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Protection des minorités : un facteur de paix !

Pour l'Assemblée parlementaire du conseil de l'Europe, la minorité est un groupe de personnes qui résident sur le territoire de l'Etat, elles présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques ; elles sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses que le reste de la population de cet Etat.

L’exemple français met en évidence, mais en négatif, que la protection et le respect des minorités passent nécessairement par l’octroi de droits particuliers, administratifs, législatifs, linguistiques et culturels. Ils doivent au minimum apporter aux minorités des solutions contractuelles satisfaisantes pour assurer leur développement et la pérennité de leur identité, de leur culture et de leurs traditions : « Ce n'est que lorsque les minorités sont en mesure d'employer leur propre langue, de bénéficier de services qu'elles ont organisés elles-mêmes, et de prendre part à la vie politique et économique des Etats, qu'elles peuvent commencer leur progression vers le statut que les majorités tiennent pour acquis », peut-on lire dans un document des Nations Unies sur les droits spéciaux des minorités (E/CN.4/52, section Vla).

Pour subsister, les peuples minoritaires ont besoin de la protection de la loi et de l’octroi de pouvoirs politiques. Ainsi l’autonomie est un élément indispensable à sa protection : « Quand le groupe (minoritaire) n’a pas la maîtrise politique et administrative de ses différents secteurs, ceux-ci sont gérés à son détriment dans l’intérêt exclusif de l’ethnie dominante », écrit le professeur Guy Héraudi.

Notons qu’à l’inverse une majorité dominante dans un pays n’a pas besoin de protection et de droits spéciaux.

La protection de la minorité passe aussi par la reconnaissance identitaire et l’égalité de traitement, l'égalité étant la base nécessaire à la paix et la concorde sociale. Elle s’inscrit dans une démarche de respect des diversités et de non-discrimination. De ce fait elle va empêcher les ressentiments envers l’Etat et contribuer à l’émergence d’une société apaisée, à l’abri des tensions ethniques et donc porteuse de convivialité : « Une conscience d’appartenance, une fierté de ses origines, un enracinement culturel, en tant que facteurs de confiance en soi, fournissent de bons points d’appui pour une insertion réussie dans le tissu social »ii, note le professeur Yves Plasseraud en se référant à des philosophes français comme Sylvie Mesure ou Alain Renaud.

Cette protection est aussi indispensable à l’instauration d’une société démocratique juste et équitable sans laquelle il ne peut y avoir de stabilité politique : « ... la promotion et la protection des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques contribuent à la stabilité́ politique et sociale des Etats dans lesquels elles vivent », énonce le préambule de la « Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques »iii.

Ainsi, le degré de protection des minorités dans un pays est-il le curseur idéal pour mesurer au plus juste son degré de démocratie : les droits reconnus aux minorités sont les véritables marqueurs de l’état de la liberté d’expression dans un pays.

A l’opposé, l’absence d’une égalité de traitement et de droits particuliers garantis à toutes les composantes ethniques du pays, prises comme telles, constitue un déni de démocratie et une intolérable discrimination condamnée par de nombreux textes internationaux : « Lorsqu’au nom de l’égalité républicaine, on prive une population de sa langue historique, de sa culture, de son histoire, n’y a-t-il pas là aussi discrimination ? », s’insurge Henri Scherb, président de l’association Heimetsproch un Tradition (DNA 27.5.2008).

On peut par ailleurs noter qu’un Etat qui ne se montre pas oppressif et qui respecte tous les groupes ethniques en tenant compte de leurs valeurs culturelles, sociales et linguistiques propres est quasiment assuré d’emporter leur adhésion : une minorité respectée dans sa différence ne se révolte pas et n’aspire généralement qu’à adhérer au projet commun.

A l’opposé, la négation de son existence, la discrimination, l’impossibilité d’avoir une vie culturelle propre et l’entrave à la solidarité de groupe ont généralement pour conséquence quasi inévitable de conduire un peuple vers la révolte ou la sécession. Ainsi, la Bretagne ne s’est rebellée contre la France que lorsque celle-ci a violé les stipulations du contrat solennel fixant les conditions de son union à la France (après avoir été vaincue par les armes) et qui lui accordait son « autonomie interne » et ses libertés politiques, financières et constitutionnelles. Et durant l’entre-deux guerres, les Alsaciens n’ont engagé la fronde contre la France qu’à partir du moment où Paris décida de soumettre l’Alsace à une politique d’assimilation rapide et radicale (cf déclaration d’Edouard Herriot du 17.6.1924) : « L’essentiel n’est pas de « vivre ensemble » avec tous ceux qui nous sont proches mais de « ne pas vivre ensemble » avec un peuple qui nous domine et nous détruit », aimait à rappeler Guy Héraud en prenant le contre-pied de Ernest Renan. Dans ce sens, le droit à l’autodétermination est parfois un outil efficace pour protéger les droits légitimes des peuples ou nations sans Etat soumis à l’oppression dans différentes parties du monde : « La nation ne peut pas être une camisole de force », a reconnu le pourtant très jacobin Jean-Luc Mélanchon, chef de file des Insoumis, un mouvement de la gauche dure, à propos de la Catalogne. 

La protection des minorités et la préservation de leur identité particulière font l’objet de recommandations d’instances internationales. Elles correspondent à des normes et des principes énoncés tant par l’UNESCO, le Conseil de l'Europe (Convention-cadre pour la protection des minorités nationalesiv / recommandation n°1201/1993 de l’Assemblée) que par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Ainsi, les articles 1 et 27 du « Pacte international des Nations unies relatif aux droits civils et politiques des minorités religieuses, ethniques et linguistiques », énoncent :

. Art. 1 : Art 1: Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles.

. Art. 27 : Les droits culturels des minorités : « Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. »

La France a émis une réserve « au nom de l’universalisme républicain ». Elle a tenu à rappeler qu’elle est une république « une et indivisible » et affirmé que les minorités y jouissent des mêmes droits que l’ensemble de leurs concitoyens. De ce fait, elle n’est pas légalement liée à cet article. En 2008, le Conseil économique et social des Nations unies  a « recommandé » au gouvernement français de retirer cette réserve... Sans succès !

Le 24 janvier 2015, ce texte a été ratifié par 168 Etats. En Europe, les droits énoncés dans les articles 1 et 27 du Pacte ne sont pas reconnus par la France, la Grèce et la Turquie.

Bernard Wittmann – Historien 1.10.2017

 
  1. Dans un cadre fédéral, le droit à l’autodétermination est généralement sans danger pour l’intégrité territoriale de l’Etat. D’ailleurs, pour empêcher le bouleversement de certains équilibres interétatiques indispensables, on peut lui assigner des limites, comme le prévoient les textes internationaux. Et puis, le fédéralisme offre quantité de solutions intermédiaires comme le statut de « Région-Etat » ou d’« Etat associé ». L’autodétermination ne résout d’ailleurs pas tous les problèmes. Ainsi, elle ne peut s’appliquer aux petites minorités enclavées ou aux minorités dispersées. Dans ces cas, la meilleure solution reste toujours l’autonomie.
  2. Le 22 mars 2016 le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a voté un rapport regrettant « le non-respect de l'article 5 de la charte » ainsi que la réaction du Conseil Constitutionnel et du Conseil d'État (qui ont avalisé la non consultation des populations). Pour finir, il recommandait expressément à la France de « revoir le processus de consultation des représentants directs des collectivités locales et régionales ».

  3. Guy Héraud, L’Europe des ethnies, Presses d’Europe, Paris, 1963, p.102

  4. Source « Elsass Journal » 21.5.2017

  5. Préambule de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques - Adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1992 (résolution 47/135)

  6. Entrée en vigueur en 1998 et que la France n’a pas signée.