COMMENT LE KAISERPALAST FUT SAUVÉ IN EXTREMIS DE LA DÉMOLITION EN 1957

L’histoire du sauvetage du Palais du Rhin à Strasbourg par le secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin Maurice Roche porte témoignage du mal qu’ont pu faire à notre pays la bêtise et le fanatisme nationaliste de certains patriotes alsaciens de l’après-guerre alors aux manettes.

Le pasteur Charles Altorffer (1881-1960) était de ceux-ci, de même que Charles Frey et Pierre Pflimlin. Ce francophile invétéré, résistant gaulliste et nationaliste borné, prend, au décès de Charles Frey, survenu le 14.10.1955, sa succession comme maire de Strasbourg, jusqu’au 14 mars 1959, date où il cède sa place à Pierre Pflimlin. On lui reconnaît néanmoins un bilan de mandat assez positif dans le domaine social.

Le patronat alsacien souhaite la disparition de certaines dispositions sociales de notre droit local

 

Notre droit local est une épine dans le pied des jacobins de Paris, ça on le savait. Mais il n’y a pas que les jacobins qui voudraient en finir avec lui. Dans un article des DNA du 2.6.2016, le patronat alsacien (MEDEF, CGPME, UPA) vient, à son tour, de passer à l’offensive contre des dispositions sociales de notre droit local. Le voilà sorti du bois !

En effet, dans cet article, on apprend qu’il se dit prêt à cotiser au régime local… contre l’abandon des 2 jours fériés supplémentaires dont bénéficient les Alsaciens-Mosellans et celui des 3 jours de carence !! Sa stratégie de sape est à présent dévoilée. 

Article paru dans les DNA du 2.6.2016

 

Pour bien comprendre la manœuvre, un petit historique s’impose :

Le 14 juin 2013, une loi était publiée à Paris portant sur la généralisation des complémentaires santé, co-financées par les salariés et le patronat.

Or, en Alsace-Moselle le régime local rembourse déjà les frais de santé en complément de la sécurité sociale non seulement pour les salariés mais pour les familles, les chômeurs, les invalides et les retraités soit 2,1 millions de nos concitoyens. Ce régime  géré avec rigueur depuis 70 ans, y est financé par les seuls salariés (gestionnaires du régime). Il en résulte une inégalité de financement au détriment des salariés affiliés au régime local qu’il conviendrait de supprimer par le versement d’une cotisation par l’employeur.

Mais malheureusement le 13 mai 2016, après qu’une mission parlementaire alsacienne-mosellane ait prôné le maintien du dispositif existant en Alsace-Moselle (raison invoquée : on ne peut toucher au droit local), un décret est venu entériner le statu quo du régime local. Contrairement au patronat français, le patronat alsacien-mosellan se trouve ainsi dispensé de cotiser au régime local.

De leur côté, les organisations de salariés souhaitent unanimement sortir de cette situation figée qui, à la longue, risque de mettre en danger l’avenir du régime local. Ils revendiquent l’évolution du régime local permettant d’aligner ses prestations sur celles du panier de soins minimum de la loi du 14 juin 2013 ainsi qu’un mécanisme de cotisations équivalent entre salariés et employeurs comme dans le reste de la France. 

Ces explications permettent de mieux comprendre la stratégie du patronat alsacien-mosellan pour déconstruire petit à petit certaines avancées sociales de notre régime local, à commencer par la plus emblématique, à savoir les deux jours de congés supplémentaires dont bénéficient les Alsaciens-Mosellans.

On s’aperçoit à présent que la mission parlementaire, en se cachant derrière le paravent du Conseil constitutionnel, a bel et bien œuvré dans le sens des intérêts du patronat alsacien-mosellan et non celui des salariés. Cela méritait d’être dit. En attendant, continuons à demander l’élargissement du régime local !

 

Bernard Wittmann – 6.6.2016

 

LETTRE OUVERTE A MES AMIS AUTONOMISTES : PLACER LE CURSEUR PLUS HAUT.

 

Quelques rappels et un constat : 

C’est à présent un fait acquis : Paris veut en finir définitivement avec l’Alsace et ses particularismes. La fusion-annexion imposée sans aucune consultation des populations aura révélé, une fois de plus, tant l’incroyable mépris dans lequel les Alsaciens sont tenus que le dessein assassin de Paris ! Les affronts qui nous ont été infligés ne se comptent plus :

- Le 14 octobre 2014, le Premier ministre Valls affirme, plein d’arrogance, à l’Assemblée qu’ « il n’existe pas de peuple alsacien » ;

- Le 12 novembre 2015, le Secrétaire d’Etat à la Réforme territoriale, André Vallini, répond aux représentants d’Unser Land, venus réclamer un référendum sur la fusion au nom des 117000 électeurs signataires de la pétition « Alsace retrouve ta voix » et en application des engagements internationaux de la France[1], que « le peuple (alsacien) manquait de maturité pour utiliser de façon pertinente cet outil de démocratie directe » (un référendum est pourtant prévu pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : les Bretons de la Loire Atlantique seraient-ils plus matures que les Alsaciens ?).

- Et voilà que le 7 avril 2016 à Metz[2], le Président de la République lui-même se lâche. Face à deux représentants du Parlement alsacien des jeunes (Paj) qui évoquent les difficultés de l’Alsace par rapport à la grande région, François Hollande se gausse de la disparition de notre pays : « L’Alsace n’existe plus, c’est maintenant le Grand Est ! », leur lance-t-il (cf DNA 18.4.2016). Négationnisme d’Etat et arrogance du dominant conjugués ! Peut-on imaginer pire mépris pour l’Alsace, une région pourtant bien antérieure à la France ?

Là, ça fait vraiment beaucoup, beaucoup trop ! De nombreux Alsaciens expriment alors leur ras-le-bol face aux dénis de réalité et aux provocations en cascade de Paris. Certains du mouvement alsacien songent même à l’organisation d’une grande marche contre le mépris et pour le respect de nos droits.

A présent, le démantèlement de l’Alsace est engagé : notre pays est déconstruit impitoyablement pierre après pierre. Mois après mois, des services, des industries, des organismes professionnels, des centres de recherche, des centrales syndicales… quittent l’Alsace ou se réorganisent en fonction du méga-cadre régional imposé par Paris. Et ce n’est qu’un début ! Aussi est-il temps que les Alsaciens se réveillent et se posent quelques questions basiques qui contiennent en elles-mêmes les réponses :

-       Qu’avons-nous à attendre d’un pays qui ne pense qu’à nous dominer, à nous déraciner et, pour finir, à nous détruire (rappelons, par exemple, qu’après des décennies de lutte, notre langue, que la France s’applique à faire mourir, n’a toujours pas de statut, qu’on nous somme toujours d’oublier notre histoire et de renoncer à tout ce qui fait notre spécificité et notre originalité) ?

-       Quels espoirs le peuple alsacien peut-il placer dans un pays dont l’idéologie nationale ignore la démocratie participative et dont les institutions, placées au service de la culture dominante, perpétuent une situation de colonialisme intérieur ?

-       Quel avenir pouvons-nous espérer soumis à un rapport de force permanent où une majorité oppressive, qui s’est emparée des manettes du pouvoir, nous dénie tout droit à la reconnaissance, à une existence propre, et ne nous offre comme seule perspective d’avenir que l’assimilation totale, c’est-à-dire notre disparition en tant que peuple ?

-       Et, subsidiairement, qu’est-ce donc que cette République où un Président et son Premier ministre s’arrogent le droit de décréter la non-existence d’un peuple et celle d’une région millénaire connue de toute l’Europe ?

 

La République jacobine : un Etat oppressif

Soyons-en bien conscients : les Alsaciens sont face à un Etat gangrené par une idéologie unitariste, égalitariste et assimilationniste, celle-là même qui fonde les Etats totalitaires. Le dessein de cet Etat oppressif, ouvertement assumé, est de leur faire abdiquer leur identité dans un processus de « digestion » qui les rayera définitivement de la carte des peuples. Il les traite non en citoyens majeurs capables de décider par et pour eux-mêmes, mais en sujets politiquement immatures incapables de juger et de savoir ce qui est bon pour eux (cf. le diktat de la fusion). 

C’est que la France est une construction idéologique, un Etat-amalgame où une majorité indifférenciée, intolérante, servie par un système oligarchique de caste régi par « l’entre-soi » jusqu'au plus haut niveau de l’Etat, impose sa loi aux peuples minoritaires en les soumettant à la dictature du plus grand nombre et en verrouillant le débat ! Les concepts démocratiques y sont dévoyés, le peuple est objet de suspicion et le slogan républicain français « liberté, égalité, fraternité », n’est en réalité qu’une couverture hypocrite pour cacher une situation coercitive : « Ce pays ne tient que par la force », déplorait déjà Alexis de Tocqueville. D’ailleurs, quand Manuel Valls, jacobin fanatique pour lequel « enracinement » est un gros mot, affirmait devant l’Assemblée l’inexistence du peuple alsacien, il ajoutait sous forme de mise en garde, en fronçant les sourcils : « La France est une et indivisible ! »… qu’on se le dise !

Dans cette monarchie républicaine française où le président remplace le roi, la démocratie consiste à donner pour seule prérogative au citoyen la possibilité de glisser un bulletin dans une boîte une fois tous les cinq ans, le recours au référendum étant tout à fait exceptionnel. L’usage  régulier du « 49.3 » que font tous les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, est une autre marque du déficit démocratique qui ronge ce pays. Il en résulte une désaffection croissante des électeurs pour les élections, pierre angulaire de toute démocratie. Ainsi, en mai 2016, lors des élections législatives partielles dans la 1ère circonscription de Strasbourg, dans certains bureaux de vote le taux d’abstention aura été de plus de 90%[3] !! La participation ne fut que de 20%, soit un taux d’abstention global de 80%. Au final, le candidat du PS ne fut élu que par 10% des électeurs inscrits ! Dans un pareil cas, quelle est sa légitimité représentative ?

Par contre, il y a un vote qui se porte de mieux en mieux : c’est le « vote par les pieds » ! En effet, de plus en plus de jeunes Alsaciens choisissent de quitter leur Heimat pour aller s’installer sous d’autres cieux plus cléments, moins politisés, moins névrosés, moins sclérosés, plus ouverts et offrant un meilleur avenir professionnel[4]. Ces jeunes ne croient plus à la capacité de la France de leur offrir un meilleur avenir : ils fuient tout simplement un système politique oppressant qui ne marche pas ! 

Dans un pays harmonieux, fondé sur le respect de la démocratie et de l’identité de toutes ses composantes, l’unité et l’indivisibilité ne se décrètent pas d’en haut par le fait du prince. Elles résultent d’une acceptation naturelle, d’une adhésion de tous qui « coule de source » : un Etat qui n’est pas oppressif et qui se montre respectueux de toutes ses composantes est sûr de recueillir le consentement et l’adhésion de tous ! Dans une démocratie aboutie, où les peuples allogènes sont affranchis de toute contrainte exogène et considérés comme adultes et responsables, l’indivisibilité, comme d’ailleurs l’appartenance nationale, ne peut être dictée et imposée de manière contraignante, elle résulte d’un choix librement consenti, « d’un plébiscite de tous les jours » (dixit Renan).

On peut d’ailleurs relever les contradictions historiques de nos jacobins héritiers des révolutionnaires de 89. Ces derniers n’eurent de cesse de vilipender la tyrannie des rois… tout en assurant la continuité en sacralisant immédiatement le pré-carré hérité des « tyrans », tracé à coup de sabre, de canon, de guerres de conquêtes sanglantes et de tractations diplomatiques où la volonté des populations n’avait pas droit à l’expression. Il n’est que de voir la brutalité de l’annexion de l’Alsace, où les républiques urbaines ont résisté pendant plusieurs décennies au pouvoir royal : les Alsaciens voulaient garder leurs libertés en restant dans l’Empire et n’aspiraient nullement à devenir des sujets royaux ! Pour tenter de justifier ces amalgames territoriaux rassemblant, contre leur volonté, des peuples aussi disparates que les Alsaciens, les Corses, les Basques ou les Bretons, l’historien républicain Jules Michelet (1798-1874) dira que « la royauté, en unissant de force ces provinces à la France, réalisait à leur insu leur véritable aspiration »[5] !

Nous ne sommes donc plus ici dans le cadre de la réflexion de Renan, une icône républicaine, qui fonde la nation sur « la volonté de vivre ensemble ». Dans la configuration française, le contrat de la nation, théoriquement basé sur le consensus, est rompu. C’est le règne de la contrainte, imposée par une idéologie d’essence totalitaire élevée au rang de religion.

Il apparaît ainsi clairement que même la revendication d’une simple autonomie administrative finit par devenir un rêve impossible. Le droit de résistance à la domination et à l’assujettissement doit alors s’appliquer. Dans une tribune du Monde (31.8.200), à propos de la Corse, feu Michel Rocard a tenu à le rappeler expressément : "Le droit à la résistance à l'oppression est un des droits fondamentaux de l'homme et du citoyen".

 

Un projet politique émancipateur

Quand la confiance est ébranlée, quand l’attachement et l’affectif sont anéantis, quand il n’y a plus de perspective d’avenir en commun, quand le mépris empêche l’écoute et le respect, quand la tolérance à l’égard des différences est absente, il faut savoir tourner la page et envisager d’autres alternatives. Dans ce système qui asservit et nous broie, il n’y a point de salut pour nous, Alsaciens attachés à notre identité et notre patrimoine !

Dans le cadre de l’Etat jacobin français, « le peuple alsacien n’existe pas », alors sortons de ce cadre et de ce contexte de défiance voire d’hostilité et allons notre propre chemin. Celui-ci passera impérativement par une Constitution dont nous nous serons librement dotés. Engageons-nous sur la voie qui nous permettra de disposer de nous-mêmes, d’opérer nos propres choix et de nous doter d’un régime qui soit vraiment démocratique. Nous ne nous en porterons que mieux à tous les niveaux, notamment économiques.

Elaborons un projet politique pleinement émancipateur pour assurer à notre peuple la pérennité, l’accès à la responsabilisation, la possibilité de décider souverainement de son avenir et de la sauvegarde de tout ce qui fait son identité et sa richesse : « N’en déplaise à Renan, l’essentiel n’est pas de « vivre ensemble » avec tous ceux qui nous sont proches mais de « ne pas vivre ensemble » avec un peuple qui nous domine et nous détruit », aimait à rappeler mon ami le professeur Guy Héraud. En effet, le droit à l’autodétermination des peuples possède de profondes racines historiques. Il est reconnu universellement, notamment dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948, et figure toujours à l’ordre du jour des Nations-Unies !

 

Dénoncer ne suffit plus, il faut proposer une alternative

Mais à présent, après cette fusion scélérate qui, en effaçant l’Alsace de la carte des régions, place les Alsaciens sur le chemin de l’errance, dénoncer ne suffit plus. On ne peut plus se satisfaire du statu quo institutionnel, ni s’en remettre éternellement au bon vouloir de Paris. Nous sommes à présent arrivés à un tournant où il nous faut revoir nos positions : avec la suppression de la région Alsace, la revendication de l'autonomie n'a plus de cadre de référence pour s'exprimer. Comment exiger plus de compétences pour une région qui n'a plus d’existence officielle ? Absurde !

Il faut donc placer le curseur plus haut et, comme les Corses ou nombre de Bretons et de Basques, envisager de tracer notre propre voie : l’option de l’autonomie négociée et accordée librement par l’Etat n’a aucune chance raisonnable d’accomplissement.

Assez de morgue et de mépris ! Le moment de réclamer le droit à disposer de nous-mêmes est arrivé. Les Alsaciens ne peuvent être réduits à une simple « propriété » de la nation française, taillable et corvéable à merci : « Une nation n’a, pas plus qu’un roi, le droit de dire à une province : Tu m’appartiens, je te prends », tient à préciser Ernest Renan, celui-là même qui est à l’origine de la conception « française » de la nation ! 

Par ailleurs, ce pays déclinant, vivant au-dessus de ses moyens et qui n’a plus de l’ex-« Grande Nation » que l’arrogance[6], a maintes fois montré son incapacité à se réformer, à s’ouvrir à la démocratie participative et au principe de subsidiarité. Aux mains d’une caste d’idéologues fanatisés, incapables de remiser leurs dogmes éculés dont les fondamentaux datent du XVIIIe siècle, la France semble définitivement figée ! Fermée au respect de la pluralité des identités du pays, la République jacobine, par son monisme et son égalitarisme forcené (sauf pour les langues régionales auxquelles on refuse la co-officialité), empêche la fécondation mutuelle des cultures et ne cesse de s’appauvrir : Marianne a perverti le principe d’égalité en le confondant avec l’égalitarisme ! Dans un article consacré aux langues régionales, publié en 2001, Jean-Marie Woehrling souligne qu’à l’étranger, « le principe d’égalité est compris comme exigeant certes un traitement égal de situations identiques, mais aussi un traitement différencié de situations dissemblables ».

 

Un système qui engendre la défiance

Les jacobins tiennent le peuple en suspicion et dédaignent l’écoute et le dialogue. Ils ignorent la voie qui mène au consensus et préfèrent ordonner, règlementer et imposer d’en haut selon un système pyramidal, entraînant ainsi un état d’assujettissement du citoyen : la société française est une société totalement corsetée !

Cette idéologie étatiste ennemie du pluralisme génère ainsi des tensions, des frustrations et des injustices qui plombent le vivre ensemble. Au final, elle engendre partout de la défiance et crée ainsi une situation malsaine : tout le monde se méfie de tout le monde ! En effet, l’étatisme du modèle français marqué par le centralisme et un très fort dirigisme, inhibe les solidarités horizontales, complique les coopérations et empêche le dialogue social de se nouer normalement : « Le modèle social français, qui n’était peut-être au départ qu’un accident de l’histoire, risque d’éroder inexorablement la capacité des Français à vivre heureux ensemble s’il n’est pas réformé en profondeur », concluent les deux économistes Yann Algan et Pierre Cahuc[7]. Ce n’est pas pour rien que les Français sont les citoyens les plus déprimés de la planète : depuis des décennies, la France est en état de dépression collective permanente. 

Ajoutons encore en passant que le contrat de citoyenneté ne peut être établi sur une base saine dès lors qu’une politique d’assimilation systématique est mise en œuvre, ne serait-ce que sur une partie du territoire.

 

Aucun espoir de changement

Dans ce pays en arrêt d’évolution où tout est idéologisé et qui ne cesse de s’enliser, tout espoir de changement apparaît comme vain : la « République du réel » que nous voulons et qui s’appuie sur la force de ses territoires historiques se fait décidément trop attendre ! D’autant que la régionalisation promise depuis des décennies n’est jamais venue. Au contraire, depuis quelques années on assiste à un rétropédalage, à un retour vers la centralisation. Il n’est que de voir le cas breton : depuis 44 ans, les Bretons se battent sans relâche pour que la Loire Atlantique réintègre la région Bretagne… en vain ! Il s’agit pourtant d’un territoire historique de la Bretagne qui lui fut arbitrairement retiré en 1972[8], sans qu’aucun habitant ne soit consulté. En outre, les sondages montrent régulièrement que 70% des habitants de la Loire Atlantique souhaitent ce retour à la Bretagne. Mais rien n’y fait : Paris dit invariablement niet et refuse tout référendum sur la question !

Plus au sud, il y a les Basques qui depuis des décennies réclament unanimement la création d’un département basque et qui ne voient toujours rien venir. Enfin, il y a toutes les promesses jamais tenues. Nous ne citerons que la ratification de la Charte européenne des langues ou le renforcement de la régionalisation, deux promesses du candidat Hollande qui se sont envolées. Le mur jacobin tient bon !

Cependant, à nos portes, en Suisse et en Allemagne, nous avons devant nos yeux des modèles qui réussissent et dont il faudrait s’inspirer. Notre disgrâce d’appartenir à la France n’en apparaît ainsi que plus cruellement.

En Suisse, démocratie aboutie, il y a une « mentalité suisse », symbiose de celles de plusieurs peuples ayant conservé chacun son originalité à travers un système respectueux de toutes les différences notamment de langues et cultures… Ce qui en fait une vraie nation au sens « renanien » ! Rien de tel en France où une « ethnie [9]», en réalité une caste socio-culturelle hors sol, majoritaire impose sa mentalité, sa grille de lecture, ses caractéristiques culturelles, son histoire, ses héros et sa langue à l’ensemble du pays sans considération, ni respect pour les autres peuples. Elle se place sur un piédestal, porte sa langue aux nues et, dans le même temps, nous toise en nous déniant toute reconnaissance : « la langue de la République est le français », précise l’article 2 de la Constitution. C’est dire que les autres langues du pays comptent pour peanuts ! En Alsace, elle refuse obstinément la généralisation de l’offre bilingue dans nos écoles, avec la conséquence de couper ensuite nos jeunes du marché du travail allemand qui pourrait être un eldorado pour eux. Aussi, ne perdons jamais de vue qu’« ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » !!

Par ailleurs, les Alsaciens doivent vibrer aux récits du roman national mettant en scène des héros qui ne sont pas les leurs ou qui, comme Vercingétorix, le chevalier Bayard ou Jeanne d’Arc, leur sont totalement étrangers : Paris entend choisir nos héros et, à l’opposé, décider de qui doit être interdit de mémoire, pour avoir résisté en rêvant d’une Alsace émancipée. Les personnalités politiques d’envergure qui se sont battus pour une Alsace autonome, les Ricklin, Haegy et autres Rossé sont ainsi effacés de la mémoire collective.

Le comble : par le biais de l’impôt, les Alsaciens sont même contraints de financer la politique d’assimilation portée par un système scolaire missionné pour œuvrer à leur propre déracinement. 

Pour comprendre que nous sommes arrivés à un point de rupture, posons-nous simplement deux questions :

- Qu’est-ce que la France a apporté à l’Alsace ? Réponse : très peu !

- Qu’est-ce que l’Alsace, a apporté à la France ? Réponse : beaucoup ! En effet, notre pays avec sa population laborieuse est régulièrement mis à contribution pour assurer les dépenses de prestige de Marianne, éponger les factures de ses gabegies, payer les pots cassés de ses rêves de grandeur, financer ses projets impérialistes à travers la planète, participer aux énormes dépenses militaires… Pourtant l’Alsace est elle-même en grande difficulté économique : croissance record du chômage, désindustrialisation, finances asséchées, infrastructures obsolètes, paupérisation des masses populaires, etc.

 

Faisons le choix de la liberté

Aussi, ne soyons pas des autonomistes contrariés par l’absence d’horizon, acceptant le joug comme une fatalité. Ne nous résignons pas à plier l’échine dans l’attente du grand soir où la France voudra bien renouer avec le réel et faire son mea culpa… qui ne viendra probablement jamais. Avant qu’il ne soit trop tard, prenons un nouveau cap et faisons le choix de la liberté, de la responsabilisation et de la dignité en rompant avec l’emprise française : la France n’est pas une construction divine immuable ! Brisons les barrières mentales et les barbelés idéologiques, plaçons-nous dans une logique de rupture dictée par l’instinct de survie et prenons notre envol. Notre aspiration, en tant que peuple, au respect et à la reconnaissance est parfaitement légitime.

Choisissons un chemin qui va nous élever et prenons exemple sur tous ces peuples courageux qui nous entourent : Ecossais, Catalans, Gallois, Sud-Tyroliens, Flamands, Corses, Basques… Il y a déjà quatre territoires en Europe où des partis nationalistes dirigent les institutions locales[10]. Le SNP écossais vient une nouvelle fois de remporter haut la main les élections pour le parlement écossais. 

Tout en restant dans le jeu politique français pour pouvoir convaincre et délivrer notre message, concevons une voie de sortie pour le futur, une voie émancipatrice pour avoir à nouveau une emprise sur notre devenir. Engageons-nous dans la voie qui, demain, nous permettra de nous doter d’un régime et d’institutions que nous aurons choisis pour nous-mêmes. Ouvrons ce chantier passionnant et engageons dès à présent la réflexion sur le futur de notre pays, débarrassé des entraves paralysantes du système politique français qui nous empêche de libérer nos énergies et de développer des coopérations et des stratégies tournées vers l’espace rhénan, notre espace de développement naturel. Et surtout, ne nous laissons pas séduire par les sirènes aguicheuses du FN qui, face au silence assourdissant de nos élus, promettent de « nous rendre l’Alsace » : « Seule Marine nous rendra l’Alsace – Marine Le Pen reviendra aux anciennes régions en cas de victoire en 2017 », clame une affiche du FN (Fédération du Bas-Rhin). Ainsi, pour garder espoir d’un retour à la Région Alsace, faudrait-il s’en remettre aux promesses chocolat du FN, un parti jacobin et « départementaliste »? Nein danke !!     

                                                           

Duplicité du FN, un parti jacobin et "départementaliste".               Le FN contre les langues régionales (DNA oct. 2015).

                                                                                                                               

De toute façon, avec la mondialisation, la libre circulation des hommes et l’interpénétration des économies, les Etats-nations à la française crispés sur leur souveraineté et leur nationalisme désuet n’ont plus d’avenir. De même, l’Europe des Etats souverains est vouée à l’échec ! Seule l’Europe fédérale des régions, qui représentent des espaces naturels historiques habités d’hommes façonnés en communauté de vie originale, de conscience sociale et de culture, pourra être la solution pour un futur commun en Europe. Le Grand Est, construction technocratique typiquement jacobine ignorante des réalités historiques, géographiques, économiques et humaines, n’a évidemment pas sa place dans cette construction. Ajoutons aussi que l’Europe intégrée, dont beaucoup d’entre nous rêvent, sera bien sûr celle des régions… ou alors, elle ne sera jamais !

 

« Peuple » et « minorité nationale »

La notion de « peuple alsacien » acceptant l’appartenance étatique à la France faisait jusque-là l’unanimité dans nos rangs. C’était ma position depuis 48 ans !! Mais la fusion-annexion et le refus de nos élus inféodés au système de nous défendre ont changé radicalement la donne.

Différente est la notion de « minorité nationale » qui suppose un choix vers une émancipation totale, sans toutefois passer nécessairement par celui de la sécession (le fédéralisme offre quantité d’alternatives comme, par exemple, celle d’un Etat associé, d’un Land). Pour les Alsaciens, la première étape de ce processus d’émancipation pourrait être l’exigence d’une Constitution pour l’Alsace (impliquant, dans un premier temps, la « résurrection » de la Région Alsace). Commençons donc par centrer notre action sur cette revendication première, la souveraineté étant l’objectif ultime. C’est l’axe de réflexion que je propose pour le futur.

Cependant, il convient de relativiser cette différence. Un « peuple » peut se satisfaire de la reconnaissance de sa différence au sein d'un Etat composite. Une « minorité nationale » vise à s’affranchir de toute contrainte extérieure en se dotant d'une structure d'Etat sur son territoire. Pour simplifier, une « minorité nationale » est un « peuple » qui, s’estimant mal traité par l’Etat dont il relève, aspire à voler de ses propres ailes en s’attribuant la maîtrise totale de son destin à travers une constitution et une organisation politique et administrative propres.

Un peuple nié ou par trop phagocyté dans un Etat et qui veut se doter d’un cadre propre pour sauvegarder son identité et développer sa culture originale, peut donc parfaitement et légitimement s'ériger en « nation de volonté » (à la condition qu’il puisse s’exprimer librement et lucidement). Le basculement de la revendication de « peuple » à celle de « minorité nationale » est donc aisé.  

D’ailleurs, au sein d'un parti autonomiste, ces deux tendances doivent parfaitement pouvoir coexister[11], les uns désirant simplement aller plus loin que les autres dans leur désir d'émancipation.

 

Le chantier passionnant qui nous attend

Mais si l’on fait le choix de la « minorité nationale », il est évident qu’il faut d’abord travailler à constituer la nation avant de vouloir l’organiser. En priorité, il faut donc œuvrer à lui donner corps en redonnant au peuple, pris dans toute sa diversité, le sens de son identité, son bien le plus précieux dont la langue est le pilier, et la fierté d’une profondeur historique. Celle-ci passera par la réappropriation de son histoire car, comme le soulignait Ernest Renan : la mémoire est obligatoire car, sans elle, il n’y a pas de réunion possible des individus en une nation. Partant de là, on comprend mieux pourquoi nos maîtres parisiens déploient tant d’efforts pour nous faire oublier notre passé.

A l’égard de la fraction aliénée, nous devrons faire acte de tolérance, de persuasion et de pédagogie et lui « ouvrir les yeux » pour que s’accomplissent dans la sérénité, par la réflexion intérieure et une meilleure connaissance de l’histoire, les processus souvent lents de désaliénation, puis de reconscientisation (les nationalistes Corses ont mis 40 ans pour y arriver !). Car la fondation d’une nation doit résulter impérativement d’un acte de volonté, d’un désir partagé. Aussi, devrons-nous d’abord nous attacher à convaincre nos concitoyens que la voie de l’émancipation est la meilleure, la seule qui vaille. Puisque le mur jacobin nous empêche d’avancer par les institutions, il faut alors le faire sur le terrain en persuadant les Alsaciens de la justesse de nos arguments. 

Le chemin sera sans doute long, semé d’embûches et de chausse-trapes. La principale difficulté sera de ne pas perdre espoir et de toujours garder le cap. Et pour cela, il suffit de nous rappeler que le SNP écossais ne faisait que O,3% des voix en 1959, alors qu’il représente aujourd’hui la première force politique du pays, et de loin. Idem pour la coalition autonomo-indépendantiste corse dont les composantes ont livré une bataille de 40 ans pour s’imposer à la tête des instances de gestion du pays ! Les germinations sont toujours longues.

Il nous faudra aussi éviter l’écueil de l’utopisme en restant toujours collés aux réalités humaines et économiques et en intégrant de la souplesse dans la revendication d’autodétermination. Celle-ci pourra être acquise par étapes successives à partir d’une Constitution propre et selon une feuille de route négociée.

Surtout, ne versons pas dans le nationalisme agressif de nos jacobins, allons vers un « nationalisme humaniste » (dixit Prof. F. Fontan) ouvert aux autres : pas de chauvinisme, pas de rejet de l’autre, pas d’enfermement… juste la fierté d’une liberté reconquise !

Sachons réclamer sereinement et simplement notre « droit de sortie » de cette « prison des peuples » qu’est devenue la France jacobine, régulièrement condamnée pour manquement aux règles européennes touchant aux droits de l’homme ! Baliser le chemin vers un avenir de liberté, c’est la tâche ardue qui nous attend à présent. Un cercle de réflexion sur la question serait la première des démarches à effectuer. 

Et surtout n'oublions pas ceci : rien ne peut avoir raison d'un peuple qui veut se libérer pour exister.

Risse d'Fenschter uff un werfe d'Kette weg !

Bernard Wittmann – 2.6.2016

 

[1] En mars 2016, la France fut d’ailleurs condamnée par le Conseil de l’Europe pour avoir violée l’article 5 de la Charte de l’autonomie locale pourtant ratifiée par elle.

[2] En marge du 18e Conseil des ministres franco-allemand, lors d’un entretien avec 2 représentants du Paj.

[3] DNA 1.6.2016.

[4] Il n’y pas que les jeunes Alsaciens qui partent : un sondage IFOP-Deloittre de 2013 a montré que 27% des jeunes Français envisagent de quitter la France pour mieux réussir leur vie.

[5] Jules Michelet, Tableau de la France, p.76.

[6] « La France est toujours lumière pour l'humanité », a déclaré François Hollande dans son discours de Versailles en décembre 2015. Une arrogance qui laisse pantois (Cf. La Croix du 2/12/2015).

[7] Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance, éd. CEPREMAP, 2016, p.14.

[8] La Loire Atlantique fut retirée arbitrairement de la Bretagne en 1972 par le truchement de la création des Pays de Loire. Rappelons que Nantes est la capitale historique de la Bretagne.

[9] Définition du mot ethnie dans le Dictionnaire actuel de la langue française (Flammarion) : « Groupement humain caractérisé par des traits culturels communs ».

[10] De son côté, l’Alliance Libre Européenne (ALE) associée aux Verts compte 50 députés au Parlement européen et défend le droit d’auto-détermination sous toutes ses formes. L’ALE regroupe 45 partis provenant de 18 Etats membres de l’UE.

[11] On trouvait d’ailleurs ces deux tendances dans le mouvement autonomiste de l’entre-deux guerres : Heimatbund, Communistes, Fortschrittspartei et Landespartei souscrivaient à la notion de « minorité nationale », tandis qu’à la Volkspartei c’est plutôt celle du « peuple alsacien » qui l’emportait.