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Le cas de la république jacobine française

A l’opposé, on trouve la France « une et indivisible » qui ne reconnaît qu’une seule identité : celle du groupe linguistique et culturel dominant formant une entité spirituelle. Il se distingue malheureusement par son intolérance et sa prétention à incarner à lui seul la normalité, le standard commun. Cette majorité hégémonique se veut la référence obligée qui s’impose à tous les autres peuples du pays. Elle capte tous les pouvoirs et impose sa loi aux minorités en leur déniant tant le droit de s’autodéterminer - qui n’implique pas nécessairement la sécession mais peut conduire à de simples modifications des limites administratives dans le cadre de l’intégrité territoriale du paysi -, voire seulement de s’auto-administrer, que celui de sauvegarder et de développer leurs langues et leurs cultures propres. Pourtant leur histoire est bien antérieure à la constitution de l’Etat.

 

Aussi, dans le cas du système centralisé de l’Etat-nation français, peut-on parler sans exagérer d’une « dictature de la majorité », puisque, sans partage équitable des pouvoirs, une majorité tient les minorités en état de sujétion. Or l’exigence fondamentale d’une démocratie n’est-elle pas la participation de tous aux choix cruciaux à opérer et à la conduite des affaires du pays ?

 

Par ailleurs, cette majorité refuse aux minorités des droits qu’elle porte pourtant aux nues pour elle-même instituant de facto une intolérable situation de discrimination.

Ainsi, la langue française est la seule reconnue par la Constitution : « La langue de la République est le français », stipule l’article 2. Ceci rend par là même « inconstitutionnelles » toutes les autres langues du pays dont l’enseignement pose toujours problème et qui, de ce fait, sont aujourd’hui à l’agonie. Or, une langue qui meurt, c’est une part de l’esprit humain qui disparaît. La France, triste exception en Europe avec la Turquie, n’a jamais voulu ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe ! Rappelons que l’unification linguistique fut un des objectifs premiers des jacobins de la Révolution qui, pour ce faire, dévalorisèrent systématiquement les autres langues du pays leur opposant « l’universalité de la langue française » ! Leur obsession était de créer une nation unique parlant une langue unique à partir de peuples et de nations différents.

De même, l’histoire propre des peuples allogènes de l’Hexagone est-elle absente des programmes scolaires qui ne laissent de place qu’au « roman national ». Un peuple unique, une langue unique, une histoire unique… voilà l’objectif avoué des jacobins français depuis la Révolution. Cette unicité conduit évidemment à l’appauvrissement du pays privé de l’incroyable richesse que constitue la diversité de ses identités.

 

La République jacobine est une structure pyramidale. Tout se décide au sommet où sont concentrés tous les pouvoirs. Les minorités en tant que telles ne jouissent d’aucune reconnaissance, elles sont tout simplement niées : en France, il n’y a pas de peuples originaux, il n’y a qu’une masse dépersonnalisée composée de citoyens indépendants les uns des autres ! Ce négationnisme s’exprime dans la Constitution qui consacre tant l’unicité du peuple français que celle de la langue, de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. En octobre 2014, le Premier ministre en exercice, Manuel Valls, n’a pas craint d’affirmer devant les députés réunis : « Il n’y a pas de peuple alsacien. Il n’y a qu’un seul peuple français ! ». Et le président de la République François Hollande d’enfoncer le clou en déclarant peu après, sourire aux lèvres : « L’Alsace n’existe plus ! ».

 

La refonte des Régions a été décidée par Paris seul sans aucune consultation des populations concernées par le bouleversement de leurs espaces de vie. Cette refonte s’est d’ailleurs opérée en parfaite violation de textes internationaux comme la Charte européenne de l’autonomie locale du Conseil de l’Europe pourtant signée et ratifiée par la France (ce qui lui vaudra, en 2016, d’être tancée par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europeii). En janvier 2015, l’Alsace est tout simplement rayée de la carte des Régions de France pour être diluée dans la méga-région désincarnée du « Grand Est », grande comme deux fois la Belgique. Une aberration à tous les niveaux.

Pourtant, d’après un sondage de l’Institut CSA (Conseil Sondages Analyses) d’avril 2017, 84% des Alsaciens se déclaraient toujours opposés à cette fusion-dilution et plébiscitent le retour à la Région Alsace. Ils sont 60% à se déclarer pour l’autonomie régionale. Mais à Paris, la technostructure jacobine qui gère le pays n’en a cure ! Elle a d’ailleurs des relais fidèles et dévoués pour appliquer sans état d’âme sa politique mortifère parmi les élus. Le 23 septembre 2017, quelques jours avant de démissionner, le président de la nouvelle Région « Grand-Est », l’Alsacien Philippe Richert, reconnaît devant la Commission permanente devant décider du remplacement des panneaux routiers « Région Alsace » par de nouveaux marqués « Région Grand-Est » : « il n’y a pas d’identité Grand-Est mais elle se fera avec le temps sur nos réussites communes » (Dernières Nouvelles d’Alsace 23.11.2017). C’est là un raisonnement typique de jacobin convaincu qu’une identité peut se décréter, qu’elle peut se faire ou se défaire au gré d’une décision politique. Or, une identité ne peut se construire en quelques années voire décennies et encore moins lorsqu’elle ne recouvre aucune réalité de terrain, ni humaine, ni économique, ni culturelle, ni historique, ni géographique, comme c’est le cas pour le « Grand-Est ». Elle est toujours l’aboutissement d’un très long processus historique, social, intellectuel et politique, d’un construit cumulatif qui s’inscrit dans l’histoire longue, comme c’est le cas de l’Alsace.

 

On le voit, l’idéologie nationale de la France imposée depuis deux siècles par la majorité aux peuples et minorités nationales du pays a toutes les caractéristiques d’une idéologie totalisante. Pour elle, la diversité constitue une menace pour l’unité de l’Etat qui, en conséquence, doit œuvrer à son effacement : « La France, pays de la diversité vaincue », fut le slogan de la IIIe République et des suivantes… jusqu’à ce jour ! Dans le cas français, on peut ainsi voir que, face à une majorité intolérante, la sacro-sainte règle majoritaire brandie par les démocraties peut devenir un redoutable instrument de domination et d’oppression !

 

Le système est bien verrouillé : la France est un des derniers pays en Europe à refuser d’instaurer une proportionnelle aux législatives. Les procédures référendaires, nationales ou régionales, y sont d’une rareté absolue ! Interdiction est faite aux régions d’avoir des rapports directs avec les instances européennes. Ajoutons à cela le refus d’instaurer les règles de la subsidiarité et l’on s’apercevra qu’il y a de quoi se préoccuper de l’état démocratique de ce pays : « l’idéal démocratique », dont il se revendique à tous propos, ne sert en réalité que de couverture hypocrite pour cacher une situation inique.

Et le changement n’est pas près de s’opérer car l’Etat-nation français, de par son idéologie nationale surannée le plaçant en conflit permanent avec les réalités, semble irrémédiablement fermé aux nécessaires réformes.

 

i Dans un cadre fédéral, le droit à l’autodétermination est généralement sans danger pour l’intégrité territoriale de l’Etat. D’ailleurs, pour empêcher le bouleversement de certains équilibres interétatiques indispensables, on peut lui assigner des limites, comme le prévoient les textes internationaux. Et puis, le fédéralisme offre quantité de solutions intermédiaires comme le statut de « Région-Etat » ou d’« Etat associé ». L’autodétermination ne résout d’ailleurs pas tous les problèmes. Ainsi, elle ne peut s’appliquer aux petites minorités enclavées ou aux minorités dispersées. Dans ces cas, la meilleure solution reste toujours l’autonomie.

ii Le 22 mars 2016 le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a voté un rapport regrettant « le non-respect de l'article 5 de la charte » ainsi que la réaction du Conseil Constitutionnel et du Conseil d'État (qui ont avalisé la non consultation des populations). Pour finir, il recommandait expressément à la France de « revoir le processus de consultation des représentants directs des collectivités locales et régionales ».