Rot un Wiss : le drapeau historique de l’Alsace
« Il ne peut y avoir de pays sans drapeau. » [1] - Michel Pastoureau- historien.
Les couleurs rouge et blanc associées sont enracinées dans la longue histoire de l’Alsace. Elles sont le plus ancien marqueur d’identification de l’Alsace puisqu’elles remontent au tréfonds de notre histoire médiévale. En effet, dès le XIe s., l’armée du premier duc de Lorraine, Gerhard d’Alsace (1024-1070), un descendant du duc Etichon-Athic d’Alsace d’après l’historien J.-Daniel Schöpflin, arborait les deux bannières rouges et blanches. Ces deux couleurs figurent également dans les armoiries du Nordgau, utilisées à partir de 1262 par le Landgraf issu des comtes de Werd.
Elles figurent de même dans les armoiries des plus grandes familles nobles alsaciennes comme les Andlau, les Geroldseck, les Ochsenstein, les Rappolstein, les Lichtenberg, les Wangen, les Wasigenstein… On les retrouve également dans les armes des évêques de Strassburg[2] ou dans celle des Habsburg, d’origine alsacienne.
Armoiries des princes-évêques de Strasbourg
Couleurs alémaniques traditionnelles, elles se retrouvent dans la plupart des armoiries de nos villes : Mülhausen, Ensisheim, Gebweiler, Schlettstadt, Münster, Türkheim, Rappoltsweiler, Weissenburg, Zabern… sans oublier la "Freie Reichsstadt Strassburg". La forte récurrence des couleurs rouge et blanc dans les armoiries de nos villes témoigne de leur proximité avec le Saint Empire romain germanique : ces deux couleurs se trouvaient tant sur la bannière impériale, « die Reichsbanner », (1200 à 1350, croix blanche sur fond rouge[3]) que sur la « Blutfahne », aussi appelée « Blutbann », utilisée du XIe s. au XVIIe s. pour représenter le pouvoir de haute justice, c’est-à-dire le droit de vie et de mort d’un souverain ou d’un seigneur sur ses sujets.
Reichsbanner (1200 – v. 1350)
Die Blutfahne (http://www.flaggenlexikon.de/f1rblutf.htm)
Dans la Freie Reichsstadt Strassburg, quand venait le Schwörtag, créé en 1334, c’est encore sur l’étendard rot un wiss que chaque année les bourgeois prêtaient leur serment de fidélité à la Constitution. Cette institution se perpétuera jusqu’en 1790.
A la fin du XVe s. et au début du XVIe, ces deux couleurs sont reprises par les paysans en révolte du Bundschuh : sur une gravure de 1522 un paysan armé à la manière des lansquenets déploie une bannière rouge et blanc sur laquelle flamboie le cri de l’insurrection : « Freyheit ».
Au XVIIe s., dans ses « Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace (1674/76 & 1681) », publiés en 1684 et 1886, le sieur J. de l’Hermine (Lazare de la Salle), un agent français envoyé en mission en 1674 dans une Alsace en ruine encore meurtrie par la guerre, raconte avoir assisté à une messe en l’église d’Altkirch pavoisée de bannières rouge et blanc : « Je trouvai aussi notre petite ville d’Altkirch toute changée depuis la paix, l’église étoit reblanchie du haut en bas et ornée de compartiments de peintures en guirlandes et en festons de feuilles de laurier et de fruits, les autels étoient peints et dorés de nouveau, le chœur et la nef brilloient de vingt bannières de taffetas rouge et blanc à l’allemande, attachées le long des deux murs. »
Les couleurs rouge et blanc associées continueront d’être utilisées sous la royauté comme une réminiscence nostalgique des anciennes libertés d’empire. Dans les dessins de Hansi se rapportant à la visite de Charles X en Basse-Alsace en 1828, dans les villages pavoisés traversés par le roi, à côté des trois fleurs de Lys, symbole de la royauté, flotte aux fenêtres et sur le clocher de l’église, le Rot un Wiss.
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11 Novembre et devoir de mémoire en Alsace
Plus que la fin de la « Grande Guerre », le 11 Novembre est toujours commémoré en Alsace comme un jour de délivrance, la fin du « joug allemand » et le début des « grandes retrouvailles » ! Mais on oublie volontiers que 47 ans plus tôt, pour se sauver, la France avait cédé par un traité international l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne « à perpétuité, en toute souveraineté et propriété »!
L’Alsace fut alors « libérée », nous répète-t-on en boucle. Un grossier mensonge : en fait de « libération », les Alsaciens-Lorrains, autonomes depuis 1911, furent surtout libérés de leurs libertés. Nous avons été libérés non de l'Allemagne mais....de la GUERRE et des privations. S'il y avait eu référendum, personne ne sait ce qu'il aurait donné !
Après les promesses de Joffre à Thann en 1914 (« pacte de Thann »), les Alsaciens attendaient une politique de respect. Mais au lieu de cela, la France les soumit à un système colonial couplé avec un traitement punitif de « débochisation » et de mise au pas : « On nous traite plus sévèrement que les peuples des colonies », protesta le quotidien socialiste alsacien Der Republikaner (20.5.1920). En effet, le joug français pesa bientôt plus lourd que jadis la « botte prussienne » (1)!
- La constitution alsacienne de 1911 est foulée au pied et l’autonomie enterrée : le peuple alsacien est dépossédé des prérogatives dont il jouissait sous le Reichsland ;
- Le Conseil National (Nationralrat), dépositaire de la souveraineté alsacienne-lorraine et composé de représentants issus du suffrage universel, est carrément ignoré !
- Les promesses enjôleuses de respect des particularismes alsaciens des grands généraux français ne seront pas tenues ; le « pacte de Thann » de 1914 est oublié !!
- La chasse aux « boches » et aux « bochophiles » alsaciens-lorrains est immédiatement lancée et la délation est encouragée par les autorités ;
- Un filet de mouchards infiltrés dans la population est étendu à travers toute l’Alsace pour juger du degré de patriotisme et des options politiques des uns et des autres ;
- Une impitoyable épuration ethnique est lancée. 130 000 Alt-Deutsche et germanophiles alsaciens-lorrains sont expulsés de leur pays dans des conditions mortifiantes et sans aucune considération humanitaire ; tous leurs biens sont séquestrés : ils ne peuvent emporter que 20 à 50kg de bagages à main et 2000 marks en espèces par personne ;
- La population est soumise à un tri en 4 catégories suivant les origines ethniques et affublée de cartes d’identités sélectives A-B-C-D avec des règles d’apartheid ;
- Des « commissions de triage » sont instaurées à travers le pays pour juger et châtier les Alsaciens-Lorrains animés de sentiments germanophiles ; elles prononcent des sanctions d’une extrême dureté : expulsion en Allemagne avec séquestre des biens, internement, assignation à résidence à l’Intérieur, révocation pour les fonctionnaires… ;
- Une implacable politique d’éradication de l’allemand et d’assimilation culturelle et linguistique est lancée. Le français exclusif est imposé partout sans consultation des populations qui l’ignorent. La « méthode directe » faisant débuter la scolarité exclusivement en français est instaurée à l’école qui recevra pour mission première le déracinement des jeunes Alsaciens. La langue régionale est ravalée au rang de langue étrangère ;
- Les Alsaciens sont écartés de tout poste élevé dans leur pays. Les leviers de commande passent aux mains de Français de l’Intérieur qui, rapidement, occupent les 2/3 des postes laissés vacants par les Vieux-Allemands expulsés. Les fonctionnaires alsaciens n’ont droit qu’aux postes inférieurs : « L’Alsacien est administré par le Français de l’Intérieur, qui, à partir d’un certain niveau dans les carrières, règne seul », s’indigne le député démocrate Charles Frey (Bulletin d’Alsace-Lorraine, n°1, 1926)
Très vite, les joyeuses retrouvailles prennent un goût amer ! Dans L’Humanité(23.4.1919) le dirigeant socialiste Salomon Grumbach parle d’une « dictature renforcée ».Assurément, on était loin du « paradis tricolore » promis par Hansi et le Dr Bucher !
Dans ces conditions, n’y a-t-il pas une certaine indécence à parler de « libération » de l’Alsace ? Au regard des brutalités et des excès perpétrés alors par la France, peut-on fêter ce jour comme une « libération » ?
Et comment oublier que nos Feldgraue alsaciens-lorrains furent tués par des balles françaises : « Morts pour la France », nous dit-on à présent en nous expliquant le plus sérieusement du monde qu’en réalité, sous leurs uniformes feldgrau battaient des cœurs français. Leurs cœurs ont-ils été radiographiés pour valider cette affirmation saugrenue ?
Partant de là, en Alsace le 11 Novembre ne peut s’inscrire dans le devoir de mémoire que si l’on commémore la fin d’une sanglante tragédie européenne. Ce qui conduit à ce que les cérémonies soient organisées en l’honneur de tous les morts du conflit, y compris nos 50 000 Feldgraue alsaciens-mosellans si souvent oubliés des cérémonies en Alsace-Moselle où l’on préfère focaliser tous les honneurs sur les Poilus, leurs ennemis de la veille.
Le nationalisme est l’unique responsable des étripailles qui endeuillèrent régulièrement toute l’Europe depuis l’ère révolutionnaire. Aussi, ne serait-il pas préférable d’en tirer leçon et de supprimer la commémoration de l’Armistice, marqueur de la victoire militaire française sur l’Allemagne dans les esprits hexagonaux toujours gangrénés par le chauvinisme cocardier et un certain antigermanisme ? Ne serait-il pas plus judicieux de remplacer les cérémonies patriotiques désuètes exaltant le nationalisme sacrificiel devant les monuments aux morts, par une cérémonie du souvenir commune à toute l’Europe pour honorer tous les morts des guerres passées ?
Bernard Wittmann – Historien (6.11.2016)
(1) Source documentaire : B.Wittmann « Une épuration ethnique à la française – Alsace-Moselle 1928-1922 », éd. Yoran, 3e trim. 2016, 222 p. – Prix : 13€ - ISBN 9 782367 470269