« Décoloniser les provinces » - auteur Michel Onfray

Edit. de L’Observatoire – février 2017 – 150 pages – Prix : 15€

 

Ceux qui pensaient connaître le très médiatique philosophe Michel Onfrey, connu pour son opposition farouche aux langues régionales, risquent d’être surpris par ce livre qui dévoile des options politiques de l’auteur peu connues.

En finir avec le modèle jacobin centralisateur

En effet, comme l’annonce le titre du livre, voulu par l’auteur comme une contribution aux élections présidentielles, il s’agit d’un fervent plaidoyer en faveur des régions et de l’autogestion régionale : « L’autogestion nomme la véritable démocratie : celle qui permet au peuple de décider lui-même de ce qui le concerne (126) », écrit avec pertinence Michel Onfrey. « Il faut des parlements régionaux dont les pouvoirs sont à préciser pour les détails, le tout dans la perspective d’une plus grande autonomie des régions (…) Il existe une jeunesse pleine de talent  chez les paysans et autres acteurs de toutes les provinces françaises qui n’attendent qu’une seule chose : que le pouvoir sur eux-mêmes et leur destin leur soit restitué dans la perspective d’en finir avec le pouvoir descendu du ciel de la capitale, lui-même tombé du firmament européen. Cette même jeunesse n’a envie que d’une seule chose : rester au pays, y travailler…» (pp.102/103).

Onfray se réfère aux analyses du penseur Alexis de Tocqueville, théoricien de la démocratie, qui a dénoncé la centralisation du pouvoir à Paris initié par les rois depuis les Capétiens et sa logique « qui a uniformisé les intelligences et les consciences ». Cette logique « s’affole avec les siècles, ravage les provinces afin de nourrir humainement, idéologiquement, intellectuellement, spirituellement, économiquement, financièrement, fiscalement, culturellement la capitale, étymologiquement la tête, avec le sang et l’énergie des régions (p.91) ».

Aussi, l’auteur se range-t-il résolument dans le camp des fédéralistes,  des « Girondins » qui « ne méprisent pas les régions, les provinces (p.67) ». Il faut « réhabiliter une politique des provinces (…) La décentralisation ne doit pas rester ce qu’elle est, « elle doit devenir l’occasion d’un pouvoir direct véritable qui vise une réelle autogestion des provinces dans le cadre d’une nation où l’Etat n’est pas le père Fouettard jacobin, mais la garantie girondine d’une confédération des régions (p.101 ». Et d’enfoncer le clou : il faut « constituer un parlement national avec des élus des parlements régionaux qui décident des affaires qui les concernent, (…) confédérer les provinces dans un Etat girondin garantissant le caractère fédéral des décisions populaires (p.104) ».

Justement, constate Onfray, si aujourd’hui tant de Français détestent les politiciens, « c’est parce qu’ils ont compris, même confusément que la formule centralisatrice et jacobine du pouvoir a fait son temps alors qu’aucun homme politique qui se présente à l’onction du suffrage universel ne la récuse. Aucun  (p.70) (…) « Le communalisme libertaire, les élections dans les parlements régionaux, l’autogestion sur le terrain sont seuls susceptibles de fournir des contre-pouvoirs efficaces à l’effondrement de la formule jacobine de la démocratie. La politique ne doit plus être une affaire de commettants qui délèguent mais de citoyens qui décident (Postface) ».

Déficit démocratique de la France : « les citoyens doivent reprendre leur destin en main ».

Se référant au référendum de 2005 où les Français ont voté contre la formule libérale de l’Europe, mais que « la caste d’élus de droite libérale et de gauche libérale, qui se partage le pouvoir », celle qui professe « la religion du vote », a néanmoins imposée par la voie du Congrès, Onfray y voit une « rupture du contrat social ». Rupture d’autant plus profonde que le recours au référendum est à présent rangé au placard : « C’est un gadget à éviter », reconnaît Luc Ferry (1) que cite Onfray. « La haine du référendum, écrit l’auteur, voilà le marqueur du mépris du peuple et le signe du ralliement de ceux pour lesquels la raison d’Etat libéral fait la loiNous sommes entrés dans l’ère d’un totalitarisme nouveau, souriant et brutal, aimable et assassin : l’ère du néolibéralisme d’Etat qui, un comble, impose le libéralisme, qui est extension des libertés par le haut, de façon autocratique, autrement dit par la réduction des libertés (p.76) ».

Pour l’auteur, nous « vivons une fin de règne, une époque qui se craquelle, se fissure, part en gros blocs de temps en temps avant l’effondrement programmé ». Dans un système verrouillé où les candidats aux élections en sont tous « réduits à faire de la figuration », il penche pour le vote blanc. Mais celui-ci, « négligé et méprisé par la corporation politique », ne comptant pas, puisque considéré comme rien, nul, inexistant, il décide de ne plus voter du tout. 

Pour restaurer l’ordre démocratique et redonner le goût du vote et des élections, il montre plusieurs chemins : Il est nécessaire que « les citoyens reprennent leur destin en main, (d’)en finir avec la politique politicienne garantie par le vieux modèle étatique centralisé et jacobin qui a failli, (d’)obtenir que le pouvoir ne descende plus du ciel, où loge à demeure la classe politique, mais monte de la terre, où sont les hommes (49) (…) Il faut « que le peuple congédie ceux qui prétendent parler pour lui tout en lui faisant les poches (p.64)». 

Onfray « Socialiste-libertaire »

Onfray se revendique de la pensée de Pierre-Joseph Proudhon, le précurseur de l’anarchisme. Quand le gouvernement est « centralisateur, jacobin, transcendantal, écrit-il, dans ce cas-là, il a besoin d’un Etat policier, d’une soldatesque aux ordres, d’une mythologie mobilisatrice, d’une religion civique à même d’obtenir l’agenouillement citoyen, d’un peuple soumis, pour son bien, aux décisions du chef de l’Etat, roi de droit divin », et d’ajouter : « Depuis le triomphe des jacobins en 1793, nous vivons dans cette configuration politique. Mais le gouvernement peut être décentralisateur, girondin, immanent et monter de la terre des hommes. Dans ce cas-là, il n’a pas besoin d’un Etat policier, mais d’un Etat qui garantisse les libertés… (18) ». Et à la question de savoir comment on peut être gouverné sans l’être de façon jacobine, il répond simplement : « En étant soi-même sa propre loi, étymologiquement : en étant autonome (…) Le libertaire que je suis n’est pas contre l’autorité, ce qui serait vouloir le pur et simple désordre, mais pour son édification contractuelle » (p.19).

Onfray règle des comptes avec les quatre familles socialistes présentes aux présidentielles

L’auteur avoue ne pas trouver son compte « aux quatre versions du socialisme proposées sur le marché médiatique contemporain (p.29) ». D’ailleurs, pour lui, Karl Marx est « le penseur de l’Etat centralisateur jacobin (p.19) ». Il rejette tout autant :

- le socialisme des « socialistes libéraux » « comme Macron et les siens » : « Ce socialisme est le produit des renoncements de la gauche à être de gauche par Mitterrand en 1983. (Il) propose de créer d’abord des richesses pour les distribuer ensuite… mais on voit bien que ce socialisme (est) affairé à produire des richesses, à appauvrir les pauvres et à en augmenter le nombre, puis à enrichir les riches et à en diminuer le nombre en concentrant des fortunes inouïes entre les mains de quelques-uns, mais on ne voit jamais venir le jour de la redistribution (pp.29/30) » : « C’est cette gauche-là, socialiste et libérale, mondialiste et populicide, qui éructe depuis plus de trente ans : « Salauds de pauvres ! »(et) qui s’étonne des succès de l’entreprise Le Pen & Cie (p.79)» ;

- la « social-démocratie » réformiste de « Hollande et des siens », une « variation du socialisme libéral » qui laisse le marché faire sa loi. Néanmoins, elle « laisse un peu et tout est dans ce peu, à l’Etat la possibilité d’intervenir plus que dans la version précédente afin de corriger les effets de la paupérisation du système libéral »(p.30).

- le « socialisme robespierriste » de Mélenchon et des siens : « Il existe dans le panthéon des révolutionnaires français des figures authentiquement révolutionnaires qui ne pensent pas la politique en terme de guerre civile, d’ennemis à anéantir, de sang impur à verser pour abreuver les sillons, de têtes au bout de piques ou de pendus à la lanterne (31) » ;

- le « socialisme néotrotskyste » de « Besancenot, Arthaud et les leurs » : « Je compris que le NPA voulait le monopole de la parole révolutionnaire et probablement rien d’autre. Il l’eut ; il l’a. Et après ? (p.32)». 

Parlant des présidentielles, il écrit : « Ni le libéralisme jacobin de Hollande, Hamon, Macron, ni l’antilibéralisme jacobin de Mélanchon, de Nicolas Dupont-Aignan et du Front National version Philippot qui est celui de Marine Le Pen, ni le libéralisme jacobin de Fillon ne sont la solution – car ils sont le problème… (…) Tous les pantins de cette future comédie des présidentielles (le livre est sorti en février 2017), ont joué un rôle dans la politique et les gouvernements successifs qui nous ont conduits au bord du gouffre. Le peuple qui fait les frais de cette oligarchie depuis tant d’années doit reprendre la main (p.63) ». 

Des faiblesses néanmoins

Dans cette charge contre le centralisme, le modèle jacobin et l’oligarchie, « une caste d’élus » qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains, Michel Onfray fait un diagnostic pertinent. Il témoigne d’une vision claire des maux endémiques dont souffre le pays. Par ailleurs, son option pour une organisation fédérale de la France et une autogestion des régions, permettant l’instauration d’une réelle démocratie, ne peut évidemment être que saluée.

Sa démonstration comporte néanmoins deux faiblesses majeures qui plombent la portée du livre :

-       Pas un mot sur l’énarchie : A aucun moment l’auteur ne mentionne le rôle calamiteux de l’énarchie dans l’abaissement de la France. Les énarques règnent pourtant en maîtres dans tous les rouages du pouvoir et de la haute fonction publique. Cette aristocratie technocratique insoucieuse du peuple a été formatée pour assurer la continuité de l’idéologie jacobine parisienne. C’est elle l’obstacle majeur à la nécessaire « révolution girondine », dont parle l’auteur, pour décoloniser les provinces.

-       Les langues régionales sont oubliées : Hormis un bref passage (p.92) où l’auteur qualifie le « Rapport » de 1790 de l’abbé Grégoire « sur la nécessité et le moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française » de « bréviaire des ethnocides linguistiques au profit d’une culture de langue française unique » et qui se termine par cette phrase : « …les provinces passent pour arriérées, demeurées, incultes. Nous en sommes toujours là », nulle part il n’évoque la reconnaissance des langues régionales. C’est pourtant une option de l’idéologie girondine -qui prône le respect des diversités- dont il se revendique. Et pour cause, par le passé Michel Onfray a toujours été « un dévot de la langue unique », un pourfendeur des langues régionales… mais un fervent défenseur de l’espéranto (voir son article dans Le Monde du 10.7.2010 (2)(3)). Pour lui, la tour de Babel serait une sanction de Dieu pour amener l’incompréhension entre les hommes : « La multiplicité des idiomes constitue moins une richesse qu’une pauvreté ontologique et politique ». En somme, la diversité serait un appauvrissement !!!... un raisonnement abscons s’il en est. A vouloir avoir une opinion sur tout, on finit évidemment par se planter !

Pire, il voit la langue régionale comme « un instrument, un outil de fermeture sur soi, une machine de guerre anti-universelle, autrement dit un dispositif tribal (…) La langue régionale exclut l’étranger, elle fonctionne en cheval de Troie de la xénophobie, autrement (…) de la haine de l’étranger (…) Vouloir faire vivre une langue morte sans le biotope linguistique qui la justifie est une entreprise thanatophilique. Son équivalent en zoologie consisterait à vouloir réintroduire le dinosaure dans le quartier de la Défense et le ptérodactyle à Saint-Germain-des-Prés... ». Ce qui est évidemment hautement insultant pour les millions de locuteurs qui utilisent ces langues au quotidien. De plus, la référence au jurassique est totalement déplacée. Quant à la confusion qu’il fait entre langue et dialecte, elle est franchement affligeante (le breton et le corse sont des langues à part entières). Le Corse Jean-Guy Talamoni lui a répondu avec brio dans Corse Matin du 28.7.2010 en lui conseillant à l’avenir de « tourner sa langue sept fois dans la bouche » pour lui éviter de délivrer des analyses aussi bancales qu’outrancières (4).

Ces niaiseries pseudo-philosophiques concernant les langues régionales dévaluent évidemment les analyses assez pertinentes par ailleurs sur le centralisme ou le jacobinisme. Elles mettent en évidence une profonde incohérence dans les pensées de l’auteur qui offre un peu l’image du Docteur Jekyll et de M. Hyde : il y a chez lui un bon côté et un mauvais côté. Dommage !

Bernard Wittmann - 21.5.2017

 

Note : La publication de mes textes sur un site doit être soumise préalablement à mon autorisation expresse et doit impérativement mentionner la source.

(1) In Figaro du 7.7.2016.

(2)  http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/10/les-deux-bouts-de-la-langue-par-michel-onfray_1386278_3232.html

(3) http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/14/michel-onfray-devot-de-la-langue-unique_1387752_3232.html)

(4)http://jeanguytalamoni.over-blog.com/article-regard-sur-la-croisade-linguistique-de-michel-onfray-tourner-sept-fois-sa-langue-54723871.html