L’université : un des secrets de la réussite politique des Corses !

A l’université de Corte on rêve d’émancipation… tandis qu’à Strasbourg on continue de patauger dans la gadoue jacobine et germanophobe. 

Il est un fait qu’il convient de souligner et qui marque une différence fondamentale dans la lutte pour l’émancipation entre l’Alsace et la Corse : contrairement à l’université de Strasbourg connue pour ses options jacobines et germanophobes, l’université de Corte apparaît comme une véritable pépinière de militants corses dont beaucoup siègent à présent sur les bancs de l’assemblée territoriale de l’île. Certains ont même accédé à la députation. C’est qu’à l’université de Corte – 6700 habitants et 4100 étudiants - on ne badine pas avec l’identité Corse !

  • « Nous sortons de l’université et nous voulons servir la Corse » 

« Nous sortons de l’université et nous voulons servir la Corse » s’était exclamé le jeune Gilles Siméoni(1) lors de la campagne des régionales de 1996 : aujourd’hui il est maire de Bastia et président du Conseil exécutif de Corse. Depuis 2015, son mouvement Femu a Corsica, une coalition autonomiste créée en 2010, compte 17 élus à l’assemblée territoriale !!

Nombre de nationalistes corses sont en effet passés directement des amphis à l’hémicycle ! Par ailleurs, il y a quelques années, Corse-Matin (7.4.2010) avait révélé que les plus grands pourvoyeurs de candidats, voire d’élus en provenance de l’université, ont toujours été les syndicats étudiants nationalistes tous dévoués à la cause de la langue corse. Ainsi, Josepha Giacometti, doctorante à Corte et qui fut la benjamine de l’assemblée de l’île, aujourd’hui Conseillère exécutive de Corse déléguée à la culture, au patrimoine, à l'éducation, à la formation, à l'enseignement supérieur et à la recherche, est une élue indépendantiste membre du mouvement de Jean-Guy Talamoni(2) Corsica Libera, créé le 1.2.2009 à Corte et qui, depuis 2015, compte 7 élus à l’Assemblée de Corse. Dans Corse-Matin du 7.4.2010, elle expliquait déjà que son « engagement repose sur un sentiment d’appartenance (…) Je m’intéresse à l’identité en tant que levier de développement, à ce savoir-faire  qui ne concernait autrefois que la consommation familiale qui entre aujourd’hui de plain-pied dans l’économie de marché (…) Les motions que nous déposerons seront conformes à nos grandes revendications : le foncier, la citoyenneté corse qui constitue la pierre angulaire, la question des prisonniers ». 

  • « Il y a 30 ans, personne n’osait parler corse » 

Même constat chez les autonomistes de Femu a Corsica de Gilles Siméoni où l’université de Corte est également omniprésente. Ainsi, parmi les 17 élus territoriaux de ce groupe politique, se trouve un militant autonomiste de la première heure, Michel Castellani – il siégeait déjà à l’assemblée de Corse il y a 31 ans - professeur d’économie (docteur ès sciences économiques) de l’université de Corse et qui vient d’être élu député de Corse. Dans Corse-Matin (7.4.2010), mesurant le chemin parcouru, ce dernier avait déjà remarqué : « En 1982, la région c’était du bricolage (…) Nous n’avions aucune expérience de la vie politique, et nous autres, les autonomistes, on nous regardait comme des pestiférés ». En ce temps-là, se souvient-il, il s’est alors engagé comme on réagit à un signal d’alerte « spontanément ! Parce que tout s’effondrait autour de nous, en premier lieu notre culture. Depuis lors, nous avons mûri, intégré toute la complexité de la société corse. Nous avons changé, et nous constatons que les autres élus ont changé eux aussi. Il y a 30 ans, personne n’osait parler corse ». Pour l’avenir et les mandatures à venir, le professeur Castellani disait alors vouloir « œuvrer au service de la Corse, pour qu’elle se mette en mouvement sans se couper de ses racines » (jamais on a entendu un tel discours à l’université de Strasbourg !).

  • À méditer

Ces paroles et le rôle déterminant de l’université de Corte dans l’éveil identitaire de la Corse sont à méditer : de l’université de Corte, où l’on a la Corse à fleur de peau, sortent de jeunes intellectuels Corses désireux de servir leur pays, fiers de leur identité et de leur appartenance au peuple corse.

Tandis que chez nous, en Alsace, l’université de Strasbourg n’a toujours montré qu’aversion pour l’identité et la culture alsaciennes. « Éliminer toute possibilité de penser dans la langue maternelle, en lui substituant la trilogie : savoir le français, parler le français et penser en français », fut la doctrine linguistique que le recteur Sébastien Charléty, en poste de 1919 à 1927, imposa alors aux enseignants dans ses « instructions ». Dans l’ex-Kaiser Wilhelm Universität, tous les cours seront donc immédiatement dispensés en français. Du jour au lendemain, la langue régionale sera bannie de cette institution.

Notre université est ainsi toujours restée fidèle à la mission qui lui fut attribuée dès 1919 : œuvrer à l’assimilation et à l’intégration rapide de l’Alsace à la France,  développer sa vocation de fer de lance, pointé vers la Germanie, de la langue et de la culture françaises et former une élite francophile « missionnaire » dans la perspective de couper, à terme, l’Alsace de l’espace culturel germanique. Par une tradition héritée de cette époque, son corps professoral compta toujours parmi les plus chauvins de l’Hexagone. Encore en mars 1972, dans une « déclaration » commune, dite « déclaration des 96 », 92 enseignants et professeurs de l’Université ainsi que 4 doyens affirmaient toujours que la langue allemande n’était pas la « Muttersprache (sic) » des Alsaciens (3), mais bien le français (ou pour le moins le dialecte) ! Aussi, notre université n’a-t-elle produit jusque-là que des générations de déracinés prompts à endosser l’habit du dominant puisque rendues étrangères à la langue, à l’histoire et à la culture du pays ! 

Contrairement à l’université de Corte devenue un haut lieu de la revendication nationaliste corse, de l’université de Strasbourg ne sont sorties que des générations acculturées, honteuses de leur culture et de leur langue, aveugles aux ressorts bridés de leur pays, ignorantes de leurs racines et qui ne savaient se tourner que vers Paris perçu comme le nombril du monde. Au lieu de former les cadres intellectuels nécessaires à l’émancipation de l’Alsace, comme au temps du Reichsland, on n’y a formé essentiellement que de nouvelles générations destinées à assurer la relève jacobine.

Ainsi, une des causes de l’évanescence présente de la conscience identitaire alsacienne, notamment dans les milieux intellectuels, est incontestablement à chercher du côté de notre université et du rôle délétère de certains de ses universitaires jacobins et cocardiers qui y sévissent depuis trop longtemps et qui n’affichent que mépris pour l’Alsace et ses marqueurs identitaires. 

Bernard Wittmann – Historien 3.12.2017



(1) Gilles Siméoni fut membre actif de syndicat étudiant à l’université de Corse. Il est titulaire d'une maitrise de droit et d'un doctorat de science politique sur le sujet de « la politique méditerranéenne de l'Union européenne » obtenus à l'issue de ses études effectuées à l'université de Corse et à Aix-en-Provence.

(2) J.-Guy Talamoni fut reçu à l’examen du DEA de langue et civilisation corses en 1986. Avocat inscrit au barreau de Bastia (1988), il enseigna à la Faculté de droit de l’université de Corte.

(3) Une affirmation indigne d’universitaires car, partant de ce raisonnement, la langue maternelle des Badois ou des Suisses alémaniques ne serait pas non plus l’allemand ! Notons que l'emploi du terme "Muttersprache", dans un texte entièrement rédigé en français, a ici une connotation péjorative qui en dit long sur le chauvinisme et l'aversion pour l'allemand des auteurs.