termine la guerre comme lieutenant sur le front Ouest.

 

 

Mi-avril 1918 – J. Keppi assis au bureau

 

Retour à la République jacobine

 

A peine entrés dans le pays, confortés par la victoire, leur immense empire colonial et la puissance de leur armée, la première du monde, les Français affichent immédiatement la prétention narcissique de leur supériorité culturelle. Par ailleurs, ils mettent tout en œuvre pour éviter un plébiscite. Les fêtes grandioses de la « Libération », qui vont s’étaler sur plusieurs semaines, sont organisées pour servir ce dessein.

 

C’est qu’à Paris, on n’a qu’une obsession : assimiler pour unifier ! Aussi, très vite, avec le retour du centralisme français, l’Alsace se retrouve-t-elle de nouveau éclatée en deux départements !

Pour « débochiser » l’Alsace-Lorraine et tourner rapidement la page du Reichsland, une politique de « normalisation » drastique est mise en route sans tarder :

- La constitution alsacienne et le Nationalrat sont tout simplement ignorés.

- Un filet de mouchards est étendu sur le pays pour débusquer les germanophiles alsaciens.

- Une impitoyable politique d’épuration ethnique[3], avec l’établissement de cartes d’identité ethniques, est mise en œuvre dès l’entrée des troupes françaises en Alsace : la chasse aux « indésirables » est lancée pour expulser du pays les Alt-Deutschen et les Alsaciens germanophiles qualifiés de « bochophiles » ; de 130 000 à 150 000 d’entre eux sont contraints de quitter le pays manu militari.

- La période allemande est systématiquement dénigrée, l’histoire du Reichsland étant réduite à la « trique prussienne ».

- Une politique de francisation à outrance est lancée : la langue allemande est frappée du mépris et traitée en langue étrangère. Le français est imposé partout, en premier lieu à l’école où la « méthode directe » du français monopolistique est introduite sans tarder. Dès lors, sa connaissance conditionnera toutes les carrières, ce qui aura pour conséquence directe de favoriser l’accès aux commandes du pays de la bourgeoise déracinée. 

Notons que toute cette politique est appliquée par la France, avant même la signature du traité de paix intervenu le 28 juin 1919, en pleine illégalité.

Pour Keppi et la plupart des Alsaciens, c’est la douche froide

Il y a d’abord la politique d’ostracisation de la Muttersprache qui heurte profondément Keppi. En effet, pour l’écrasante majorité des Alsaciens le français est alors une langue étrangère. Le malaise qui s’installe en Alsace est donc d’abord linguistique.

Et puis, les Français font l’erreur d’ignorer que l’Alsace de 1918 n’est plus celle de 1870 : la protestation est éteinte depuis fort longtemps et la France n’est plus alors qu’un souvenir. Pour preuve : en 1911 tous les partis francophiles coalisés n’avaient remporté que 3,2% des suffrages ! Et, en 1914, quand la guerre menaçait, les Alsaciens étaient résolument pour la paix et donc le statu quo. De même, avant novembre 1918, diverses tendances politiques s’étaient affirmées au sein du Reichsland. Toutes visaient l’émancipation de l’Alsace en préconisant soit un statut de pleine autonomie, soit l’avènement d’un Etat fédéral alsacien-lorrain doté des instruments de la souveraineté, mais associé à l’Empire. Par ailleurs, à partir de septembre/octobre 1918 un mouvement neutraliste monte en puissance quand la France prend le dessus. Seule une minorité marque alors sa préférence pour un retour à la France.

Déceptions à la chaine dès 1918/19

Rapidement, les Alsaciens se trouvent confrontés à une arrivée massive de fonctionnaires coloniaux, mieux payés que leurs homologues alsaciens, et qui vont occuper partout les postes de commandement. Leur arrogance exaspère la population. A cela viennent s’ajouter une profonde méconnaissance des problèmes alsaciens et surtout le retour du système jacobin et de ses lourdeurs administratives, de la franc-maçonnerie et de l’anticléricalisme français.

C’est ainsi que les Alsaciens prennent progressivement conscience que les promesses solennelles de respect des particularismes alsaciens émises par les plus hautes personnalités politiques et militaires françaises, comme le maréchal Joffre à Thann le 24 novembre 1914[4] ou le Président de la République Raymond Poincaré à St-Amarin le 11 février 1915[5], ne seront pas honorées : ils comprennent que le « pacte de Thann de 1914 » ne sera pas tenu !

 

 

Le « pacte de Thann » : promesse solennelle faite par le général Joffre (il n’était pas encore maréchal) aux Alsaciens le 24.11.1914 à Thann.

 

Leur déception est évidemment grande et beaucoup se rendent compte de la profonde cassure qui sépare les deux peuples : « Bientôt, lorsque le long cortège des festivités laissa la place à la réalité, lorsque notre allégresse s'effaça devant notre vision critique des choses, nous prîmes conscience, d’abord avec effroi puis de plus en plus avec résignation, que spirituellement nous n’étions plus des Français, ou du moins pas des Français d’aujourd’hui », écrit le Conseiller général de Wissembourg Edmond Herber[6].

Co-fondateur de l’UPR / Volkspartei

Après l’armistice, Jean Keppi participe à la création de l’Union Populaire Républicaine d’Alsace (UPRA)[7], communément appelée Volkspartei. Elle est l’héritière de l’ancien Zentrum alsacien-lorrain.

C’est ainsi que le 13 février 1919, après une réunion de 250 délégués venus de toute l’Alsace, est décidée la création d’un « Comité provisoire ». Le Dr Pfleger en sera le président et Jean Keppi le secrétaire général, ce qui lui permettra de prendre une part active à la rédaction du programme. Le 9 août 1919, le parti est officiellement lancé.

Cependant, dès l’élaboration du programme, des tendances divergentes apparaissent entre les éléments nationalistes, l’aile droite bourgeoise anti-sociale soutenue par Paris, et les autonomisants, l’aile gauche plus progressiste, les plus nombreux. Keppi rejoint l’aile gauche et prend l’initiative de créer la Correspondance populaire, l’organe du parti.

Par la suite, l’UPR deviendra le parti le plus puissant d’Alsace (9 députés sur 16 dès 1919) et comptera plus de 14 000 adhérents dans les années 20. 

D’emblée, dans son combat pour l’Alsace, Keppi se montre hostile aux notables qui se détournent du Volkstum dont la langue est le ferment. Pour lui, en freinant constamment sur les nécessaires avancées sociales et en montrant volontiers du dédain pour la « bocherie du plébéien », la bourgeoisie alsacienne et la caste des notables francisés signent leur déchéance politique : « L’activité de Jean Keppi a été profondément marquée par l’influence du catholicisme politique et social de Mönchengladbach. Il en garde le souci d’un parti populaire, d’une Volkspartei qui agit par et pour le peuple alsacien. Il est profondément démocrate et hostile à l’influence des notables, dont il estime qu’ils ont perdu leurs racines populaires », écrit Christian Baechler.

Keppi affronte les nationaux du parti.

Dans un article célèbre de la Correspondance populaire (13 mai 1919) titré « Weg mit dem Ballast », il s’en prend aux notables du parti acquis à la politique d’assimilation du gouvernement, qu’il combat, en visant tout particulièrement Wetterlé et Laugel[8], tous deux membres du Conseil Supérieur d’Alsace-Lorraine créé le 26 novembre 1918 : « Ils ne possèdent aucune valeur représentative. De par leur milieu bourgeois francisé et culturellement déraciné du Volkstum, Laugel et Wetterlé sont des indésirables au parti (…) ils sont foncièrement incapables de défendre le programme de la Volkspartei (UPR) (…) au Conseil Supérieur n’ont-ils pas des positions linguistiques contraires au parti et ne sont-ils point favorables à la destruction de la langue naturelle en Alsace-Lorraine au profit d’une langue étrangère au Volkstum ? Ni Laugel ni Wetterlé ne comprennent rien à la régionalisation ; ils ne comprennent rien aux problèmes socio-économiques et ils sont entièrement coupés des couches laborieuses de notre peuple (…) Nous ne sommes point un parti de militaristes, d’annexionnistes et de bourgeois anti-sociaux, nous sommes le parti de la démocratie chrétienne et sociale (…) Une partie de nos pseudo-représentants au Conseil Supérieur ne peut en faire partie ».

En octobre 1919, excédé par les vives attaques de l’aile bourgeoise, Keppi donne sa démission de secrétaire général.

Ses autres engagements

Au sein de l’UPR, Keppi œuvre à l’intégration des organisations et des syndicats chrétiens français en Alsace. Il organise des rencontres et des conférences avec délégués CFTC et fait de la propagande pour les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes.

Il participe également à la création du Cercle Ozanam qui veut promouvoir le catholicisme social républicain et réclamait plus de justice sociale en rejetant le libéralisme économique.

Par la suite, en février 1926, avec Michel Walter, il crée le Cercle universitaire Alsatia acquis aux thèses autonomistes. Parmi les membres les plus actifs, citons le philosophe Raymond Klée[9], Paul Wach futur sénateur et l’abbé Joseph Brauner.

 

 

6-7 août 1921 : concours international des gymnastes catholiques.

Keppi est à l’extrême droite de la photo.

 

Adjoint au maire de Strasbourg (1919-1922)

De novembre 1919 à juin 1922, Keppi, élu sur une liste de coalition, est adjoint au maire socialiste de Strasbourg, Jacques Peirotes. Ce sera là son seul mandat politique.

A la mairie, il s’occupe d’actions touchant au domaine social (exposition sur l’hygiène et la prévoyance) et rédige plusieurs rapports importants. Parmi ceux-ci figure celui sur la Crise du logement à Strasbourg où il constate que l’amélioration du marché du logement, escomptée suite aux expulsions des Alt-Deutschen, ne s’est pas produite. Et d’en donner les causes : « L’afflux important de familles venues de l’intérieur de la France, auquel n’équivalut pas l’émigration des familles allemandes, a contribué en première ligne à empêcher la solution de la crise », note Keppi (la population de Strasbourg passe de 140 000 âmes en 1917, à 160 000 en janvier 1919, soit + 14% en 2 ans, et ceci en dépit du départ massif des Allemands). Dans son action, l’hygiène des habitants et la prévoyance sociale, lui tinrent toujours particulièrement à cœur.

 « Esprit vaste et précis, Keppi avait merveilleusement agencé les rouages de l’UPR, le parti politique dont il était le Secrétaire général et qu’il devait conduire aux succès électoraux de 1919. A ce moment-là, lui-même entra au Conseil municipal de Strasbourg et fut adjoint au maire, fonction dans l’exercice de laquelle il fit preuve des plus rares qualités d’administrateur, hardiesse et prudence, énergie et méthode », écrit en 1926 le dirigeant national de la CFTC Gaston Tessier.

Secrétaire général de la ville de Haguenau (1922-1936)

A partir de 1922, les autonomistes se renforcent. Parallèlement, plombée par le mécontentement de la population, l’influence des « nationaux » régresse. C’est ce moment que choisit Keppi pour démissionner de son poste d’adjoint au maire de Strasbourg et accepter le poste de Secrétaire général de la ville de Haguenau, où il avait de nombreux amis, fonction qu’il occupera de juillet 1922 à décembre 1936.

A Haguenau, il continue inlassablement d’affronter les notables. L’« affaire Geissenberger », personnage très connu dans la cité, patriote flamboyant et co-fondateur du Souvenir Français à Haguenau, en est une parfaite illustration. Au vin d’honneur organisé à la mairie à l’occasion du 14 juillet 1924, ce dernier fit un esclandre en s’écriant qu’« il y a trop d’individus hostiles à la France dans la salle », avant de se lancer dans une harangue et de s’en prendre aux catholiques. Immédiatement, Keppi l’interrompit dans son élan en lui lançant vertement, sans se départir de son calme habituel : « M. Geissenberger, nous ne sommes pas ici dans un meeting électoral ». Toute la presse locale se fit l’écho de cette « affaire »! 

Déclaration de Herriot (17.6.1924)

L’arrogance et le chauvinisme des vainqueurs ignorant la Constitution de 1911 et pratiquant le nettoyage ethnique, leur mépris pour le particularisme alsacien et la langue allemande ainsi que la politique d’assimilation, choquent profondément Keppi. En effet, il est alors communément admis que la langue est l’âme du peuple voire sa vraie patrie.

Le retour du centralisme français va achever de le convaincre de la nécessité d’arracher l’Alsace des griffes des jacobins de Paris. Pour lui, les Alsaciens doivent avoir, au sein du cadre français, la possibilité de s’administrer, de choisir et d’agir librement : ce sont des « droits naturels » de tout peuple ! 

En Alsace, la déclaration du 17 janvier 1924 du président du Conseil Edouard Herriot met le feu aux poudres. Celui-ci veut l’introduction de la totalité de la législation républicaine en Alsace, dont les lois laïques. Là, la mesure est comble : l’Alsace tout entière proteste et se mobilise ! Les manifestations monstres se succèdent. Ainsi, le 20 juillet 1924, une manifestation, place Kléber, rassemble 50 000 personnes. Et, le 16 mars 1925, a lieu une grève scolaire accompagnée d’un référendum. Keppi est parmi les organisateurs de ces actions.

Les Alsaciens se rebiffent. Nombre d’entre eux pensent à présent qu’il faut en finir avec la dictature et les oukases parisiens. Beaucoup sont convaincus que l’Alsace ne pourra jamais se faire entendre à Paris : minoritaire, elle sera toujours soumise à la loi du plus grand nombre. Une idée se répand alors comme une traînée de poudre : il faut un statut spécial à l’Alsace, comme sous le Reichsland. Les libertés que les Allemands nous ont concédées, les Français ne pourront nous les refuser, pense-t-on en Alsace. Par ailleurs, beaucoup estiment que l’enseignement de la langue et l’autogestion sont des droits naturels donc inaliénables pour tout peuple.

Fort heureusement, le 10 avril 1925 voit la chute du cabinet Herriot. Le 21 avril Paul Painlevé, son successeur, met fin au conflit.

Le malaise s’ancre.

Pour les Alsaciens, les motifs d’insatisfaction sont en effet nombreux :

- La pagaille française, les passe-droits et  la corruption exaspèrent nombre d’Alsaciens : « Tout a l’air pourri jusqu’aux os dans ce pays. Pour arriver à quelques résultats, il faut employer des moyens dont nous n’avons jamais eu l’habitude, c’est-à-dire qu’il faut, ou bien acheter les employés, ou bien avoir des protections », écrit le viticulteur Emile Hugel[10].

- Les problèmes économiques s’aggravent : marasme économique, crise du chômage, inflation ; la reconstruction tarde…

- Le mécontentement des fonctionnaires alsaciens, dont le salaire est en moyenne inférieur de 30% à celui d’un fonctionnaire venu de l’intérieur, ne cesse de s’accroître ; à cela s’ajoute la « mentalité guerrière » et « psychose du vainqueur » (dixit Edmond Herber) des fonctionnaires français.

- Il apparaît que la jurisprudence et le droit allemands sont supérieurs à ceux de la France.

- Les Alsaciens sont surimposés : aux impôts locaux de l’ex-Reichsland, qui sont maintenus, s’ajoutent de nouveaux impôts d’Etat.

- Les magouilles liées aux séquestres se multiplient et conduisent à de gros scandales comme celui de la Maison Rouge, vendue 200 000 frs par son propriétaire allemand, mis sous pression et menacé d’expulsion, et revendue quelques semaines plus tard pour 2 400 000 frs.

- Enfin, dans le domaine linguistique, au refus des Français d’instaurer un bilinguisme scolaire, vient s’ajouter le chauvinisme linguistique des fonctionnaires français qui refusent d’apprendre la langue de leurs administrés, etc.

Partout, la cote de la France s’effondre !

 

Keppi artisan du Heimatbund

 

Les Heimatrechtler commencent à faire entendre leur voix.

Beaucoup partagent à présent l’idée que les Alsaciens forment une minorité et que, partant de là, ils doivent avoir la possibilité d’apprendre leur langue à l’école et de refuser d’appliquer une loi votée à Paris si elle n’est pas plébiscitée au niveau régional : ils parlent de droits naturels ! Ainsi germe l’idée d’un pacte d’entente entre les défenseurs, tous partis confondus, des droits de la Heimat : on les appellera les Heimatrechtler, les gardiens du temple de l’âme alsacienne.

L’Alsace entre alors en effervescence et dans les journaux de la Heimatbewegung, les thèmes du Volkstum, des Heimatrechte et de la Muttersprache vont alors occuper les éditoriaux.

En mai 1925 est créée la Zukunft qui sera la voix du refus alsacien. Son succès est foudroyant : 500 exemplaires au premier tirage, 45 000 à l’été 1927. Keppi dira être venu à l’autonomisme en lisant la Zukunft.

 

1924 : le « droit local » est rendu permanent

Première victoire des Heimatrechtler contre l’Etat jacobin : 2 lois du 24 juin 1924 rendent permanentes les dispositions du droit local. Les Nazis le supprimeront mais il sera remis en vigueur après la guerre (ordonnance 15 septembre 1945).

 

Keppi co-fondateur du Heimatbund (1926)

Après la déclaration de Herriot, à l’instar de ses amis Rossé, Brogly ou des abbés Gromer et Zemb, Keppi entre en résistance et s’engage aux côtés des Heimatrechtler.

C’est ainsi qu’il sera un des principaux artisans du Heimatbund. Il en deviendra le Secrétaire général, le Dr Ricklin assumant la présidence, et le co-rédacteur du Manifeste (5.6.1926) - signé par 102 personnalités - qu’il a largement inspiré en rédigeant le projet initial.

Le manifeste prône l’union, la neutralité religieuse et appelle les Alsaciens-Lorrains à lutter pour les droits de la « minorité nationale alsacienne-lorraine » et l’autonomie, sur le modèle de celle d’avant 1918.

Les grandes lignes de la doctrine politique du Heimatbund peuvent se résumer ainsi :  

-       neutralité en matière religieuse ;

-       lutte pour les droits de la « minorité nationale alsacienne-lorraine »;

-       autonomie administrative et législative pour le « Land Elsass-Lothringen » dans le cadre de la France (assemblée avec pouvoir exécutif);

-       reconnaissance de la langue régionale dans la vie publique avec un statut de co-officialité (justice, administration, tribunaux…) ;

-       la langue étant l’âme du peuple, l’allemand doit être enseigné dès les premières années de la scolarité jusqu’à la fin des cycles d’enseignement :

« Nous exigeons que la langue allemande prenne dans la vie publique de notre pays le rang qui lui revient comme langue maternelle de la majeure partie de notre peuple et en tant qu’une des premières langues de culture du monde. A l’école elle doit être le point de départ et le véhicule permanent de l’enseignement en même temps qu’une matière d’enseignement avec examen terminal. Dans l’administration et devant les tribunaux, on doit lui accorder la même considération qu’à la langue française.

Notre enseignement primaire, secondaire et supérieur, et toutes nos autres institutions pédagogiques et intellectuelles, seront, dans toutes leurs branches, réglés et organisés, non selon les oukazes du pouvoir central de Paris mais par notre futur Parlement, en conformité avec le caractère original et le niveau intellectuel du peuple alsacien-lorrain, en plein accord avec le droit des parents et avec le corps enseignant ».

-       Pour la paix et la collaboration internationale, la réconciliation entre la France et l’Allemagne et contre le chauvinisme, l’impérialisme, le militarisme.

-       Une politique orientée vers plus de justice sociale. 

Dès la publication du manifeste, les Heimatbündler doivent faire face à une véritable levée de boucliers et des torrents de calomnies. Les « Nationaux » de tous bords et les groupements patriotiques se déchaînent littéralement contre eux. Le Temps et L’Echo de Paris réclament des « mesures d’exception contre les autonomistes » : « Avec ces gens-là on ne discute pas » !

Les Loges s’activent également pour les mettre en échec. Dans un Convent de 1923, le GOF n’avait-il pas demandé la fin du régime concordataire, l’introduction du régime scolaire laïc, la suppression du Commissariat général aux affaires d’Alsace et de Lorraine à Strasbourg, le transfert de tous les pouvoirs du Commissaire général aux préfets ?

Le Heimatbund répondra aux attaques par un tract signé Ricklin (président) et Keppi (secrétaire général). 

Sanction des signataires… Keppi acquitté

Le 11 juin 1926, Pierre Laval, ministre de la Justice, au motif que le Manifeste du Heimatbund « par les termes employés et son esprit cherche à porter atteinte à l’unité nationale », décide d’infliger une série de sanctions aux signataires du manifeste.

- maires, fonctionnaires d’Etat, employés municipaux sont suspendus et déférés devant les instances disciplinaires professionnelles (car il n’y avait pas en France de loi qui permette à un tribunal de condamner l’autonomisme) ;

- fonctionnaires et cheminots sont suspendus sur le champ (30 fonctionnaires sont touchés dont l’instituteur Joseph Rossé et le cheminot Marcel Sturmel), etc.

Aussi, le 16 juin 1926, le préfet adresse-t-il une lettre au maire de Haguenau pour le prier de lui faire connaître les sanctions prises contre Jean Keppi. Le 22 juin, celui-ci réunit le Conseil de discipline qui finit par conclure qu’« il n’y a aucune raison justifiée de prendre des mesures disciplinaires contre M. Keppi »… qui est acquitté !

Der blutige Sonntag

Peu après, une manifestation de protestation contre les sanctions est organisée à Colmar conjointement par les Heimatbündler, la section colmarienne de la Volkspartei et les communistes et ce pour le dimanche 22 août 1926. Elle aboutit au tristement célèbre « blutige Sonntag von Colmar » : les manifestants autonomistes et communistes tombèrent dans un guet-apens tendu par le préfet Henri Gasser, de connivence avec des commandos armés formés de « patriotes » et de fascistes du Faisceau des Combattants. Cette agression sanglante se déroula devant les gendarmes qui limitèrent leur intervention à l’arrestation des autonomistes qui pourtant manifestaient en toute légalité. Elle se solda par une soixantaine de blessés, plus ou moins graves, dont le Dr Ricklin. On compta également plusieurs dizaines d’arrestations dont le frère de Jean Keppi, Gustave.

Le lynchage continue

En dépit des sanctions, les vives attaques des « nationaux » de tous bords, qui parlent de « complot  boche », ne faiblissent pas. Keppi et Ricklin répondent alors point par point aux attaques dans un nouveau communiqué publié par la presse (Heimat juillet 1926). De son côté, l’abbé Haegy vole au secours des Heimatbündler et qualifie les sanctions de « fautes psychologiques » (Heimat juillet 1926).  

Le Parti catholique est alors déchiré entre l’aile bourgeoise des « nationaux » et l’aile gauche des régionalistes/autonomistes où le trio Keppi, Rossé, Gromer joue un rôle déterminant.

A partir de là, les positions vont se durcir.

Mis sous pression au sein de son parti, Keppi ne se laisse pas intimider et tient bon le cap en continuant d’affirmer son autonomisme. Ainsi, en septembre 1926, dans une interview accordée à la Gazette de Lausanne [11], il regrette une nouvelle fois le refus de la France d’associer les Alsaciens à la gestion de leur pays et de leur accorder un minimum de libertés administratives et conclut : « Maintenant c’est trop tard, nous demandons l’autonomie totale ! ». A partir de là, il sera dans le collimateur de la police spéciale. Les machinations policières pour coincer des autonomistes vont d’ailleurs se multiplier (mission du Spitzel Henri Riehl, affaire « Erika Schultz », retournements de Jean Dumser (1929) et de J. Schneider (1929/30)….).

C’est qu’à Paris, derrière le Heimatbund et l’agitation autonomiste, on veut uniquement voir la main de l’Allemagne. Un an plus tard, dans son édition du 5 décembre 1927, le Journal écrira toujours : « Les chefs autonomistes ne reçoivent les directives que du service d’espionnage ayant son siège à Fribourg ».

Mais les Heimatbündler ne baissent pas les bras pour autant et continuent de s’organiser en multipliant les sections locales. D’après une déclaration de Charles Hueber du 25 octobre 1926, ils seraient alors au nombre de 25 000 (chiffre probablement exagéré).

C’est alors qu’ils doivent faire face à une nouvelle charge : celle de l’évêque connu pour ses idées nationalistes ! Craignant pour l’unité du camp catholique, celui-ci stigmatise les autonomistes et rappelle l’« opposition entre la doctrine de l’Eglise et certaines affirmations de la Zukunft ». Pour l’évêque, l’organe des autonomistes sème la discorde et affaiblit les catholiques.

Les catholiques du Heimatbund s’en remettent à l’arbitrage du Pape

Les catholiques du Heimatbund s’en remettent alors à l’arbitrage du Pape. Le 24 janvier 1927, Keppi, Rossé, Sturmel, Ricklin, Hauss et les Lorrains Antony et Schaaf signent une lettre envoyée au Pape dans laquelle ils justifient ainsi l’autonomisme clérical :

« Nos traditions et nos institutions religieuses ne peuvent pas être conservées à la longue dans l’Etat laïque et unitariste français sans la garantie constitutionnelle d’une large autonomie (de l’Alsace». Ils mettent l’accent sur « l’aversion que le laïcisme français inspirait à la population religieuse (alsacienne) » ainsi que sur des « craintes sérieuses pour les libertés religieuses ». Pour le Heimatbund, la seule solution pour échapper à ce sort fatal serait « un statut régional qui nous assurerait notre administration locale et qui laisserait à une collectivité alsacienne et lorraine les soins de la législation régionale et religieuse ». Les signataires de la lettre pointent également la « haine sectaire de la franc-maçonnerie française » à l’encontre de nos libertés religieuses et sa « lutte secrète contre l’école confessionnelle ».

Dans un autre passage, ils dénoncent la politique d’assimilation pratiquée par l’école et sa « méthode directe », qualifiée « d’insensée et d’absurde, un vrai dressage de perroquets (…) qui fait de la très grande majorité de nos enfants sinon des crétins intellectuels au moins des illettrés ».

Quant à l’accusation d’atteinte à l’unité nationale, ils relèvent que l’unité nationale ne signifie pas pour autant « l’uniformité nationale ».

« Tous nos efforts, concluent-ils, tendent vers un apaisement des esprits, vers une réconciliation de la France et de l’Allemagne, réconciliation qui sera la base d’une véritable paix en Europe (…) Nous avons élevé notre voix contre le projet prôné assez souvent par des représentants de l’Etat de faire de nos provinces un bastion contre l’Allemagne et de détruire à cette fin notre langue maternelle qui est l’allemand. Nous protestons contre ce nationalisme exagéré qui tend à détruire les institutions locales de nos provinces parce que les lois qui s’y réfèrent n’ont pas été votées par le Parlement français. Nous protestons contre ce nationalisme qui ne pardonne une faute à un Alsacien qu’à la condition qu’il soit « bon » Français. Nous pensons qu’un Alsacien-Lorrain a droit au respect et à la bienveillance parce qu’il est homme et citoyen, et que les religieux doivent rester dans notre pays parce qu’ils font un immense bien à notre peuple et à l’humanité en dehors de toute idée politique : voilà les crimes antinationaux que nous commettons ! (…) Envisagées sous l’angle de la justice et de la vérité, toutes les accusations contre le Heimatbund se réduisent ainsi à l’absurdité ».

La réponse du Pape n’est pas connue, ce qui laisse à penser qu’ils se heurtèrent à une fin de non-recevoir. L’évêque va alors continuer à s’opposer aux autonomistes : le 12 juillet 1927, il finit même par interdire aux catholiques de lire la Zukunft. Cependant, la presse catholique fait montre d’une certaine compréhension. 

Les intrigues journalistiques

Les Heimatbündler, déjà livrés aux intrigues policières, devront également faire face aux intrigues journalistiques destinées à les discréditer et à les faire passer pour d’infâmes comploteurs. Le 2 juillet 1926, Ricklin et Keppi, au nom du Heimatbund, vont répondre aux attaques par une mise au point solennelle que publiera la presse. Ils tiennent à s’élever contre ce « mensonge éhonté » de leurs ennemis qui affirment que le but de l’autonomie est de séparer l’Alsace de la France pour la rattacher à l’Allemagne.

Mais, rien n’y fait, les attaques ne retombent point. Ainsi, en janvier 1927, paraît une enquête d’Edouard Helsey du quotidien Le Journal, dans laquelle ce dernier explique que « l’autonomisme est un vaste complot dirigé contre la France et ourdi par les cléricaux alsaciens en alliance avec Berlin, Moscou et le Vatican… ». Pour Helsey, l’Allemagne, en dépit des accords de Locarno[12], n’entendait nullement renoncer à l’Alsace-Lorraine. Pour lui, l’autonomisme était « identique au séparatisme intégral ». Quant aux autonomistes, ils avaient été façonnés par le gouvernement allemand du Reichsland qui avait su en faire « d’excellents boches ». Et de conclure : « Les Haegy, les Ricklin, les Keppi, les Médard Brogly, toute la bande de fous ou de criminels qui, en essayant de soulever une nouvelle question d’Alsace, travaillent pour le roi de Prusse et compromettent la paix ». Par la suite, Helsey écrira encore que Keppi est « un des plus violents parmi les chefs autonomistes, un des plus responsables aussi »[13].

Evidemment, la presse subventionnée, de connivence avec la police, tombe elle aussi à bras raccourcis sur les Heimatbündler. Elle publie sans cesse des « révélations » plus fausses les unes que les autres (cf. le « scoop » monté de toute pièce du journaliste Jacques Bardoux dans Le Temps du 3 décembre 1926 qui fait état d’une « réunion secrète du Heimatbund » avec « un agent secret allemand »).

De leur côté, les Préfets et la Police Spéciale s’efforcent d’entraver la diffusion des journaux autonomistes (paquets de journaux saisis à la SNCF, rapport de police informant l’évêque que 32 Zukunft entrent chaque semaine dans le Grand Séminaire et ceci pour l’inciter à sévir, etc.). 

Démission de la Volkspartei et retour à la case départ

Pour ne pas placer dans l’embarras ses amis du parti catholique et pour éviter une scission, en février 1927, Keppi donne sa démission de la Volkspartei. Pas pour longtemps : le 11 mai 1927, suite à des dissensions internes, il donne cette fois sa démission du Heimatbund et retourne à la Volkspartei. En effet, de nombreux Heimatbündler derrière Paul  Schall veulent transformer le Heimatbund en parti politique autonomiste, ce que Keppi, resté fidèle à la Volkspartei, refuse. Par ailleurs, il veut également prendre ses distances avec le Dr Ricklin qui, le 12 mars 1926 -avant même la création du Heimatbund- avait écrit une lettre à l’agent provocateur Riehl dans laquelle il expliquait que « le cadre de la France n’est qu’une façade que nous serons bien obligés de démolir le moment venu ». Ricklin s’en expliquera rappelant que le 7 mai 1926, il avait écrit le contraire à Riehl : « Les Français seront contents, si l’Alsace-Lorraine autonome reste unie à la France, c’est aussi notre désir ». Keppi demande alors à Ricklin soit une déclaration officielle de regret pour s’être laissé embarquer dans une mauvais voie par un agent aux ordres de la police, soit sa démission de la présidence. S’estimant injustement accusé, la phrase incriminée ayant été sortie du contexte, Ricklin, fort du soutien du comité central s’y est refuse entraînant la démission de Keppi. Le Dr Ross prendra sa succession à la tête du Secrétariat général.

A partir de là, Keppi occupe à nouveau des postes-clé au sein de l’UPR : trésorier, membre du comité directeur du parti et membre du Conseil de surveillance et du Comité de rédaction de l’Elsässer. Plus tard, il assumera encore les fonctions de Secrétaire de l’Association de la presse catholique.

Paris choisit la répression 

Pour mettre les autonomistes hors-jeu pour les législatives prévues en avril 1928, le gouvernement passe à l’attaque.

En novembre 1927, il interdit les journaux autonomistes Zukunft, Volksstimme, Freiheit, Wahrheit au motif qu’« ils étaient écrits en langue étrangère ». Dr Schliffstaan, Dr Muehlstaan, Das Neue Elsass subiront le même sort au 1er trimestre 1928.

Une vaste campagne de perquisitions est également menée. Elle débute la nuit de Noël 1927 : une centaine de perquisitions sont alors effectuées (200 au total). « On leur a bien arrangé leur Noël boche » jubile le Journal d’Alsace et de Lorraine. 10 000 pièces sont saisies, dont 9000 devront être traduites, soit deux quintaux de dossiers. Keppi est perquisitionné à 2 reprises avec, à chaque fois, un déploiement de 15 gendarmes. Il est auditionné à plusieurs reprises, mais échappe à l’inculpation. 

Suivent les arrestations : 25 Heimatrechtler sont inculpés du crime de « complot contre la sûreté de l’Etat ». Dans le lot Ricklin, Rossé, Sturmel, Hauss, Schall… mais non Keppi !

Accompagnant la répression, une campagne de désinformation de la presse soudoyée à cet effet par le gouvernement et collaborant avec la police fait courir les rumeurs les plus folles : les autonomistes ont formé une armée secrète avec des armes et même une auto-mitrailleuse ; ils fomentent un complot pour la création d’une République d’Alsace-Lorraine ; ils œuvrent à la création d’un gouvernement alsacien dont on donne la répartition des portefeuilles : Keppi est au Ministère de l’Intérieur… Le Temps du 31 décembre 1927 explique encore que les autonomistes sont « des agents du Deutschtum » et « de vrais traîtres à leur pays ».

De son côté, Poincaré, l’instigateur de cette campagne, prévient : « L’Alsace sera stupéfaite des infamies qui seront révélées » !

A Haguenau, les nationaux se font l’écho de ces bobards et accusent Jean Keppi et les autonomistes de vouloir dominer toute l’Alsace. Ils entreprennent une campagne d’affichage où ils appellent les Haguenoviens à « envoyer ces traîtres et ces crapules (Lumpen) au diable, ou pour le moins, de l’autre côté du Rhin ». 

Elections législatives des 22 et 28 avril 1928 :

Premier échec pour le gouvernement : A Haguenau, les « nationaux » qualifient le maire autonomiste Georges Weiss, vieil ami de Keppi et de Gromer, d’« antinational » et pressent les autorités de réagir. Aussi, le 28 janvier 1928, le gouvernement choisit-il de dissoudre le Conseil municipal où siègent 14 autonomisants sur 27. Mais à l’issue du nouveau scrutin, tout le Conseil est passé aux autonomisant : 27 sièges sur 27 ! Un coup dur pour le gouvernement !

Suivent les élections législatives d’avril 1928. Elles vont marquer la victoire de l’Einheitsfront, le front uni, dont Keppi, Rossé, Gromer et quelques autres ont été les théoriciens et les artisans. Ricklin et Rossé sont élus députés en prison !

A Haguenau, Keppi et Gromer manœuvrent habilement pour obtenir le désistement de René Hauss contre la promesse de Michel Walter, gérant de l’UPR, de défendre l’autonomie et d’œuvrer à la libération des Heimatrechtler détenus.

Pour finir, sur 16 sièges à pourvoir, les Heimatrechtler en remporteront 11 : Rossé, Ricklin, Brogly, Bilger, Dahlet, Mourer, Seltz, Brom, Walter, Weydmann et Meck. 

Mai 1928 : Procès de Colmar

Au fil des audiences, le procès prend très vite des allures de farce judiciaire : aucune preuve sérieuse d’un complot n’est apportée par l’accusation. L’acte d’accusation s’effrite à mesure que passent les journées d’audiences : on ne trouve nulle trace de complot, les dossiers à charge sont vides !

Rossé, Ricklin, Fashauer, Schall sont néanmoins condamnés à un an de prison et 5 années d’interdiction de séjour (ils seront graciés en juillet). Ce procès se termine donc par un flop retentissant. Un nouveau fiasco pour le gouvernement. L’Alsace est indignée !

 

Recomposition des forces politiques 

 

. Du Einheitsfront (1928 – 1929) au Volksfront (1929-1935)

Dès lors, les Heimatrechtler de tous les partis parlent d’une seule voix et leurs succès électoraux vont s’enchaîner. Ainsi, les élections cantonales d’octobre 1928 marquent le triomphe du Einheitsfront contre les directives des partis incapables de transcender les cloisonnements idéologiques : 13 sièges sur 35 dans le Bas-Rhin et 11 sièges sur 26 dans le Haut-Rhin.

Mis en minorité partout et réduits à jouer la figuration, en novembre 1928, les « nationaux » de la Volkspartei font sécession et créent l’APNA. Le Dr Oberkirch avait été chargé par le gouvernement d’organiser cette sécession pour affaiblir la Volkspartei. En effet, c’est à la préfecture qu’avait été préparée la résolution qui devait conduire à la rupture : elle ne demandait rien moins que l’exclusion de Rossé et de Walter du parti !

Keppi, Rossé, Gromer et leurs amis du Heimatrechtliche Flügel de la Volkspartei ont gagné la partie de bras de fer engagée contre les « nationaux » du parti et réussi à pousser la puissante Volkspartei vers l’autonomisme : dès lors, la voie est ouverte au Volksfront !

Dès lors, Keppi, Rossé et Gromer vont soutenir Walter en toutes occasions, notamment contre ceux au sein de l’UPR qui n’acceptent pas son adhésion à l’autonomisme. 

Der Volksfront (1929-1934/35)

La coalition des partis de la Heimatbewegung se met en place. Les communistes, les premiers, lancent l’idée d’une « union sacrée » des partis ! Aux municipales de mai 1929, les communistes de Mourer et Hueber avaient déjà accepté l’alliance avec les cléricaux de l’UPR, ce qui leur valut d’être accusés de « compromission avec les forces bourgeoises ». Aussi, en juin 1929, décident-ils de quitter le PC et de fonder le Parti Communiste-Opposition (PC-O).

De leur côté, dès novembre 1926, les radicaux Camille Dahlet et Georges Wolf créent la Elsässische Fortschrittspartei qui, réorganisée par Dahlet en février 1929, se rapprochera ensuite de la Landespartei jusqu’à former une « Autonomistische Arbeitsgemeinschaft ».

Après son élection d’avril 1928, Michel Walter tient parole et soutient l’idée du Volksfront dont Keppi, Gromer, Zemb et Rossé, une fois de plus, sont les véritables chevilles ouvrières. Le Volksfront peut ainsi voir le jour. Il est formé par une coalition de 4 partis : Volkspartei, Landespartei, Fortschrittspartei, Parti Communiste-Opposition, auxquels on peut ajouter le Parti chrétien social de Lorraine de Victor Antoni. 

Le Volksfront conduira les autonomistes à la victoire :

. Aux municipales de mai 1929, les autonomistes s’emparent de villes comme Strasbourg (maire Charles Hueber), Colmar, Sélestat Haguenau, Saverne, Huningue…

. Aux cantonales d’octobre 1931 : les autonomisants deviennent majoritaires (Roos de la Landespartei est élu à Strasbourg), ce qui permet à Michel Walter d’être porté à la présidence du Conseil général du Bas-Rhin.

. Aux législatives des 1er et 8 mai 1932, la gauche s’effondre. Sur 16 mandats 11 vont aux Heimatrechtler et 5 aux « nationaux » (démocrates Frey/Wallach, socialiste Weill, APNA Oberkirch, indépendant Burrus).

Politique de l’apaisement

Les victoires des Heimatrechtler obligent le gouvernement à changer de stratégie et à accepter certaines concessions :

- Le 22 novembre 1928, le Conseil des Ministres décide que tous les fonctionnaires travaillant en Alsace doivent savoir l’allemand. Mais la mesure ne sera jamais appliquée ;

- En février 1931, 4 ans après la circulaire Poincaré-Pfister du 30.8.1927 qui concédait un enseignement hebdomadaire de 2 heures d’allemand à partir du 2e semestre de la 2e année scolaire, autorisation est donnée d’utiliser l’allemand dans les actes judiciaires ;

- Le 24 décembre 1931, 4 mois avant les législatives, Pierre Laval signe un décret d’amnistie rendant leurs droits civiques aux autonomistes condamnés à Colmar.

De son côté, Jean Keppi rédige encore un projet de loi tendant à l’organisation d’une région alsacienne avec personnalité civile, assemblée régionale, budget, police, etc. Ce projet est déposé en 1931 au bureau de la Chambre par un parlementaire UPR. Mais en raison de l’opposition de nombreux parlementaires français il n’a pas eu de suite.

Mort de l’abbé Haegy le 11 mai 1932

A Haguenau, devenue une forteresse autonomiste, Gromer et Keppi sont incontournables ! Sous l’égide du maire Weiss, ils multiplient réunions et colloques. Ainsi, le 13 mai 1934, la Jung Volkspartei organise son 4e Congrès annuel à Haguenau. 2500 jeunes défilent dans la ville. La fête réunit plus de 6000 personnes. Les orateurs sont Gromer, Walter et Rossé.

A partir de 1935, Gromer deviendra le théoricien et l’idéologue des jeunesses UPR d’Alsace. Leurs rassemblements réuniront jusqu’à 5000 participants. Formée aux idées de Gromer, Rossé, Keppi et Zemb, cette jeunesse va renforcer le camp autonomiste et la section de Haguenau de l’UPR qui sera la plus puissante du pays. 

En 1932, Ricklin se retire de la politique ; il meurt le 4 septembre 1935. 

Mais les assimilationnistes et les laïcards ne désarment pas pour autant. En mars 1933, au Congrès du Parti démocrate, Charles Frey déclare qu’« il ne doit pas y avoir de régime particulier en Alsace ».

A la Chambre, Camille Dahlet monte régulièrement au créneau pour dénoncer la « politique d’oppression » et défendre la langue allemande. Le 4 avril 1933, il déclare à la tribune : « Dans un pays de langue allemande, où 90 % de la population ne savaient pas un mot de français, on a dû d’un jour à l’autre remplacer la langue allemande par la langue française. A partir de ce jour-là, les administrations, les fonctionnaires que le contribuable payait, ont envoyé aux citoyens des communications dans une langue qu'ils ne comprenaient pas. Lorsqu’ils sont traduits devant un tribunal ils sont obligés de se défendre dans une langue qu’ils ne connaissent pas. C’est là le régime honteux contre lequel nous ne cessions de protester. On nous parle de questions économiques, alors que nous parlons de questions morales, de questions de langue. La politique qui est faite en Alsace est une politique d’oppression. Ne vous imaginez pas qu'avant la guerre chaque Alsacien avait un joug autour du cou et une chaîne aux pieds. Nous étions très libres comme citoyens.

Mon parti a toujours déclaré que le mouvement autonomiste alsacien n’avait rien à voir avec un mouvement politique allemand. Si nous défendons la langue allemande, ce n’est pas parce qu’elle est la langue des Allemands, mais parce qu’elle est notre langue. Nous la défendons comme les Suisses allemands, ou comme les Suisses français et les Wallons défendent la langue française. Si un malentendu a pu naître en Allemagne et même en France, c’est la presse gouvernementale, payée par le gouvernement, qui en est la cause ».  

Volksfront : premières lézardes

Avec l’avènement de Hitler au pouvoir en 1933, le Volksfront commence à se lézarder. Les différentes positions des partis face au national socialisme entraînent la coalition autonomiste dans une crise :

- Volkspartei et Fortschrittspartei marquent une franche hostilité aux doctrines nazies. L’Elsässer et l’Elsässer Kurier publient régulièrement des articles pour dénoncer le régime. Le 6 octobre 1936, Rossé écrit à la Une un article où il prend nettement position contre le national-socialisme de Hitler : « L’Alsace heureuse que nous voulons ne peut nous être donnée, ni par Moscou, ni par Hitler. Nous devons la créer par nous-mêmes » écrit-il.

- Dans la Neue Welt, le PC-O attaque fréquemment l’esprit hitlérien et traite le IIIe Reich d’« Etat meurtrier ».

- Seuls les ultras de la Landespartei restent dans l’ambiguïté et rechignent à condamner clairement et fermement le régime nazi.

Ces atermoiements poussent Camille Dahlet, dès le 16 septembre 1933, à démissionner de sa fonction de co-directeur du quotidien autonomiste ELZ « pour incompatibilité de ligne politique ». Plus tard, en juillet 1935, dans l’éditorial de la Neue Zukunft, il marque une nouvelle fois son opposition au nazisme et dénonce l’attitude trop conciliante de la ELZ. Il écrit : « Notre alsacianité n’est pas  un nationalisme alsacien mais un européanisme. Rejetant l’impérialisme et le nationalisme, nous sommes des pacifistes et des  internationalistes. Dans le débat d’idées actuel concernant l’état totalitaire, la démocratie ou l’autocratie, la république ou la dictature, le suffrage universel ou l’arbitraire d’un régime à parti unique, le sens de l’humain ou le délire de la suprématie raciale, la liberté des citoyens ou la  normalisation par dressage dans des prisons ou camps de concentration, l’état de droit ou le régime inquisitorial, la liberté de conscience ou le terrorisme de la pensée unique, les droits de l’homme ou la raison d’Etat, la liberté d’opinion  ou le dogme, la liberté de la presse ou son bâillonnement et la mise à l’index, nous, fidèles à nos engagements passés,  nous serons du côté des barricades où l’on se bat pour la liberté, pour le droit et pour la dignité humaine (…). Nous ne nous rangeons pas sous la bannière du nationalisme. Nous sommes ses adversaires, qu’il soit porteur du bonnet phrygien, du faisceau de licteur ou de la croix gammée. En tant qu’Européens convaincus, nous nous dressons contre lui partout et toujours, quel que soit le théâtre d’opération de ses méfaits. Car tout ce qui se passe en Europe nous concerne ! Nous rejetons tout autant l’idée de l’unification d’un peuple par la contrainte que l’unification culturelle imposée. Pour nous, l’Etat ne saurait être ni un haras national de Trakehner ni un lit de Procuste de la culture. Pour nous, l’intellect est supérieur à l’instinct et les liens de l’esprit sont supérieurs aux liens du sang mais, de même que nous combattons le délire racial, nous exigeons pour chaque groupe ethnique, grand ou petit, l’égalité des droits politiques entre les Etats et l’égalité des droits culturels à l’intérieur d’un Etat. L’être humain n’est pas là pour l’Etat, au contraire, l’Etat est là pour lui. L’Etat n’est pas une fin en soi, il est une forme d’organisation de la vie en société mise en place par les citoyens, pour les citoyens. Le bien-être de l’Humanité ne réside pas dans le renforcement outrancier de la souveraineté de l’Etat ou dans son idolâtrie, mais, au contraire, dans son démantèlement au profit d’une organisation supra- étatique. C’est la raison pour laquelle il ne pourra pas procéder de l’exacerbation des antagonismes d’ordre ethno-raciaux mais, à l’inverse, que du dépassement de ceux-ci, conscients que nous sommes, qu’au-dessus de la Nation, de la Patrie, il y a l’Humanité. L’Humanité tout entière !… ».

Walter amorce un nouveau virage

Le gouvernement fait le forcing pour rapprocher la Volkspartei et l’APNA. Brusquement, on reparlera de plus belle de la « main de l’Allemagne », de « l’argent allemand »… en lorgnant vers la Landespartei.

De leur côté, Walter et l’Elsässer critiquent maintenant de plus en plus vertement la Landespartei. Keppi, Gromer et Rossé sentent venir la volte-face de Walter et cherchent à l’empêcher. Walter, connu pour être une « girouette » politique, met l’accent sur la question religieuse pour se distancier des autonomistes et se rapprocher de l’APNA.

Cependant, le 1er juin 1934, il dépose encore un projet de loi régionaliste à l’Assemblée, fortement inspiré de la Constitution du Reichsland de 1911. Ce projet vise la création d’une « Région Alsace » jouissant d’une autonomie administrative, gérée par un Conseil régional élisant en son sein une Commission régionale. 

Cantonales d’octobre 1934 : premiers couacs.

Les partis du Volksfront, sur fond de tensions, vont séparément à la bataille. Ils remportent néanmoins 20 sièges sur les 32 à pourvoir. Cependant, à Colmar, Rossé n’est pas réélu et Dahlet est battu à Bouxwiller. Les autonomistes « orthodoxes » ne totalisent plus que 6 sièges contre 8 précédemment. La Landespartei est grande perdante : Hauss et Schall sont battus à Seltz et à Bischwiller. 

Elections municipales de mai 1935 : la rupture

A Strasbourg, le Volksfront obtient 60% des voix, soit la majorité des sièges : 21 mandats dont 5 pour la Volkspartei de Walter. Mais ce dernier fait volte-face. Trahissant ses alliés de la veille, contre la promesse d’une place d’adjoint, il vote pour le républicain-démocrate Charles Frey ! Cette trahison, qui permet à un ennemi de l’autonomie de s’emparer de la mairie, va briser la dynamique de l’alliance.

A Haguenau, la Volkspartei subit une défaite au 2e tour : le maire Weiss est battu par le rédacteur des DNA Désiré Brumbt. Cependant, l’élection est invalidée pour 19 sièges.

Mais Brumbt, appuyé par une coalition hétéroclite des partis de gauche, des démocrates et soutenue par l’APNA, les DNA et le Bote, l’emporte définitivement le 5 juillet 1936. Lors de la fête donnée pour célébrer la victoire, en fin de cortège, on brûle un cercueil sur lequel est écrit « Heimatbund ».

Immédiatement, Keppi est privé de son poste de Secrétaire général par le nouveau maire. Il quitte son domicile de Haguenau en juillet 1936 et son poste le 31 décembre 1936.

A l’unanimité, le Comité directeur de l’UPR lui confie les fonctions de 3e vice-président du parti chargé de l’organisation et des travaux d’ordre administratif.

Après l’échec de l’APNA et du Bote, financé par le gouvernement pour contrer l’influence de l’Elsässer et de la « Haegy Presse », le ministre Georges Mandel décide de liquider progressivement ce « puits sans fond » (le Bote et la maison d’édition engloutissaient 130 000 frs de subventions par mois !!). Mandel œuvre alors au rapprochement de la Volkspartei et de l’APNA. Les autonomistes de l’UPR derrière Rossé, Gromer, Keppi, Brogly, Zemb… cherchent à s’y opposer et engagent une fronde contre la ligne de Walter. En vain !

Les polémiques entre l’Elsässer et la Landespartei / ELZ vont donc continuer de plus belle.

Elections sénatoriales d’octobre 1935 : entente UPR-Démocrates-APNA

Un tiers des mandats sont à renouveler. Dans le Bas-Rhin, où 5 mandats sont en jeu, l’UPR, les démocrates et l’APNA font liste commune… au grand dam des autonomistes !

A l’issue du vote, il y a ballotage pour le 5e mandat. Ch. Frey, M. Walter et H. Meck font alors cause commune pour présenter Frey.

Révoltés contre ce choix, ceux du Volksfront et de l’aile gauche de la Volkspartei derrière Gromer et Keppi décident de soutenir la candidature de l’abbé Muller contre Frey, ceci en opposition avec les instances dirigeantes de l’UPR. Nouveau coup de génie du tandem Keppi-Gromer : le Heimatrechtler Muller est finalement élu, infligeant une cuisante défaite à Frey pour qui se ferme le chemin du Sénat.

Elections législatives de 1936 :

Le rapprochement UPR-Démocrates-APNA se précise : l’aile gauche de la Volkspartei proteste énergiquement et agite la menace d’une scission. Les résultats sont une nouvelle fois favorables aux autonomisants : 9 sièges pour l’UPR (Rossé et Sturmel réélus), mais net recul des démocrates (Frey est battu par le communiste Alfred Daul) et des socialistes.

Le PC-O, rebaptisé Arbeiter-und Bauernpartei, gagne 2 sièges (Hueber et Mourer). Les autonomistes progressent dans le nord du pays.

 

Dernières années avant la guerre

 

Avec le rapprochement Hitler-Mussolini (1935/36), les menaces pesant sur la démocratie se font de plus en plus précises. Les Heimatrechtler, dans leur ensemble, choisissent le camp de la démocratie. Seule la Landespartei reste dans l’ambiguïté !

Dans son édition de janvier 1938, c’est-à-dire vingt mois avant la déclaration de guerre, le rédacteur de la « Heimat » Rupert, sous le titre évocateur « La démocratie comme devoir », écrit : « Nous professons notre foi en la potentialité, en l’utilité de la démocratie, car c’est d’elle, plus que de tout autre régime, que nous attendons le respect de la personne et de la liberté. L’être humain ne peut qu’exceptionnellement être contraint ou forcé à la discipline par la guillotine, la mitrailleuse ou le camp de concentration. C’est pourquoi nous choisissons cette tâche bien plus ardue et persistons à marcher dans la voie vers la démocratie [14]» [15].

Parallèlement, avec la montée des tensions, des regards soupçonneux se portent de nouveau vers l’Alsace toujours accrochée à sa langue allemande. Ainsi, en mars 1938, le Ministre des Affaires Etrangères Paul Boncourt dénonce « les menées hitlériennes en Alsace ».

De son côté, entre 1937 et 1938, Keppi organise une série de conférences à Strasbourg, Sarreguemines et Colmar avec des opposants au nazisme comme le père jésuite allemand Friedrich Muckermann et le Dr Boka de Saint Gall. 

Filet juridique pour éliminer les chefs autonomistes.

La police a toujours amalgamé autonomisme et séparatisme (cf rapport n°6625 du 28.4.1938 du contrôleur général de la Sûreté extérieure à Strasbourg).

Aussi, depuis que le spectre d’une guerre a ressurgi, elle rêve d’inculper les militants autonomistes les plus engagés. Deux décrets-lois (24.5.1938 et 17.6.1938) vont permettre à la police de neutraliser les mouvements autonomistes :

. Le premier permet de réprimer « l’atteinte à l’autorité de l’Etat français sur un territoire ». Ce sera le chef d’inculpation retenu contre les leaders du mouvement breton.

. Le second, permet d’envoyer à la mort, pour le crime « d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat », tous ceux sur lesquels plane une simple présomption d’espionnage ou de trahison, à charge pour eux de démontrer leur innocence devant un tribunal militaire… ce qui était quasiment impossible ! Ce sera le cas de Karl Roos.

La police spéciale va ainsi travailler à l’établissement d’un fichier complet de tous les adversaires les plus déterminés de l’assimilation, tant législative, culturelle que religieuse, dans les 3 départements de l’Est. Son intention est de profiter d’un état de pré-guerre pour les inculper et les déférer devant la justice militaire, moins médiatique, plus expéditive et plus sévère que la justice civile. Sur les carnets B de la police, figuraient 303 noms d’autonomistes à arrêter en priorité en cas d’évolution vers un conflit avec l’Allemagne. Jean Keppi devait certainement figurer dans la liste. 

Paris frappe à nouveau

Du 28 septembre au 6 octobre 1938, des visites domiciliaires sont organisées pour préparer les arrestations à venir. Pendant plusieurs semaines des perquisitions ont lieu dans les milieux les plus radicaux de l’autonomisme : au siège du journal Frei Volk et de l’Elsass-Lothringer Partei, à la Hünenburg dont le propriétaire est Fritz Spieser, aux domiciles de Fritz Eyer, Julien Marco (rédacteur de la ELZ), du dentiste Rudolf Lang et du Dr Alexander Kraemer (trésorier de l’Elsass-Lothringer Partei), à la tuilerie Scherer à Mommenheim…

La presse parisienne se déchaîne de nouveau contre les autonomistes. Le 26 octobre 1938, au Congrès du Parti Radical, Fritz Hecker demande « une répression sévère contre les autonomistes » ! La ELZ tente de répondre et de calmer le jeu : « Il faut une entente avec l’Allemagne ; notre mouvement ne demande que les droits élémentaires ». 

L’Alsace affiche pourtant sa loyauté. Lors de sa session de novembre 1938, le Conseil général du Bas-Rhin affirme « son désir de collaborer loyalement avec le gouvernement à l’œuvre de reconstruction économique ». Cependant, évoquant les problèmes culturels, l’abbé Gromer, prévient : « Il ne faudrait pas profiter de ce consensus loyaliste et du détournement des attentions vers les graves soucis économiques qui pèsent sur l’Alsace, pour les enterrer ».

Le 4 février 1939, le Dr Karl Roos est arrêté à son domicile. Pour respecter la censure, la presse parle de « l’affaire X ».

Le 27 mars 1939, le député Walter, aiguillé par le Heimatrechtliche Flügel du parti, tient à dénoncer cette chasse aux sorcières. De leur côté, les communistes persistent dans leur revendication en faveur de l’autodétermination de l’Alsace : « L’autonomie n’est pas une revendication suffisante. Dans le cadre de la France, elle laisse subsister la domination impérialiste », martèle Maurice Thorez le 4 avril 1939 à la Chambre. 

Avril/mai 1939 : le gouvernement reprend son offensive

Le gouvernement va reprendre son offensive, un moment interrompue, contre les autonomistes. L’Elsass-Lothringer Partei de Bickler est interdit, de même que le Bund Erwin von Steinbach de Spieser et l’Elsässisch Volksbildungsverein de Karl Roos. Motif invoqué : « Etant donné qu’il est constant que leur but réel est de porter atteinte à l’intégrité du territoire national, nous avons estimé qu’il y a lieu de dissoudre les divers organismes ».

En août, deux journaux autonomistes sont interdits de parution : les Strassburger Monatshefte et le quotidien ELZ. En octobre, l’interdiction frappe l’Elsass-Lothringische Arbeiter –und Bauernpartei (fusion de la Landespartei et de l’Arbeiter –und Bauernpartei ex PC-O).

 

Keppi parmi les Nanziger

 

Nouvelle vague d’arrestations, cette fois Jean Keppi est du lot : Les « Nanziger »

Les arrestations du Dr Oster et de l’abbé Brauner marquent le début de la grande vague d’arrestations des autonomistes qui se renforcera après l’Evacuation de septembre 1939 et se poursuivra durant des mois en frappant les Heimatrechtler de toute obédience :

En octobre 1939, sont arrêtés, sous l’accusation d’« atteinte à la sûreté de l’Etat » :

. UPR/Volkspartei : les députés Rossé et Sturmel, Joseph Oster, Camille Meyer, le Conseiller général de Moselle Victor Antoni. Jean Keppi est arrêté le même mois à la sortie de l’office religieux à Périgueux, où il avait été évacué avec sa famille en septembre. L’ordre d’arrestation, sous l’inculpation d’atteinte à la sûreté de l’Etat[16], émane de la justice militaire de Nancy. Il sera donc écroué à la prison militaire de cette ville le 18 octobre 1939[17].

. Elsass-Lothringische Arbeiter –und Bauernpartei : le député J-P. Mourer, Paul Schall, René Hauss, René Schlegel. Roos est déjà en prison.

. Elsass-Lothringer Partei de Bickler : Hermann Bickler, Rudolf Lang, Edmond Nussbaum. L’avocat Bieber est arrêté parce qu’il avait prié Rossé d’intervenir pour son ami et collègue Bickler.

C’est ainsi que débuta l’histoire des « Nanziger ».

Dans la première quinzaine de mai 1940, une nouvelle razzia, d’une ampleur inégalée, dans les milieux de la militance autonomiste se solde par des centaines d’internements : un demi-millier de Heimatrechtler sont internés « préventivement » dans les « camps de concentration » spécialement construits à leur intention à Saint-Dié, puis à Arches. Là encore, Keppi ne dut qu’à sa grande notoriété d’échapper à l’arrestation.

La vérité sur l’affaire des Nanziger

A Nancy, l’instruction du dossier de Jean Keppi s’éternise.

Peu avant Noël 1939, les magistrats décident de scinder les 15 détenus en 2 groupes et de procéder à des instructions groupées en fonction des partis auxquels ils appartiennent. Les conditions de détention sont d’une extrême dureté : les détenus alsaciens sont astreints au régime des espions, mains et pieds entravés par des chaînes.

C’est en prison que Keppi apprend l’exécution de Karl Roos (7.2.1940), son successeur au Secrétariat général du Heimatbund. Il s’en montre très atteint. 

Suite à l’avancée éclair des troupes allemandes, le 14 juin, les prisonniers sont évacués de la prison de Nancy par autobus, menottés et sous la surveillance de gendarmes armés de fusils chargés. Leur périple à travers la France durera jusqu’au 1er juillet. Arrivés à la prison de Dijon, ils subissent de mauvais traitements : coups, simulacre d’exécution, humiliations, etc. Le 16 juin, les prisonniers sont séparés en 2 groupes et dirigés vers deux destinations différentes :

-       1er groupe : Bickler, Hauss, Schlegel, Schall… vers Carcassonne ;

-       2e groupe : Keppi, Rossé, Sturmel, Mourer, Brauner, Oster, Nussbaum, Bieber, d’abord vers la prison de Valence, où ils sont frappés, puis vers Avignon, pour arriver finalement, le 21 juin, au pénitencier de Mende, en Lozère, où, le lendemain ils apprennent l’entrée en vigueur de l’armistice (22 juin).

Leur périple harassant se termine le 1er juillet à la prison de Privas, en Ardèche. Là, Keppi peut se mettre en rapport avec Michel Walter pour le prier d’intervenir. Averti à son tour, Robert Schumann intervient au ministère de l’Intérieur à Bordeaux et à Vichy. Keppi pourra recevoir un chèque de 1000F de sa famille.

Le 14 juillet, un groupe de gendarmes vient les chercher pour les conduire, de nuit, à Châlons-sur-Saône. Là, ils sont livrés au major allemand Dehmel qui les attendait. Le lendemain ils sont rejoints par les autres qui avaient été emprisonnés à Carcassonne. Ainsi, la France a livré des citoyens français, qui n’avaient rien demandé, à l’Allemagne nazie ! 

Le 17 juillet 1940 vers 22 heures, tous arrivent aux Trois-Epis où les attend Robert Ernst fraîchement promu « Rapporteur général aux affaires alsaciennes » (Generalreferent). Ils ignorent encore tout de la situation de leur Heimet depuis l’armistice.

En quarantaine aux Trois-Epis, le lendemain, 18 juillet, Ernst les oblige à signer une adresse à Hitler qu’il veut lui remettre le lendemain pour son discours au Reichstag et qui comprend deux parties :

- une première salue la libération et le retour au pays des Nanziger, emprisonnés pour être restés fidèles à leur Volkstum ;

- une deuxième est en réalité une demande formulée par l’Elsässische Hilfsdienst [18] représenté par son chef Robert Ernst : « …unis à ces hommes (nda : les Nanziger), des dizaines de milliers d’hommes de confiance qui se sont rassemblés dans le Elsässische Hilfsdienst pour servir le peuple, le Reich et le Führer et, avec eux, des centaines de milliers d’autres demandent l’intégration de leur Heimat dans le grand Reich, en mémoire de Karl Roos tombé sous les balles françaises ».

A la lecture du projet que leur soumet Ernst, Rossé, Keppi et Sturmel font immédiatement des objections. Au nom de ses 7 collègues de la Volkspartei - tous les autres ne réagissent pas -, Rossé émet des « réserves expresses » sur son contenu ainsi que par rapport à certaines formulations blessantes pour la France : « Nous sommes prêts à demander que la ré-annexion au Reich soit proclamée, dit-il, mais sous réserve :

-      du consentement public de la France,

-      du consentement de la population d’Alsace et de Lorraine,

-      de la promesse formelle et expresse du respect et de la garantie de nos libertés religieuses et de la tradition locale en tous les cas. »[19]

Ernst menace et bluffe. Il prévient des conséquences fâcheuses que leur refus de signer pourrait avoir pour la population alsacienne et évoque une clause secrète du traité d’armistice fixant le retour pur et simple de l’Alsace-Lorraine dans le Reich.

D’après Sturmel, Jean Keppi donne alors sa conclusion en expliquant : « Si nous refusons aujourd’hui de signer, ce sera connu et, en Alsace, on nous rendra responsables de toutes les exactions qui seront menées contre la population chrétienne ; de toute façon, nous ne pouvons rien changer à cette situation ! Mais si plus tard les Français reviennent, nous serons à nouveau jetés dans la marmite du diable ».

A la suite de quoi, ils se résolvent à signer. Cette pièce apparaît la première fois en février 1947 dans les actes du procès de Mourer (qui sera fusillé en juin 1947).

 

 

Juillet 1940 : Les Nanziger au marché aux fruits de Colmar, juste après leur libération des geôles françaises. Hauss, Schall, Schlegel ont encore la tenue des soldats français qu’ils portaient lors de leur arrestation (sept./oct. 1939). Keppi tenant sa pipe avec l’air sombre et contrarié.

Premier rang : Antoni, Lang, abbé Brauner, Rossé, Mme Woerner (?), officier allemand, Bieber, (?), Sturmel, Schall, Meyer, Mourer.

Deuxième rang : Keppi, Hauss, Dr Benmann (?), Bickler, Oster, Schlegel, Nussbaum

 

Le 23 juillet 1940, on conduit les Nanziger à Strasbourg où le Gauleiter les reçoit à la préfecture, rue Brûlée. Par la suite, Ernst les sollicite encore pour participer au cycle des conférences organisé par l’Elsässische Hilfsdienst autour du thème « Die grosse Wende ». Keppi ne tiendra qu’un seul et unique discours de 6 à 7 minutes, le 28 juillet 1940 à Haguenau, sans évoquer le national-socialisme. Il se contente de « louer le sens familial chrétien de la population de Haguenau », ce qui ne manque pas d’irriter les représentants du parti présents dans la salle (ils lui en feront le reproche).

Quatre mois plus tard, on conduira encore les Nanziger à Berlin pour un séjour officiel du 28 novembre au 2 décembre 1940. Là, ils rencontrent Himmler, le ministre de l’Intérieur Wilhelm Frick et le ministre d’Etat Otto Meissner, né à Bischwiller en 1880, qui s’adresse à eux en dialecte. Auprès de Himmler, Keppi et Rossé défendent les catholiques alsaciens, demandent que la cathédrale soit rendue au culte catholique et réitèrent leur protestation contre les expulsions en Alsace.

Après la guerre, les tribunaux d’épuration finiront par reconnaître que toutes les accusations portées contre les Nanziger avant juin 1940 étaient infondées. C’est bien la France qui, en les livrant aux Nazis, porte la vraie responsabilité de tout ce qui est arrivé à ces hommes.

 

Keppi durant l’annexion

 

Les fonctions occupées :

Durant l’Occupation, Keppi ne se compromet pas politiquement avec les nazis. A partir de mars 1941, jusqu’au 30 septembre 1943, il occupe le poste purement administratif de Commissaire aux réfugiés. Dans son service, il gardera toujours ses distances avec le national-socialisme. C’est ainsi qu’il n’impose pas le salut nazi, pourtant quasi obligatoire, à ses subordonnés. Il ira jusqu’à écouter la radio anglaise avec les employés de son service et à mener la Gestapo en bateau[20].

Pour finir, fin 1943, il accepte la direction de l’imprimerie de l’Elsässer, reprise par Alsatia alors aux mains de son ami Joseph Rossé.

Aux nazis qui le sollicitent, il oppose une série de refus :

      -    refus de servir de thuriféraire au national-socialisme ;

-       refus de signer, alors qu’on l’en presse, en faveur d’un engagement volontaire dans la Wehrmacht ;

-       refus de la nationalité allemande qu’on lui offre ;

-       refus de tout poste politique ;

-       refus, en mars 1943, de faire une déclaration en faveur des efforts de guerre et protestation contre les déportations du Sundgau ;

Enfin, en dépit des intimidations des nazis, fin 1942, son fils reçoit la prêtrise. En septembre 1944, le même s’engage dans les Forces Françaises Libres.

Par contre, acculé, Keppi donne suite à l’injonction d’Ernst : il accepte d’être inscrit à la NSDAP. Comme il est déjà, depuis le début de l’année 1941, en rapport régulier avec les réseaux catholiques allemands d’opposition aux Nazis, cette inscription au parti lui servira de couverture pour cacher son activisme antinazi.

De même, il ne peut s’opposer à la remise de la Croix d’honneur qui est attribuée d’office et en bloc à tous les « martyrs de Nancy ».

Son dévouement pour venir en aide à ses compatriotes 

Profitant de son aura de « Martyr de Nancy » auprès des Nazis, il entreprend de nombreuses démarches auprès des autorités allemandes pour la libération de résistants ou de prisonniers alsaciens, sans distinction de religion ou d’idéologie politique. Il vient en aide à certains de ses pires adversaires politiques d’avant la guerre, tel le directeur d’école, socialiste membre du SNI, Joseph Bernhard de Schiltigheim. De nombreux témoins, dont Erwin Georges Guldner, membre du cabinet civil du Général Koenig et futur collaborateur de Pflimlin, en attesteront à son procès en 1947.

La résistance des autonomistes du « Cercle de Colmar »

La résistance française était d’essence patriotique, antiboche et revancharde. Elle avait aussi la particularité de compter dans ses rangs, à côté des communistes, un très grand nombre d’anciens cagoulards, de royalistes et de militants de l’extrême droite nationaliste, traditionnellement germanophobes et souvent antisémites. Son horizon s’arrêtait sur le Rhin.

Par contre, la résistance autonomiste était guidée par une vision plus large et plus européenne de la lutte à mener. Elle avait des contacts dans toute l’Europe et n’avait pas de contentieux avec le peuple allemand : pour elle, c’était l’idéologie nazie qu’il fallait combattre.

Opposés aux nationalismes de tous bords, les résistants autonomistes éprouvaient donc un certain trouble devant le nationalisme cocardier et revanchard qui transparaissait dans la résistance française.

Dès 1941, Colmar devient le centre de liaison de la résistance autonomiste du camp clérical avec les opposants allemands au régime national-socialiste. Très tôt, le Cercle de Kreisau consulte les autonomistes alsaciens du Cercle de Colmar constitué autour de personnalités comme Rossé, Keppi, Brom, Zemb, Brogly, Sturmel...

En participant au complot et en faisant partie des « tombeurs du nazisme », les autonomistes pensent être en position de force pour négocier avec la France, moralement affaiblie par la collaboration officielle, un statut d’autonomie pour l’Alsace.

La voie retenue pour un self government

Le plan Rossé-Gromer prévoit le recours à la loi du 15 février 1872 qui autorise les Conseils généraux à faire une session constitutionnelle, si les assemblées législatives ne peuvent se réunir. En cas de réussite du complot pour assassiner Hitler, les conjurés allemands autour de Stauffenberg et Gördeler avaient donné des garanties au Cercle de Colmar :

-       fin immédiate de l’annexion de facto ;

-       liberté d’action pour l’instauration d’un gouvernement provisoire alsacien ;

-       libération de tous les Alsaciens-Lorrains incorporés dans l’armée allemande ;

-       dissolution de la NSDAP, etc.

Keppi s’implique dans le complot pour assassiner Hitler 

Dès la fin de 1940, des Allemands opposés au régime nazi, notamment des ecclésiastiques, prennent contact avec Keppi.

Dès début de 1941 Keppi entre en relation avec l’opposition allemande aux nazis. Il rencontre, chez Rossé ou par son intermédiaire, le professeur Théodor Haecker, le père jésuite Alfred Delp, Georg Smolka, l’industriel von Schweinichen, le Dr Binder, les syndicalistes catholiques du Zentrum Bernhart Letterhaus et Max Habermann, le Dr Konrad Ruppel, ami intime du pasteur Martin Niemöller, chef de l’opposition protestante en Allemagne.

A partir de 1942, il entre en relation avec le Dr Eugen Bolz, l’ancien Staatspräsident du Württemberg, l’ancien député au Reichstag Joseph Ersing et l’avocat Frank de Karlsruhe. Bolz, l’homme de confiance de Gördeler, devient son homme de liaison. Hitler est alors au zénith de ses triomphes militaires alors que la France est complètement hors-jeu.

En Juin 1943, il rencontre Eugène Bolz à son domicile, rue du Dôme. Juste avant l’attentat projeté pour Noël 1943, ce dernier, sur conseil de Gördeler, viendra se réfugier chez Keppi.

Le 27 juin 1943, August Kuhn et Jakob Kaiser mettent Keppi « au courant de tous les détails du complot ». Dès lors, il entre pleinement dans la conjuration. De son côté, en juin 1943, Rossé entre en contact avec Claus von Stauffenberg.

 

 

Keppi en compagnie de son ami Rossé et de leurs épouses respectives.

Probablement durant la guerre à Fouchy (?)(photo non datée)

 

En Août 1943, Keppi et son ami Rossé rédigent le programme du futur gouvernement régional appelé Sofortprogramm (août 1943 à Fouchy). Ce programme est développé en 60 points. Ils rédigent également pour le jour « J » :

-       une déclaration officielle et solennelle des deux Conseils généraux ;

-       un appel au peuple alsacien ;

-       un texte pour une affiche ;

-       une circulaire pour les maires.

Lors de son procès en 1947, Keppi apportera cette précision : « Les textes des discours des présidents des Conseils généraux, de la délibération desdits Conseils et de l’appel à la population ont été préparés au cours du 3e trimestre 1943 lors de réunions entre les personnes suivantes : Rossé, Brom, Gromer, Brogly, Zemb et moi-même ».

Le papier pour l’impression est prêt à l’Alsatia. Des contacts sont également pris avec toute une série de personnalités sûres et compétentes en vue d’occuper les différents postes administratifs provisoires.

A la mi-septembre 1943, Keppi négocie avec Gördeler à Stuttgart les conditions du « Groupe de Colmar » et les principes fondamentaux qui seraient à faire respecter en Alsace-Lorraine. A son retour, il rend compte des détails de l’attentat prévu pour tuer Hitler au groupe restreint de Colmar. Peu après, il recevra l’assurance formelle des conjurés que les Alsaciens auraient une totale liberté d’action sur la base du Sofortprogramm et ce jusqu’à l’arrivée des Alliés.

Malheureusement, l’attentat du 26 décembre 1943 doit être annulé, la réunion de Hitler prévue le 26 décembre ayant été supprimée.

Le 20 juillet 1940, ce sera un nouveau coup dur : Stauffenberg échoue, entraînant l’échec du complot « Walkyrie ». Commence alors une traque impitoyable des comploteurs, suivie des premières exécutions (Eugen Bolz, Reinhold Frank, Alfred Delp…).

Recherché, Keppi échappe à la Gestapo du fait d’une erreur dans l’orthographe de son nom. Sur le mandat d’amener figurait le nom de « Dr Käppi ». Le commissaire Aloyse Woelffel, une ancienne connaissance de Haguenau, prévient Keppi pour lui permettre de se cacher. Le 20 novembre arrive l’ordre d’arrestation… par chance, le 23 novembre les premiers chars libérateurs arrivent à Strasbourg.

 

L’épuration

 

Les jacobins vont pouvoir prendre leur revanche. Chasse aux sorcières et règlements de comptes politiques sont à l’ordre du jour. Communistes et socialistes s’acharnent tout particulièrement sur le clérical Rossé : « Rossé traître N°1 ! Rossé ne doit parcourir qu’un seul chemin vers la France : celui qui mène à l’échafaud comme traître N°1 »[21] vitupère la Presse Libre, l’organe du Parti socialiste (SFIO), dans son édition du 24 décembre 1945.

 

En dépit de son engagement dans la résistance aux Nazis, Keppi n’échappe pas aux calomnies et à la campagne de dénigrement des autonomistes qui tend à amalgamer l’autonomisme à la collaboration. Les DNA du 22 septembre 1945, publient en milieu de page une brève titrée « KEPPI en SUISSE ? » qui laisse entendre qu’il cherche à fuir. Or, il continue d’habiter à son domicile et à recevoir des personnalités.

Par ailleurs, à l’arrivée des premières autorités françaises, Keppi est promu à la fonction de Conseiller du premier Commissaire de la République à Strasbourg[22], Charles Blondel[23] (octobre 1944 à juin 1945), proche du parti catholique et ami de Robert Schuman. 

La campagne d’intoxication se poursuit cependant durant des mois : « Il (Keppi) n’a pas quitté la France affirme-t-on. Et comme Keppi est, paraît-il, un croyant convaincu, on en tire la conclusion qu’il doit être à l’abri dans quelque couvent. Le droit d’asile ? », écrit le quotidien catholique ultra-conservateur Le XXe Siècle du 15 mai 1946. Or, à l’exception d’un court séjour à Paris pour préparer son dossier de défense, à aucun moment Keppi ne quitte l’Alsace ! « Rien n’est plus faux que de réduire l’autonomisme à une tentative de trahison, visant sous une forme plus ou moins déguisée à ramener l’Alsace dans l’orbite de l’Allemagne (…) Que l’autonomisme ait pu servir la cause des Allemands ne veut point dire qu’il ait été suscité par eux, ni que ses tenants, à part quelques individus, eussent voulu se séparer de la France. C’est là une déformation de la vérité qui ne peut être le fait que de l’ignorance, de la mauvaise foi ou de ces besoins instinctifs variés que nous avons soumis à l’analyse. Sous sa forme la plus saine l’autonomisme était conciliable avec le plus sincère patriotisme français » explique Frédéric Hoffet dès 1951[24], déclenchant l’ire des patriotes. 

On s’en prend donc tout particulièrement aux anciens Nanziger :

- L’abbé Joseph Brauner meurt le 1er juin 1945 à la suite des coups[25] et des mauvais traitements qu’on lui inflige au Struthof français où on l’a enfermé « préventivement ».

- Le vieil ami de Karl Roos, Joseph Oster, victime d’un règlement de compte au sein de l’hôpital civil de Strasbourg dont il avait été le directeur avant la guerre, est condamné à 7 ans de travaux forcés, 15 ans d’interdiction de séjour, à la confiscation de ses biens à hauteur de 500 000 frs et à l’indignité nationale à vie : une sentence qui n’était pas de nature à relever le prestige de la justice française.

- l’ancien député Marcel Sturmel est condamné à 8 ans de travaux forcés, à 20 ans d’interdiction de séjour en Alsace, à l’indignité nationale et à 300 000 frs d’amendes. Il ne sera libéré qu’en 1953 après une amnistie et ne verra son interdiction de séjour levée qu’en 1954.

- Joseph Rossé, dont le procès a lieu du 29 mai au 12 juin 1947 à Nancy, sera condamné à 15 ans de travaux forcés, 20 ans d’interdiction de séjour, à la dégradation à vie et à la saisie de tous ses biens. Keppi, lui-même en instance de jugement, viendra très courageusement témoigner à la barre pour défendre son ami Rossé. 

Ces anciens Nanziger furent pourtant lavés par la justice française de l’accusation d’avoir entretenu avant-guerre des relations avec l’ennemi ou ses agents, à l’origine de leur emprisonnement à Nancy. C’est là qu’avait commencé leur chemin de croix qui les conduisit aux Trois-Epis !

 

Procès Keppi (juillet/août 1947) 

 

En juillet 1947, dans son rapport qu’il fait à la justice, l’inspecteur Principal des RG de Haguenau Lauth reconnaît qu’« en résumé, le comportement au point de vue national de cet ex-leader autonomiste (Keppi), durant ces 4 années d’annexion de l’Alsace au Reich, peut être qualifié, en général, de correct ». 

Le 5 juillet Jean Keppi est néanmoins renvoyé devant la Cour de justice de Strasbourg sous l’inculpation « d’intelligence avec l’ennemi ». La presse et le tribunal sont impressionnés par les nombreux témoins à décharge (près d’une centaine) tels le député et ancien ministre d’Etat Francisque Gay, le secrétaire général de la CFTC Gaston Tessier, des résistants, des députés, le président du Tribunal administratif de Strasbourg, le comte d’Andlau…

Le verdict témoigne de l’embarras du tribunal : au terme d’un arrêt du 6 août 1947, bien qu’acquitté des accusations portées contre lui, Keppi est néanmoins condamné à la dégradation nationale pour 15 ans et à la restitution au trésor de la somme de 240 000 frs correspondant aux indemnités allouées par l’administration allemande en vertu d’une ordonnance sur les Volkstumsschäden en Alsace. Cependant, il est réhabilité sur le champ de la première condamnation « pour faits de participation active, efficace et soutenue à la résistance contre l’occupant ».

Le jury avait en réalité répondu négativement à toutes les questions posées et déclaré Keppi « non coupable des crimes qui lui étaient reprochés ». En conséquence, il avait demandé sa remise en liberté immédiate, s’il n’était pas retenu pour une autre cause ! Toutefois, le même jury avait répondu affirmativement à la 6e et dernière question « posée d’office par le Président » : l’accusé est coupable « d’indignité nationale ». D’après l’ordonnance du 26 août 1944, modifiée et complétée par les ordonnances du 30 septembre et du 17 octobre 1944, était passible de l’indignité nationale tout citoyen français qui avait « volontairement porté atteinte à l’unité nationale et à l’égalité des Français ». Ce concept ouvrait évidemment toute grande la porte de la subjectivité !

Aussi, pour marquer néanmoins une sanction, on le condamna donc – et uniquement pour cette dernière raison - à 15 années de dégradation nationale… avant de le réhabiliter dans la foulée !  

Du PRP au MRP

En février 1945, des anciens de la Volkspartei et de l’APNA créent le Parti Républicain Populaire d’Alsace (PRP). Gromer est dans le comité de patronage où il continue de défendre l’autonomie administrative et la langue allemande.

Mais en juillet 1945, sous la pression conjointe du gouvernement, des anciens de l’APNA revenus en force et surtout du tandem  Henri Meck/Frère Médard, le PRP choisit de se fondre dans le MRP, un parti national. Le Dr Pfleger est porté à la présidence de la fédération régionale. Les nouveaux leaders du parti ont pour nom : Dr Pfleger, Dr Oberkirch, Henri Meck, Pierre Pflimlin, Joseph Klock et Frère Médard. Tous sont farouchement opposés à l’idée autonomiste. Dès lors, le parti majoritaire en Alsace ne sera plus alsacien, mais la succursale d’un parti français, ce que ne cesse de déplorer Jean Keppi. La revendication de l’autonomie ne sera donc plus formulée. Commence l’ère des génuflexions !

Cependant, les autonomistes de l’ancienne UPR rescapés de la grande lessive, comme Keppi, Brogly et Gromer, restent en embuscade. Dès 1945, jouant les éminences grises au sein du MRP, Keppi reprend la lutte en continue à prôner le fédéralisme interne tout en appelant l’Europe fédérale de ses vœux : sa foi en l’Alsace et en l’Europe est restée intacte !

Après les premiers succès remportés par le MRP aux cantonales de mars 1949, les regards se tournent à nouveau vers lui. Malgré ses 61 ans, certains voient alors en lui une alternative crédible aux nouveaux leaders en place très critiqués pour leur manque de pugnacité face à Paris. Ses idées régionalistes gagnent régulièrement du terrain. Sous le titre « On reparle de M. Keppi », La Dépêche du 3 avril 1949 relate cette ascension :

« Le succès inattendu et inespéré du MRP aux élections cantonales a quelque peu fait tourner la tête à certains membres influents de ce parti catholique. Pour préciser : à ceux qui depuis longtemps déjà reprochent au parti de ne pas souligner assez « les intérêts du peuple alsacien ».

Au parti et surtout à la presse du parti.

Ah ! Si l’organe de notre parti n’était pas si hésitant ! Ah ! s’il était plus batailleur, moins réservé, plus alsacien... Et dans la coulisse on parle beaucoup du talent, de l’allant, du dynamisme de M. Jean Keppi. Ce n’est pas la première fois que dans le MRP on amorce cette campagne. Mais en ce moment elle est plus sérieuse. On argue des succès obtenus à ceux qu’on aurait pu obtenir, si on avait écouté les bons conseils, si le journal était moins conformiste.

M. Keppi gagne du terrain. Il se fait vieux, pourtant, nous a dit un ami de M. Irjud. Nous ne sommes plus, évidemment en 1928 ».

Keppi se battra ainsi jusqu’au bout de ses forces pour ses idéaux alsaciens, autonomistes et européens. 

Mais quand disparaissent les derniers lutteurs de la trempe de Keppi, l’Alsace n’a plus de vrais défenseurs. Car, contrairement aux anciens Heimatrechtler qui surent résister aux jacobins, les élus alsaciens de l’après-guerre font preuve d’une incroyable lâcheté : ils vont capituler devant Paris et renoncer à l’idée d’autonomie par peur de déplaire au pouvoir. Cette nouvelle classe politique manque totalement de courage pour continuer le combat des anciens Heimatrechtler contre l’effacement… avec le résultat catastrophique que l’on sait : depuis janvier 2016 l’Alsace est rayée de la carte des régions de France !!

 

Ses dernières années

 

A partir de 1946, Keppi devient le collaborateur régulier de l’Ami du Peuple où il s’occupe du service juridique et des corrections d’épreuves. Il écrira encore des articles dans le Nouvel Alsacien et l’Ami du Peuple. Une union fédérale de l’Europe reste son idéal.

 

 

Jean Keppi - 15.3.1958

 

Il rencontrera encore ses vieux amis : Gromer (mort en 1954), Zemb, Sturmel, Seltz… Mais le 19 février 1967, avant même d’avoir pu achever ses mémoires, Jean Keppi meurt de vieillesse et d’épuisement au presbytère catholique de Dachstein.

Il repose au cimetière Ste-Hélène à Strasbourg, non loin de ses amis les Nanziger Camille Meyer, Joseph Oster et l’abbé Brauner.

 

 

Tombe familiale au cimetière Ste Hélène à Strasbourg où repose Jean Keppi.

 

La Ville de Haguenau s’honorerait grandement en dédiant une rue, une place ou un établissement scolaire à son illustre serviteur.

Bernard Wittmann – Historien   16.7.2016

 

Vidéo sur la vie de Jean Keppi, artisan du Heimatbund et grande figure de l'autonomiste alsacien durant l'entre-deux-guerres :

une conférence de Bernard Wittmann du 20.2.2019 à Schiltigheim : youtu.be/b15xjMSFrmE



[1] Une biographie récemment parue aux éd. Yoran Embanner (2014) sous le titre, Jean Keppi - Une histoire de l’autonomisme alsacien - auteur Bernard Wittmann - retrace la vie et l’œuvre de Jean Keppi en éclairant le mouvement autonomiste alsacien de l’entre-deux guerres.

[2] Le 6 novembre 1913, la presse locale révèle que, le 28 octobre, un jeune sous-lieutenant prussien – il a tout juste 20 ans -, le baron Günther von Forstner, du 99e régiment d’infanterie stationné à Saverne, avait traité de « Wackes » des recrues alsaciennes. L’« affaire » ayant été montée en épingle par les milieux francophiles de Saverne, immédiatement les esprits s’échauffèrent au point que, dès le lendemain, de nombreux Savernois descendirent dans la rue pour protester. Elle finira par provoquer une tempête d’indignation dans toute l’Alsace, allant jusqu’à susciter des interventions au Landtag et au Reichstag et même des procès : la presse française parlera de « la tragédie de Saverne » ! Même la presse étrangère en fit état. L’« affaire » ira si loin que le secrétaire d’Etat du Reichsland, l’Alsacien Zorn von Bulach, fut contraint à la démission, de même que le Statthalter Karl von Wedel.

[3] Un ouvrage de Bernard Wittmann, à paraître début sept. 2016 aux éd. Yoran Embanner, titré Une épuration ethnique à la française – Alsace-Moselle 1918-1922, traite de l’expulsion des Alt-Deutschen et des Alsaciens germanophiles entre 1918 à 1922. Voir également le roman de Marie Hart, Nos années françaises (traduction de J. Schmittbiel), publié chez le même éditeur en juin 2016.

[4] Le 24.11.1914, lors de sa visite à Thann, Joffre avait fait cette promesse solennelle aux Alsaciens : « La France apporte, avec les libertés qu’elle a toujours représentées, le respect de vos libertés à vous, des libertés alsaciennes, de vos traditions, de vos convictions, de vos mœurs. Je vous apporte le baiser de la France ». Nombre d’Alsaciens avaient interprété cette déclaration comme un « pacte » passé entre la France et la population alsacienne : on parla alors du « pacte de Thann ». La promesse fut même officialisée dans le Bulletin des Armées de la République, le 30 novembre 1914. Méfiant, le maire de Thann, Adolphe Krumholz, demanda après la guerre au Maréchal Joffre de mettre par écrit cette promesse. Ce qu’il fit de bonne grâce en automne 1919 (in Die Heimat n°2 fév. 1923 p.37-39 – déclaration de A. Krumholz).

[5] Le 11.2.1915, R. Poincaré est venu confirmer à St-Amarin la promesse de Joffre faite trois mois plus tôt.

[6] In Edmond Herber, Elsässisches Lust- und Leidbuch, Imprimerie de Haguenau, 1926, p.103.

[7] A l’origine appelée UPRN (Union Populaire Républicaine Nationale).

[8] Keppi voulait écarter Laugel et Wetterlé de la candidature à la Chambre des députés (élections de novembre 1919). Il y parviendra pour Anselme Laugel.

[9] Raymond Klée s’engagera au service du Général De Gaulle dès juin 1940 et sera assassiné au camp de concentration du Struthof le 18.4.1944.

[10] André Hugel, Chronique de la Grande Guerre à Riquewihr – Témoignage d’un viticulteur alsacien : Emile Hugel, éd. Reber, 2003, p.261/262.

[11] D’après L’Alsace Française du18.9.1926.

[12] Par ces accords (16.10.1925), l’Allemagne renonçait à ses revendications concernant les frontières occidentales avec la France.

[13] Ed. Helsey, Notre Alsace, éd. Albin Michel, 1927, p.265.

[14] « Darum übernehmen wir die an sich viel schwerere Aufgabe, den Weg zur Demokratie weiter zu schreiten ». 

[15] Die Heimat janvier 1938, p.10.

[16] L’avocat Julien Kraehling, le vieil ami de Keppi, figurait également sur la liste des personnes à « neutraliser » et c’est de justesse qu’il échappa à l’arrestation. L’abbé Gromer, qui aura le courage de témoigner en faveur  de Karl Roos lors de son procès à Nancy, craignait lui aussi en permanence d’être arrêté.

[17] Dans sa déposition contre Jean Keppi, le procureur Chanrigaud, témoin volontaire à Nancy, confondra ce dernier avec son frère, autrefois libraire à Mulhouse.

[18] Littéralement « Service alsacien de secours » : il se voulait d’inspiration mutualiste et en appelait à la solidarité des Alsaciens entre eux. A l’origine, il était présenté par les nazis comme une sorte de « Croix Rouge » alsacienne. Le Hilfsdienst s’occupait notamment de la libération des soldats alsaciens qui avaient été faits prisonniers par les Allemands et de l’aide au retour des évacués.

[19] In G. Andrès, Joseph Rossé, éd. Do Bentzinger, 2003, p.35.

[20] Déclaration du témoin Edouard Marxer, employé de préfecture, au procès Keppi de 1947.

[21] « Rossé, Verräter Nr 1 »! « Rossé darf nur den einen Weg nach Frankreich beschreiten : den zum Galgen als Verräter Nr 1 ».

[22] In Le XXe Siècle 15.5.1946.

[23] Il sera ensuite chargé d’intégrer le parti catholique au MRP.

[24] In Frédéric Hoffet, Psychanalyse de l’Alsace, éd. Flammarion, 1951, p.157.

[25] L’abbé Lucien Jenn, lui même interné, raconte lui aussi dans ses mémoires, Das KZ-Tagebuch eines elsässischen Pfarrers – Konzentrationslager Schirmeck-Struthof 1945, que ses tortionnaires du Struthof lui administrèrent un jour jusqu’à 100 coups de bâton... alors que, gravement malade, il venait d’être opéré et n’avait plus qu’un rein !