Police linguistique à la foire européenne de Strasbourg 

 

Les Etats islamiques ont leur police religieuse et nous, dans notre République jacobine, nous avons notre police linguistique. En effet, à la foire européenne de Strasbourg qui s’est déroulée du 2 au 12 septembre 2016 (84e édition), des exposants allemands ont été sanctionnés par une amende plutôt salée (800€ pour certains)... parce que "leurs pubs n'étaient pas traduites en français et que les démonstrateurs ne parlaient pas le français" (voir ci-après article des DNA du 10.9.2016) !

Pour verbaliser, et pour la bonne forme, les agents de la DGCCRF[1] invoquèrent la loi Toubon de 1975. Cette loi (n°75-1349 du 31 décembre 1975) fait obligation à tout importateur, toute société voulant travailler en France à rédiger tous les documents commerciaux - documentation, catalogues, prospectus, conditions générales de vente, bulletins de livraison, factures… - en français, pour les rendre compréhensibles par la clientèle française… supposée monolingue !

Cependant, il y a l’esprit et la lettre de la loi qui, ici, fut utilisée dans son sens le plus restrictif, le plus absurde aussi. En effet, si cette obligation de traduction peut se comprendre dans le cas de médicaments, de machines complexes, de produits sophistiquées ou présentant un quelconque danger pour l’utilisateur, dans le cas des stands allemands de la foire, aucun produit ne nécessitait une traduction impérative pour comprendre de quoi il en retournait. Il s’agissait essentiellement de spécialités culinaires allemandes, de vêtements, de boissons, de produits artisanaux et régionaux bien connus en Alsace... Faut-il une notice explicative en français pour déguster un porcelet rôti ou une bière blonde badoise, choisir un vêtement ou une ceinture en cuir ?? Ridicule !

Ajoutons encore que la loi Toubon est généralement oubliée quand il s'agit de l'anglais. D'autre part, aucune loi ne permet d'empêcher quelqu'un d'utiliser sa langue à l'oral !!

 

DNA du 10.9.2016

Quant à la directrice générale adjointe de Strasbourg évènements, Albane Pillaire, au lieu de venir au secours des exposants allemands, ses clients, elle se précipita pour en rajouter une couche en estimant, non sans un certain culot, qu'une verbalisation de 800€ est simplement « pédagogique »… alors que l’installation seule des stands représente déjà un sacré investissement (env. 4000€ uniquement pour 12 m2).

A noter qu’aucun de nos élus n'a émis la moindre protestation contre cet intégrisme linguistique et cet usage visiblement abusif de la loi... cela ferait probablement mauvais effet chez leurs collègues.

 

Chauvinisme linguistique

On peut donc légitimement se poser la question : mais où donc s'arrêtera le chauvinisme linguistique des Français? Car, évidemment, personne n'est dupe : « la défense des intérêts des consommateurs » invoquée par la « police linguistique » pour verbaliser, n’est qu'un prétexte pour imposer le français partout et donner le moins de visibilité possible à l'allemand en Alsace.

Par ailleurs, cette opération coup de poing de notre « police linguistique » n’est certainement pas exempte d’arrières pensées. Il apparaît clairement qu’il s’agit d’une semonce à l'encontre des exposants allemands pour les obliger, à l'avenir, d'embaucher des revendeurs français. L'autre objectif poursuivi par cette action répressive est de les contraindre à revoir les slogans publicitaires et les enseignes de leurs stands pour donner une visibilité dominante à la langue française dans ce type de manifestation à vocation internationale... ce qui permettra ensuite de l'auréoler du titre de « première langue de communication européenne » (une place à prendre, l'anglais étant actuellement en difficulté du fait du brexit) !

Le français est « une langue toujours conquérante », reconnaît le célèbre romancier français Pierre Assouline[2] !

 

Une dictature linguistique

Cette affaire montre à l'évidence que nous vivons bien en France dans une dictature linguistique où le français est appelé à régner en maître partout. Car enfin, qu'on y songe : 

- L'Alsace est un pays dont la culture originale et la langue sont germaniques,

- Elle est au centre de l'espace rhénan où la langue allemande est ultra-majoritaire,

- La plupart des visiteurs de la foire parlent l'alsacien ou le Hochdeutsch (90% comme le relève un exposant),

- Il s'agit d'une foire à vocation européenne et non franco-française. Cette foire a d’ailleurs été instaurée en 1932 par la municipalité autonomiste-communiste, dirigée par le maire Charles Hueber, pour assurer une ouverture commerciale européenne à la ville. 

Eh bien, en dépit de tout ça, on a verbalisé des commerçants allemands, déjà très courageux de venir à cette foire qui périclite d’année en année, au motif que les démonstrateurs ne parlent pas le français. Une vraie tartuferie ! A l'avenir, dans nos foires du bassin rhénan, va-t-on en arriver à se coller mutuellement des PV entre voisins parlant la même langue... juste pour satisfaire l'égo linguistique des seuls Français monolingues ?

Heureusement les Allemands ne sont pas aussi tatillons sur l'emploi de leur langue. Il n'y a qu'à voir au Parlement Européen ou dans les instances européennes où l'allemand est quasiment inexistant alors que c'est, et de loin, la langue la plus parlée en Europe avec plus de 100 millions de locuteurs. 

Parions que si les Allemands ou les Suisses alémaniques procédaient de même chez eux en exigeant des exposants français présents dans leurs foires qu'ils sachent parler la langue de Goethe et de Schiller, les stands français seraient d'une rareté absolue. Mais les Allemands et les Suisses ne sont pas habités par le même fanatisme linguistique coutumier des Français. En Allemagne ou en Suisse, on sait cultiver la tolérance et le bilinguisme, voire le trilinguisme. La différence est là ! 

 

Bernard Wittmann – 12.9.2016



[1] DGCCRF = Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes

[2] L’Orient Littéraire 2016-10 / Numéro 124

 

Et un an plus tard, rien n'a changé (DNA 12.9.2017) !