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A propos de l'érection de la statue de Reimbold Liebenzeller
Trois pages tirées de la chronique de Closener pour expliquer la bataille d'Oberhausbergen en 1262 (voir ci-après) et quelques réflexions sur la statue de Reimbold Liebenzeller érigée place des Tripiers et inaugurée le 16 avril 2019.
Cette bataille fut évidemment très importante pour Strassburgpuisqu'elle a permis à la ville de se libérer de la domination épiscopale et de gagner son autonomie. L'idée d'ériger un monument à la mémoire d'un de ceux qui permirent cette victoire est donc plutôt une bonne idée dont il faut féliciter la mairie. Cependant, il faut préciser que Liebenzeller ne fut pas le seul héros de cette journée historique. D'autres comme les sires Zorn, Kuchenmeister, Ache ou Eckwersheim mériteraient tout autant d'être honorés. Pourquoi occulter leurs noms et n'en retenir qu'un seul ??
La victoire d'Oberhausbergen aura permis à la ville de Strassburgd’accéder au rang de « ville libre impériale », soit un statut d’Etat au sein du Saint Empire. Il n’y avait dorénavant plus de seigneur entre elle et l’Empire.
Aussi, les bourgeois et les artisans révoltés de Strassburg feront-t-ils des émules dans les autres villes, tout autant éprises de ces libertés attachées à l’immédiateté d’Empire.
Mais certains historiens tirent une tout autre conclusion de cet évènement. Pour eux, cette victoire ruinait dans le même temps l’espoir d’une unification de l’Alsace. En effet, l’évêque Walther von Geroldseck, seigneur le plus puissant du pays, possessionné en Basse- et Haute-Alsace ainsi que sur la rive droite du Rhin, voulait fonder une grande principauté épiscopale alsacienne autour de laquelle auraient pu s’agréger les autres petites souverainetés. Cet ensemble, une fois uni, aurait pu évoluer ensuite vers un Etat alsacien indépendant et puissant. L’échec de l’évêque aurait donc, indirectement, favorisé la fragmentation ultérieure de l’Alsace... et facilité du même coup l'annexion française au XVIIe siècle !
Cependant, même si ces arguments se tiennent, on peut néanmoins objecter que, chaque évêque venant d’une autre famille, ceux qui allaient succéder à Walter von Geroldseck n’allaient pas forcément décider de continuer sa politique. Par ailleurs, lors de la tentative de l’évêque de soumettre à son pouvoir la Basse, puis la Haute-Alsace, il se heurta partout à une violente opposition, à commencer à celle des comtes de Habsburg. Il aurait donc été très difficile aux évêques de mener à bien ce plan. Seuls les Hohenstaufen pouvaient réaliser cette union, d’ailleurs ils en avaient la volonté, mais leurs territoires étaient trop disséminés.
Reste la plaque commémorative :
Celle-ci est entièrement en français, une langue qu’ignorait pourtant Liebenzeller. Une plaque bilingue aurait été une occasion unique d’honorer la langue historique de l’Alsace, celle de nos aïeux…et, du même coup, de respecter la vérité historique. Les révoltés étaient allés à la bataille en lançant le cri : « Für Ehre und Freiheit » (formule plus sobre... un uf Ditsch) ! Mais en Alsace, tout est toujours fait à moitié et dès que nos édiles se mêlent d’histoire ou de culture alsaciennes, immédiatement ils les « folklorisent » ou les instrumentalisent !
Une erreur grossière :
Et puis, on peut relever une erreur grossière : Liebenzeller « Père de la République de Strasbourg » ! Or, après la victoire d'Oberhausbergen, on ne peut parler que de la « ville libre de Strassburg » (Freie Reichsstadt Strassburg)… la république viendra bien plus tard !! Un ami, médiéviste allemand, m’a écrit à ce propos : « Dem Mittelalter waren Begriffe wie « Republik » und « Staat » gänzlich unbekannt ». En effet, ce n’est qu’à partir du XVe siècle, au temps des premiers Humanistes, alors qu’on découvrait les sources antiques et qu’on lut chez Cicéron et Livius l’expression « res publica », que certaines villes d’Empire se qualifièrent de « respublicae » et encore, uniquement dans les documents et textes en latin, pas en allemand. Ajoutons encore à la marge que Liebenzeller ne s’appelait pas Reimbold, mais en réalité Reinbold. Quel bricolage !!
Lors de l’inauguration de la statue de Reimbold Liebenzeller le 16 avril 2019, dans son allocution, le maire Roland Ries n’a pas prononcé une seule phrase, pas un mot, dans la langue du héros qu’on honorait et de sa patrie. Honorer la langue de Liebenzeller lui-même, eût été la moindre des choses et des politesses ! Lamentable, une véritable opération de mystification !
Curieusement, quand commença la cérémonie, un immense drapeau européen voilait la statue. Pourquoi ce choix ? Un rot un wiss aux antiques couleurs de la « Freie Reichsstadt Strassburg » n’aurait-il pas eu infiniment plus de gueule… et de légitimité ? (d’ailleurs, quel est le rapport entre l’Union Européenne et le brave Liebenzeller ?).
Bernard Wittmann (18.4.2019)
Note documentaire sommaire : En 1262, n’étant pas une cité impériale, Strassburg accède alors au statut de ville libre quasi indépendante dans l’empire, à l’instar de Köln, Worms, Regensburg (Ratisbonne). En 1273, c’est Rudolf von Habsburg (1273 à 1291), l’ancien général en chef des milices strasbourgeoises devenu empereur (non couronné par le pape) qui confirma tous les privilèges de la ville, affranchit ses citoyens de toute juridiction étrangère et les dispensa d’un impôt qu’ils avaient à payer aux empereurs. En 1262, il n’était donc pas encore question de « République » (on ne pourra parler de « République » qu'à partir du Schwoerbrief (1413) qui donnait une constitution à la ville… et encore)!
(source : Sous la direct. de Ph. Dollinger, Documents de l’Histoire de l’Alsace, éd. Privat, 1972, p.p. 148 à 150)
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RUDOLF SCHWANDER : UN MAIRE HORS PAIR ! (23.12.1868 - 25.10.1950)
Le 1er décembre 2018, aux Archives Municipales Strasbourg et dans le cadre des commémorations de la fin du premier conflit mondial, ont été organisées une série de conférences sous le titre générique : « Rudolf Schwander, un maire en son temps ». Parmi les intervenants Alain Fontanel, Laurence Perry, François Uberfill, Léon Strauss… Cette conférence, qui mit en évidence son rôle essentiel dans le domaine de l’urbanisme et de l’action sociale à Strasbourg, est apparue comme une sorte de réhabilitation de celui qui avait été livré à la damnation mémorielle par les autorités françaises depuis son départ précipité de Strasbourg en 1918. Enfin, justice était rendue à cette très grande figure de la politique alsacienne du Reichsland qui, en plus, fut sans doute le plus remarquable des maires de la capitale alsacienne[1].
Durant le Reichsland
Né à Colmar le 23.12.1868, il est le fils d’Anne Barbe Schwander, couturière à Colmar. De notoriété publique, le père était Camille Schlumberger, maire de Colmar.
Après des études primaires « supérieures », à 15 ans, il entre dans les services municipaux de Colmar où il travaille au service d’aide sociale. Doué d’une intelligence remarquable, ce protestant de vieille souche alsacienne sera remarqué par ses supérieurs qui lui permettront de reprendre ses études à l’Université de Strassburg où il étudiera le droit (1897-1901). En 1900, il passe sa thèse de doctorat en sciences politiques.
Ses études achevées, il rejoint l’équipe municipale du maire de Strassburg Otto Back et s’occupe du service de l’Assistance publique. Très tôt, il entre au parti libéral démocrate (Liberale-Fortschrittspartei).
En 1902, il est élu adjoint professionnel grâce aux voix des démocrates et des socialistes, parmi ces derniers, Jacques Peirotes. Repéré pour son dynamisme et ses qualités de gestionnaire, en 1906, après le départ à la retraite du maire Otto Back, il est porté par une coalition libérale-démocrate et socialiste à la tête de la mairie de Strassburg. Les milieux de droite craignaient sa politique sociale trop coûteuse. Plus tard, en 1912, il entrera à la Chambre haute du Landtag.
Schwander va se distinguer par sa bonne gestion des affaires de la ville, ses bons choix et ses réussites dans le domaine de l’urbanisme, ainsi que par sa fibre sociale très marquée. C’est lui qui mena avec succès la gigantesque opération de la « grande percée », de Saint Pierre le Vieux jusqu’à la rue des Francs-Bourgeois, en liaison avec l’opération de relogement en pavillons-jardins du Stockfeld[2]. Il a ainsi considérablement modernisé et assaini la ville. En agrandissant considérablement la surface bâtie, tout en remodelant et en assainissant la vieille ville, avec Otto Back qui oeuvra avant lui, il fit passer la ville d’un statut provincial à celui d’une capitale de Land : Strassburg qui comptait 85 000 habitants en 1870, en comptera 190 000 en 1914.
C’est également à son initiative que Strassburg a élaboré un statut de l’employé municipal et inauguré une politique sociale moderne de la ville, avec l’assurance-chômage, un salaire minimum pour les entreprises travaillant pour la municipalité et la création d’un office du logement.
Durant la Grande-Guerre, Schwander a constamment cherché à protéger la population des méfaits de la guerre. C’est à lui que les Strasbourgeois devront d’avoir échappé à une terrible famine. L’organisation du ravitallement de la population fut si bien menée, qu’elle lui évita l’évacuation prévue par les militaires, auxquels Schwander ne cessa de s’opposer.
Gouvernement constitutionnel Schwander – Hauss (19 oct. 1918 – 11 nov. 1918)
En 1917, en pleine guerre, il devient secrétaire d’Etat au ministère impérial de l’Economie (Reichswirtschaftsamt).
Le 12 octobre 1918, il est promu Statthalter du Reichsland par le chancelier d’Empire prince Max von Baden avec pour mission de négocier la formation d’un gouvernement parlementaire, dans la perspective de détacher l’Alsace-Lorraine de l’Empire allemand et de l’élever au rang d’Etat souverain. Schwander confie cette mission et celle d’expédier les affaires courantes à Karl Hauss, un catholique alsacien intelligent et énergique, député au Reichstag et chef du Zentrum alsacien-lorrain. Le 19 octobre, le nouveau Staatssekretär (secrétaire d’Etat) Hauss accepte de former son ministère et convoque le Landtag pour le 3 novembre 1918. Cependant, ce dernier est miné par les divisions. Les élus alsaciens tergiversent et Hauss peine à former son gouvernement.
Jusqu’au bout Schwander tentera d’arracher au Bundesrat un maximum de libertés pour l’Alsace-lorraine pour la placer au rang d’Etat fédéral comme les autres. A cet effet, il adresse un projet de loi au Bundesrat pour faire évoluer la Constitution alsacienne-lorraine de 1911 dans ce sens. Il n’obtiendra gain de cause que le 25 octobre, après que le Reichstag, après le Bundesrat, eut voté la loi modifiant la constitution alsacienne de 1911 pour faire de l’Alsace-Lorraine le 26e Etat de plein droit de la Confédération germanique. Mais les évènements vont s’emballer.
Voyant qu’il est trop tard, Schwander se consacre alors, avec Karl Hauss, exclusivement à la préparation d’un plébiscite qu’il appelle de tous ses vœux et qui permettrait aux Alsaciens de se prononcer sur leur sort. Mais pour lui un plébiscite n’est envisageable que si les troupes françaises n’entrent pas en Alsace.
Désespéré et inquiet devant la détermination et l’impatience françaises d’entrer avec les troupes en Alsace, mais aussi par les subits retournements de veste de certains politiques alsaciens qui précédemment avaient toujours eu pour devise « l’Alsace aux Alsaciens », il déclarera encore le 2.11.1918 : « Il y a six semaines, j’avais encore l’espoir de mener à bien l’institution de l’autonomie. La réponse de Wilson montre que l’Alsace-Lorraine est abandonnée. Résultat : on ne peut plus exiger des partis qu’ils s’exposent (…) Je ne sais pas si la majorité ne votera pas pour la France. Un grand nombre d’intellectuels sont hostiles à l’incorporation à la France. Si les troupes de l’Entente entrent, tout est perdu ; les drapeaux bleu-blanc-rouge sortiront de toutes les maisons. Des troupes suisses seraient le dernier espoir ». En fin politique, il avait senti le vent tourner. Finalement Karl Hauss ne put mener à bien sa mission. Et le 11 novembre 1918, Schwander et Hauss remettaient leur démission.
Exilé en Allemagne pour échapper à l’expulsion
En novembre 1918, comprenant qu’il serait victime de la politique d’épuration des Français, pour échapper à l’humiliation d’une expulsion manu militari, comme ce sera le cas pour le président du Landtag le Dr Ricklin, Schwander quitte l’Alsace juste avant l’entrée des troupes françaises.
Exilé en Allemagne, resté profondément attaché à l’Alsace, il accepte d’assumer la présidence d’honneur du Hilfsbund der vertriebenen Elsass-Lothringer im Reich, ainsi que la présidence du Wissenschaftliches Institut der Elsass-Lothringer in dem Reich. En 1923, il adhére encore à l’Alt-Elsass-Lothringische Vereinigung.
Schwander continuera sa brillante carrière en Allemagne en devenant le Président Supérieur (Oberpräsident) du Land Hessen-Nassau de 1919 à 1930. Après sa retraite, il acceptera la présidence du Conseil de surveillance de la Societäts-Drückerei qui publiait le grand journal libéral Die Frankfurter Zeitung à Frankfurt-am-Main. Ce journal d’opposition publiait notamment des articles de René Schickele.
Quand le nazisme commença à monter en Allemagne, après avoir quitté ses fonctions dans la République de Weimar, il se retira complètement de la vie politique officielle : « Was kommt ist nicht Deutsch », prévenait-il dès 1933 à la rédaction de la Frankfurter Zeitung, faisant allusion à l’emprise nazie qui s’annonçait. Au sein de ce journal, qui sera interdit en 1938, il prit part à la lutte contre l’esprit et les agissements des nationaux-socialistes. Par la suite, il se tiendra toujours à l’écart du nazisme et de ses entreprises en Alsace-Lorraine. D’ailleurs, les nazis se méfiaient de lui au point qu’il dut attendre plusieurs mois l’autorisation de visiter sa Heimet. Cependant, sa qualité de président du Wissenschaftliches Institut der Elsass-Lothringer in dem Reich l’amena à assister à l’inauguration de l’université allemande de Strasbourg en novembre 1941, un fait qui lui sera toujours reproché par la suite par les milieux patriotes de Strasbourg.
Pendant la guerre, son seul rôle « officiel » fut d’assumer la liaison entre le Wissenschaftliches Institut der Elsass-Lothringer et l’université de Strasbourg.
En 1948, le gouvernement du land de Hesse eut encore recours à lui comme expert dans une commission ministérielle chargée d'élaborer une réforme de l'administration.
Il décèdera le 25 octobre 1950 à Oberursel près de Frankfurt. A Kassel, en Allemagne, une grande artère porte son nom pour honorer sa mémoire. Mais à Strasbourg, ce n’est que ces dernières années qu’on lui consacra une rue dans un quartier excentré de la ville, pompeusement baptisée « allée Rudolf Schwander », qui va de l’avenue du Rhin au quai du Bassin Dusuzeau. Justice lui était ainsi partiellement rendue !
Bernard Wittmann – 27.2.2019
Ce petit chemin envahi de mauvaises herbes et pompeusement baptisé "Allée Rudolf Schwander" marque bien le mépris que témoignent les édiles strasbourgeois à celui qui fut sans doute le plus grand maire de la ville.
[1] A consulter : Ady-Maria Schwander, Rudolf Schwander – maire de 1906 à 1918, éd. Culture et Bilinguisme, Strasbourg, 2001.
[2] NDBA 1999, cahier N°34, p.3568.
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Oskar Wöhrle, le Rimbaud alsacien !
Oscar Wöhrle
Sous le Reichsland
Oskar Wöhrle (1890-1946), fut un poète et écrivain de grand talent qui contribua, en son temps, à rénover la littérature alsacienne d’expression allemande et dialectale. Fils de cordonnier, celui qu’on appellera plus tard « le poète vagabond » ou le « Rimbaud alsacien », à cause de la vie de bohème qu’il mena (Nathan Katz, parlant de sa vie, le compare à Rimbaud ou Verlaine), dès son jeune âge, se montra doué d’une brillante intelligence.
Il commença des études d’instituteur à l’école normale de Colmar où il fit la connaissance du jeune Joseph Rossé. Mais, habité par une irrésistible soif de savoir et de découvertes, il préféra l’aventure et fugua à travers la France où il mena une vie de vagabond…pour finalement s’engager dans la Légion étrangère (il découvrira d’ailleurs que celle-ci était majoritairement composée d’Allemands, de Suisses et d’Autrichiens). C’est ainsi qu’en 1909, il se retrouva en Algérie, puis au Maroc où les Français cherchaient à mater des rébellions indigènes. Au Maroc, à Fort Lallemand au confin du Sahara, il sera engagé dans des combats meurtriers (des 60 hommes de la garnison, il ne restera que 27 survivants !). Evacué à Biskra, il est sauvé in extremis du typhus par un médecin sundgauvien comme lui qui le fit rapatrier à Marseille.
A partir de là, il ne veux plus retourner en Afrique du Nord car il n’aime pas cette guerre coloniale et toute cette violence qui l’entoure : l’antimilitarisme le gagne. Poussé par un irrésistible « Heimweh », il décide alors de déserter pour retourner à Sankt-Ludwig (Saint-Louis)… où on le croyait mort. Pour gagner sa vie, il travailla alors dans une usine textile de Basel. Dès lors, il se consacrera à la littérature, fréquentera les milieux littéraires de Basel et de Zürich et se liera d’amitié avec le grand écrivain alsacien Friedrich Lienhard.
Pourtant, sa vie sentimentale le pousse à quitter Sankt-Ludwig pour Strassburg. Là, en 1911, à court d’argent, il s’engagea, cette fois dans l’armée allemande (dans un régiment d’artillerie) qui n’appréciera guère son indiscipline et prendra pour prétexte sa mauvaise santé pour le libérer sans tarder du service actif. Il restera alors à Strassburg, s’installera à Schiltigheim où il travaillera dans une conserverie. C’est en 1913, qu’il écrira son premier grand succès, un roman, Der Baldamus und seine Streiche (100.000 exemplaires imprimés en 1931), récit autobiographique de la révolte d’un adolescent et de ses années de vagabondage dans l’atmosphère tendue qui régnait alors entre l’Allemagne et la France.
Der Baldamus und seine Streiche
Peu après, grâce à son ami Friedrich Lienhard, il sera embauché par la revue littéraire Die Lese à München (il y rencontrera le poète prolétarien allemand Max Barthel qui deviendra son ami) ; à cette époque il écrira son célèbre Sundgaubuch, un recueil d’histoire et de poèmes. En 1914, il reviendra brièvement à Strassburg pour se marier avant de retourner à München.
Première guerre mondiale
Peu après arrivera la première guerre mondiale. Incorporé dans l’armée allemande, mais suspect auprès des autorités allemandes puisque Alsacien et ancien légionnaire français, il sera arrêté quelque temps plus tard pour espionnage au profit de la France. Il réussira néanmoins à s’enfuir de la prison militaire et quittera München pour aller se réfugier à Strassburg où, pour échapper à la police, il n’aura d’autre alternative que de se porter volontaire dans son ancien régiment d’artillerie. De là, il sera envoyé sur le front en Russie, puis muté en Lituanie où il passera une grande partie de la guerre comme rédacteur du journal de la Xe armée. Il y apprendra la langue du pays et s’ouvrira à la poésie et la littérature lithuaniennes. A Versailles, la Conférence de la paix tiendra d’ailleurs compte, pour le tracé des frontières du futur Etat lituanien, du mémoire qu’il écrivit en Lituanie Litauen in geographischer und ethnischer Hinsicht.
Oskar Wöhrle est maintenant devenu un antimilitariste farouche, il hait la guerre, car il aime les hommes ; deux livres écrit durant la guerre 14-18 en témoignent : Soldatenblut et Das Bumserbuch. Il prendra d’ailleurs part au mouvement insurrectionnel socialiste des Soldaten –und Arbeiterräte. A l’issue du conflit, il reviendra pour un court séjour dans son pays natal. C’est à Strassburg qu’il rencontrera pour la première fois celui qui allait devenir par la suite son meilleur ami, le poète alsacien Eduard Reinacher (1892 – 1968) (Après sa mort, Reinacher lui consacrera tout un chapitre dans ses mémoires Am Abgrund hin). Mais Wöhrle qui n’avait connu que le Reichsland, ne trouvera plus ses marques dans la nouvelle Alsace française soumise à la politique d’assimilation, aux diktats de Paris, de ses commissaires de la République et de ses préfets assistés de cohortes de fonctionnaires venus de l’Intérieur qui ne connaissaient rien à l’Alsace. Il préfèrera s’exiler en Allemagne.
L’entre-deux guerres
C’est ainsi, qu’au début de la République de Weimar, il s’installera à Konstanz où il lancera, en collaboration avec le prix Nobel Andersen-Nexö (1869 – 1954), le grand poète-ouvrier danois, une maison d’édition de gauche (1920-1925). Puis, au début des années 30, il se fixera à Berlin où il collaborera au journal socialiste Vorwätz ; il écrira le Vier-Männer-Buch et le Rattennest, ses livres les plus typés.
En Alsace, il conserva néanmoins toujours de nombreux amis notamment dans les divers milieux autonomistes alsaciens dont il se sentait le plus proche (En 1941, Rossé rééditera son Sundgaubuch aux éditions Alsatia). En Allemagne, il fréquentera également la communauté des exilés alsaciens qui, comme lui, nourrissait la même nostalgie de leur patrie perdue.
En 1933, après la prise du pouvoir par les nazis, Oskar Wöhrle, connu pour ses amitiés communistes et son opposition au nazisme, doit fuir Berlin et ses livres, dont le fameux Querschläger, sont brûlés (mai 1933). Prévenu par des amis, il échappe de peu à l’arrestation et la déportation dans un camp de concentration. L’alerte a été chaude. Il n’a guère d’autre choix : en toute hâte il décide de retourner en Alsace. Et c’est à pieds qu’il reliera alors Berlin à Lörrach (il assommera un douanier allemand qui voulait contrôler ses papiers et s’échappera en sautant par une fenêtre du train).
Arrivé en Alsace, il s’installera d’abord à Sankt-Ludwig, puis à Strassburg où il travaillera comme ouvrier. Il y écrira alors son grand roman Die Backpulverstadt ainsi qu’un recueil de poèmes Die Schiltigheimer Ernte dont la couverture fut illustrée par son ami le peintre-poète Henri Solveen. Durant son séjour en Alsace, il rencontrera aussi certains des chefs autonomistes comme Rossé ou Roos dont il partageait l’idéal et leur opposition à la politique de francisation et d’éradication de la langue allemande.
Oskar Wöhrle est maintenant devenu un écrivain célèbre. Invité à séjourner trois mois en Tchécoslovaquie qui, en 1932, l'avait fait citoyen d’honneur suite à la publication de son roman consacré à Jan Hus (« Jan Hus. Der letzte Tag » publié en 1932 à Berlin ; il y raconte la dernière journée du réformateur), il va s’installer à Prague (1933). Au bout de quelques temps il s’y retrouvera sans ressources. Mais il sera néanmoins contraint de prolonger son séjour, ne pouvant alors rentrer, ni en Allemagne où les nazis l’auraient arrêté, ni en Alsace. En effet, n’ayant jamais connu qu’une Alsace allemande, puisqu’il était né en 1890 sous le Reichsland, Wöhrle avait toujours défendu le caractère allemand de sa Heimat. Ce qui, devant les tensions croissantes entre la France et l’Allemagne, compliquait singulièrement son retour dans son pays natal où les Heimatrechtler étaient alors l’objet de suspicions et de persécutions policières et politiques. Pour quitter Prague et la vie misérable qu’il y menait, il dut attendre jusqu’en 1937, date où des amis de Freiburg obtinrent pour lui des Nazis la garantie qu’il pourrait retourner en Allemagne sans risquer l’arrestation pour ses opinions politiques. Oskar Wöhrle retourna alors s’installer au Pays de Bade où il continuera d’écrire notamment des pièces de théâtre qu’il présentera à la radio. Cette activité et ses œuvres littéraires lui conféreront une certaine popularité dans « le pays des trois frontières » et au-delà, dans toute l’Alsace et même dans toute l’Allemagne (en 1939, il recevra un deuxième prix littéraire, le prix « Erwin von Steinbach »).
Mais, à partir de 1938, les campagnes de persécutions dont furent victimes les Heimatrechtler alsaciens, avec notamment l’arrestation du Dr Karl Roos fin 1939 et son exécution le 7.2.1940, puis les arrestations massives de responsables et d’élus de la Heimatbewegung, notamment les Nanziger dont il connaissait la plupart, mais aussi des simples militants - dont plus de 500 furent envoyés dans des camps de concentration à St-Dié et Arches –, le bouleversèrent et le révoltèrent. Au point, qu’en juillet 1940, il se porta volontaire pour rejoindre le commando spécial de l’Abwehr, commandé par le major Dehmel, qui fut chargé de retrouver à travers la France pour les libérer, les « Nanziger » que les Français projetaient d’envoyer en Afrique du Nord vraisemblablement pour les y éliminer.
Pendant la guerre 39-45
En juin 1940, Oskar Wöhrle s’installera à nouveau à Sankt-Ludwig avec sa femme et ses deux filles, puis, peu après, à Brunstatt. Son aversion pour le jacobinisme et la politique brutale d’assimilation française, sa conviction de la destinée allemande de l’Alsace et son amour pour sa Heimet et sa langue, l’amèneront ensuite à se compromettre, par opportunisme vraisemblablement, avec les Nazis, pourtant ses pires ennemis d’hier : « er hatte aus Heimatliebe mit den Nazis paktiert », écrit le poète prolétarien Max Barth. Mais son humanisme le poussera souvent à émettre des réserves et sa compromission se limitera à des activités radiophoniques durant la présence allemande. Celles-ci, en novembre 1944, le condamnèrent à fuir avec nombre de Ludoviciens et de Huninguois d’abord à Basel, puis au Bad-Württemberg.
Diabétique, Wöhrle mourut le 31.1.1946 à Glötterbad, près de Freiburg-im-Breisgau. Il laissa derrière lui une œuvre considérable en langue allemande et en dialecte alémanique, faite de nouvelles et de romans ainsi que de nombreux poèmes (il en écrira plus de 1000), dont beaucoup sont consacrés à son pays natal (Sundgaubuch (1941)). Après la guerre, son oeuvre sera passée sous silence en Alsace. D’ailleurs, elle ne figure toujours pas dans l’encyclopédie de biographie alsacienne. Seuls quelques rares personnalités alsaciennes comme René-Nicolas Ehni, Nathan Katz - qui l’appelait affectueusement « mon ami le poète » -, le maire de St. Ludwig Georges Gissy ou la poétesse Anne-Frank Neumann oseront saluer son œuvre.
Oskar Wöhrle
Ce n’est qu’en mai 1990 que le Député-Maire de Sankt-Ludwig/ St Louis Jean Ueberschlag, tira le poète de l’oubli dans lequel on le confinait depuis 1945, en organisant, avec le concours du services des archives municipales, une exposition commémorative pour lui rendre hommage : « Notre ville peut être fière d’avoir donné le jour à cet écrivain talentueux, enfant de son siècle, attaché à son Sundgau, dont il avait le caractère. Oskar Wöhrle sera désormais chez lui à Saint-Louis ; ne pas rendre l’hommage mérité à un talent tel que le sien, n’eut pas honoré notre ville » déclara à cette occasion Jean Ueberschlag (la mairie de St. Ludwig / St Louis, par le biais de l’Association d’Action Culturelle Cultur’a, réédita à cette occasion le roman d’Oskar Wöhrle Der Baldamus und seine Streiche). Dans la brochure éditée pour l’occasion par la mairie Adrien Fink, Jean-Marie Gall, Raymond Matzen, Louis Perin soulignèrent tous la place fort honorable qu’occupe Oskar Wöhrle dans la littérature allemande.
Bernard Wittmann – Historien 25.3.2018
Note : Le professeur d'allemand Joseph GROLL, de Saint-Louis, vient de publier une remarquable traduction de son BALDAMUS, aux éditions " Saisons d'Alsace", signe d'un changement important dans les mentalités alsaciennes, et de la présenter lors d'une conférence à la "René-Schickele-Gesellschaft/Centre Culturel Alsacien" de Strasbourg, où son ouvrage est disponible!! Une grande partie de son oeuvre est disponible à la BNU ! D'Worheit kommt làngsàm erüss!
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Comment le duché souverain de Lorraine passa à la France en 1766
Bref rappel historique :
Le duché de Lorraine était issu du partage de la Lotharingie qui fut divisée en deux en 959 : la Haute-Lotharingie, qui deviendra le duché de Lorraine, et la Basse-Lotharingie qui correspondait grosso-modo à l’actuel Benelux. Ancien Etat du Saint Empire romain germanique, le duché gagna sa souveraineté dès 1542. Les ducs de Lorraine furent toujours des fidèles de l’empereur.
Le mariage projeté entre l’archiduchesse Maria-Theresia / Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780) et le duc de Lorraine François III (1708-1765), fils de Léopold 1er de Lorraine né à Innsbruck en 1679 et mort à Lunéville en 1729, posait problème à la France. En effet, s’il se réalisait, les possessions autrichiennes s’étendraient alors jusqu’à Bar-le-Duc… à 250km de Paris ! De plus, par ce mariage, le duc pouvait devenir empereur et apporter ses duchés aux Habsbourg, les protégeant ainsi des convoitises françaises. En France, on était d’autant plus inquiet de ce projet, que le jeune duc lorrain avait été élevé à la cour de Vienne et passait à Paris pour germanisé.
Lire la suite : Comment le duché souverain de Lorraine passa à la France
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Il était une fois les Suèves / die Sueben (Schwaben) (1ère partie)
Dès le IIIe siècle av. J.-C., des peuples Germains établis dans le nord-est de l’Europe commencent à se déplacer pour chercher une nouvelle terre d’accueil dans des contrées moins froides ou moins sujettes aux inondations et donc plus hospitalières. C’est le cas des Suèves, ces géants germaniques aux longs cheveux blond-roux et aux yeux bleus, excellents cavaliers pratiquant la monte à cru, guerriers intrépides redoutés de tous et dont Tacite dira plus tard que leur corps robuste était taillé pour l’attaque (les squelettes retrouvés dans les tombes alamanes lors de recherches archéologiques en attestent).
A l’origine, les Suèves, peuple de pasteurs-guerriers, sont établis dans le nord-est de la Germania Magna, plus précisément entre le cours moyen de l’Elbe et la rivière Havel (Marche de Brandebourg). Cependant, on pense que des éléments de ce grand peuple ont pu essaimer sur les bords de la mer Baltique / Ostsee que certaines cartes romaines désignent sous le nom de « mare suebicum ».
Raid des Cimbres et des Teutons
C’est à la fin du IIe siècle av. J.-C. que des Suèves (Sueben) font parler d’eux pour la première fois dans l’histoire. En effet, vers 120-110 av. J.-C., des tribus suèves emboîtent le pas à la coalition germanique des Cimbres (Kimbern), des Teutons (Teutonen) et des Ambrons (Ambronen) venus du Nord de l’Europe, plus précisément du Jüthland (Danemark), et qui entreprennent une marche effrénée vers le sud. Les Suèves entreprirent leur migration consécutivement à la mise en mouvement des Cimbres et des Teutons qui modifia la répartition territoriale des populations germaniques du bassin de l'Elbe.
Ensemble, Cimbres, Teutons et Ambrons descendent le Danube moyen. Le "Treck" des Germains, au fur et à mesure de sa progression vers le sud, n'a cessé de grossir jusqu'à compter 300 000 individus hommes, femmes, enfants. Rien ne les arrête ! Aussi, en 113 av. J-C., battent-ils les armées romaines à Noreia en Carinthie (Kärnten). Les pertes romaines sont énormes. A Rome, c'est alors la panique ! Mais plutôt que de garder l'avantage et de foncer vers l'Italie, contre toute attente, les Germains décident de faire un crochet dans le fossé rhénan en s’arrêtant quelques temps à Heildelberg pour se réapprovisionner en vivres et en matériel.
En 110 av. J.-C., ils reprennent leur marche, descendent ensemble la vallée rhénane, où ils entrent en contact avec l’Alsace, et passent par la porte de Bourgogne (Burgundische Pforte) pour aller se répandre en Gaule. Cimbres et Teutons semblent donc être les premiers Germains à avoir foulé le sol alsacien.
Partis de leur côté, les Suèves parvinrent jusqu'au Main inférieur. Mais quand les Cimbres et les Teutons reprirent leur périple en direction du Rhône en abandonnant leurs conquêtes territoriales situées au nord du Rhin supérieur, ils prirent progressivement leur place. Ainsi, finiront-ils bientôt par occuper toute la bande de terre située sur la rive gauche du Rhin de l’actuel Palatinat / Pfalz.
Après avoir descendu la vallée du Rhône, le 6 octobre 105 av. J.-C. à la bataille d'Orange (Arausio), les guerriers cimbres et teutons anéantissent une nouvelle fois les armées romaines venues à leur rencontre. 80 000 légionnaires romains sont massacrés. Ce désastre militaire causa à nouveau un grand effroi dans toute l’Italie : la voie vers le Tibre était désormais ouverte aux Germains !
C'est alors que, pour une raison inconnue, Cimbres et Teutons se séparent : les Teutons choisissent de remonter vers le nord de la Gaule tandis que les Cimbres préfèrent se diriger vers l'Espagne. Après avoir effectué de grandes boucles sans vraiment trouver d'adversaires à leur hauteur, ils se retrouvent à nouveau sur la Seine, pour se séparer une nouvelle fois peu après : les Teutons choisissent de piller la "Narbonnaise"(Gallia Narbonensis), l'actuelle Provence, tandis que les Cimbres prennent la direction des Alpes. Finalement Cimbres et Teutons s'accordent pour marcher vers l'Italie en deux énormes colonnes séparées, une erreur tactique assurément. Il n'empêche, la situation devient de plus en plus préoccupante pour les Romains.
Caius Marius reprend alors le commandement militaire romain défaillant. En 102 av. J.-C., il commence par battre les Teutons et les Ambrons à Aix-en-Provence (Aquae Sextiae). Les guerriers teutons, qui par le passé s'étaient toujours distingués par leur bravoure, sont cette fois anéantis. Leur roi Teutobod est fait prisonnier et emporté comme un trophée à Rome. Pour échapper à la captivité, nombre de survivants, hommes et femmes, choisissent le suicide. La bataille a duré deux jours.
Le 30 juillet 101 av. J.-C., le même Marius se heurte cette fois aux Cimbres, après qu’ils ont traversé les Alpes par le Brenner. Il les écrase à la bataille de Verceil (Verceilae) dans le Piémont (près de Milan) et décime leurs troupes. Leur roi Boiorix est tué. Les femmes, qui avaient participé à la bataille en défendant le camp retranché des Germains formé de chariots, tuèrent leurs enfants et se suicidèrent en masse pour éviter l'esclavage. Pour sauver l'honneur des guerriers qui avaient échappé aux glaives romains et qui tentaient de se replier, elles n'hésitèrent pas à les tuer. La chaleur étouffante avait lourdement handicapé les Germains. Les Romains firent des milliers d'esclaves et refoulèrent les survivants en Germanie.
C'est là que se termine le long périple de plus de 7000 km à travers la moitié de l'Europe des Cimbres et des Teutons. Les Romains garderont toutefois un souvenir cuisant de cette invasion et de la "terreur cimbrique".
Les Suèves se remettent en marche
A Rome, on pense en avoir fini avec ces remuants Germains. Cependant, même s'ils semblent avoir compris la leçon en s’éclipsant, la richesse des terres de Gaule et d’Italie du nord, le climat moins rude et l’opulence des villes romaines n’en restent pas moins gravées dans leur mémoire collective. Aussi se remettront-ils à nouveau en marche quelques décennies plus tard.
De leur côté, les Romains sont partis à la conquête de la Gaule et se sont aventurés jusqu’au Rhin et au Danube. A la fin du IIe siècle av. J.-C. ils occupaient déjà le sud-est de la Gaule dont ils firent une « provincia romana », baptisée plus tard sous Auguste « Narbonnaise ». Cette bande de terre qui s’étendait du lac Léman jusqu’aux Pyrénées, conquise par Rome entre 125 et 120 av. J.-C., permettait aux Romains de relier leur territoire avec leurs conquêtes de la péninsule Ibérique. La Narbonnaise leur servira ensuite de base de départ pour la conquête de la Gaule.
75 av. J.-C. : Ariovist prend la tête d’une grande coalition de Suèves
Vers 75 av. J.-C. entre en scène le premier grand chef de guerre suève, le triboque Ariovist (ou Arioviste, de l'allemand Ehrenvest). Celui-ci prend rapidement la tête d’une imposante coalition de tribus suèves ou alliées comprenant entre autres, Vangions, Némètes, Harudes, Marcomans, Sédusiens et Triboques. A celle-ci vont s’agréger, au fur et à mesure de leur avancée vers le Rhin, d’autres tribus germaniques du Neckar et du Main, moins puissantes et impressionnées par ces valeureux guerriers suèves qui sèment l’effroi chez leurs voisins et jusque dans les rangs des légions romaines.
En 72 av. J.-C., dans son périple migratoire, Ariovist s’arrête d’abord quelque temps à Mainz / Mayence, ville située sur la rive gauche du Rhin, pour regrouper ses troupes. Puis, appelé à la rescousse par ses voisins les Celtes Séquanes opposés aux Eduens de Bourgogne, il continue sa marche vers l’actuelle Alsace alors principalement peuplée de Celtes : Médiomatriques au nord, Séquanes et Rauraques, venus de la Ruhr, au sud.
Les Celtes pris en tenaille
L’aire d’implantation des Celtes venus en Europe à l’âge du bronze – en Alsace vers 1500 av. J.-C.- s’étendait alors sur une large bande territoriale allant des îles Britanniques, des rives de l’Atlantique à l’actuelle Espagne en passant par toute l’Europe centrale et bien au-delà vers l’Est. Au nord de cette ceinture se trouvaient les Germains, au sud, à partir du premier siècle av. J.-C., l’empire romain.
Cette situation centrale détermina le destin des Celtes. En effet, alors que les Germains se mettaient en mouvement pour agrandir leur espace vital vers le sud, de leur côté, les Romains commençaient à étendre leurs conquêtes vers le nord. Les Celtes, pris en tenaille, ne résistèrent pas à cette double pression. La partie de leur territoire tombée aux mains des Romains finira par être romanisée. Celle tombée sous l’influence des Germains sera germanisée, les Celtes choisissant d’émigrer plus à l’Ouest. Ceux qui échappèrent aux tueries et qui purent rester sur place finirent par se fondre progressivement dans le flot continu des peuples germaniques en quête de nouvelles terres.
En bon stratège, Ariovist prend le temps de masser ses troupes le long du Rhin. Par ailleurs, au fur et à mesure de son avancée, il prend soin d’installer ses peuples de part et d’autre du fleuve pour conforter ses arrières.
Ainsi les Triboques, probablement déjà présents dans le pays avant l’arrivée d’Ariovist, après avoir refoulé les quelques tribus médiomatriques, dont le berceau territorial se trouvait dans l’actuel département de la Moselle ainsi qu’en Alsace-Bossue, vont-ils finir par occuper toute la Basse-Alsace.
Les peuples de la confédération suève s’installent en Alsace
En 63 av. J.-C., les Celtes Séquanes (Sequaner) - établis en Haute-Alsace et en Franche-Comté - et Arvernes, toujours en lutte contre les Eduens (Häduer) de Bourgogne pour l’hégémonie à l’est de la Gaule, sur le point de succomber, appellent au secours leurs voisins suèves pour mater leurs adversaires. Ariovist accourt alors avec un contingent de 15 000 Suèves et, en quelques mois, écrase les Eduens. Par cette victoire, il rend ces derniers tributaires des Séquanes. Ariovist et ses suèves ayant rempli leur contrat, comme convenu, en contrepartie de leur aide, les Séquanes leur cèdent alors leur territoire de Haute-Alsace, soit 1/3 du pays séquane : « Ainsi, à partir de l’an 63 av. J.-C., l’Alsace tout entière possédait sa population germanique, et depuis, elle ne l’a plus jamais perdue », note l’historien Pierre Zind[1]. C’est donc par la voie de la diplomatie que le chef suève a pu prendre possession de l’Alsace !
A leur tour, les Séquanes prennent aux Eduens vaincus leurs territoires des rives de la Saône jusqu’aux portes de Lyon.
A partir de là, Ariovist décide d’installer définitivement sa confédération en Alsace. Ainsi, les Germains Némètes, Vangions et Triboques vont-ils continuer de s’installer en Basse Alsace, les Harudes en Haute Alsace.
Les Triboques (Triboker) occupent à présent toute la plaine de Basse Alsace, de Ehl près de Benfeld au sud, du Selzbach ou à la Lauter au nord : leur capitale est Brocomagus (Brumath). Ils n’en seront plus jamais chassés. De leur côté, Némètes et Vangions s'enracinent dans l'extrême nord du pays au-delà de l'Outre-Forêt.
Mais on pense que des Germains, plus ou moins celtisés, vivaient déjà depuis des temps très reculés dans le pays à côté des peuplades celtes. D’ailleurs Celtes et Germains, tous deux venus du Nord de l’Europe, avaient des mœurs et une civilisation très proches, ce qui conduira à un certain enchevêtrement des influences et des langues dans les aires de contact. Même les Romains firent parfois la confusion entre les deux. Ainsi, certains peuples sont-ils considérés par les historiens comme « celto-germains », comme par exemple les Tubinges ou encore les Latobriges et les Rauraques voisins et alliés des Helvètes. De même, il est à présent admis que la plupart des Belges, bien que partiellement celtisés, étaient d'origine germanique.
Se référant à l’historien et statisticien allemand August Meitzen, Paul Lévy écrit : « Le nombre des Triboques, Némètes et Vangions a donc dû être considérable (Meitzen l’évalue entre 137 000 et 275 000 âmes). (...) Une autre considération nous force à croire que la population germanique de la rive gauche du Rhin, longtemps avant la conquête complète, a dû être assez nombreuse. Comment expliquer autrement le fait qu’on avait pu donner aux contrées longeant la rive gauche du Rhin le nom de « Germanie supérieure » ? [2] ».
On peut ainsi affirmer que la population germanique de la rive gauche du Rhin a dû, longtemps avant la conquête romaine, être assez dense et ses parlers, à côté des parlers celtes, très répandus. À leur arrivée, les Romains trouvèrent donc un pays dont le caractère germanique ne faisait aucun doute. Ceci explique que dès l'an 14 ap. J.-C., l'empereur Auguste ait érigé le long du Rhin jusqu'au Lac Léman et au lac de Constance, une province prenant en compte une réalité ethnique à laquelle on donna le nom de "Germanie Supérieure (Germania Superior)" avec l'Alsace au centre et Mainz pour capitale.
Cependant, devant les exigences de plus en plus pressantes d’Ariovist, toujours en quête de nouvelles terres pour fixer ses Germains, et l’arrivée constante de nouvelles tribus suèves, Séquanes et Eduens décident de se réconcilier et de s’allier pour contrer l’avancée germanique. Mais l’armée coalisée gauloise est écrasée par les Suèves d’Ariovist le 15 mars 60 av. J.-C[3]. à Magetobriga ou Admagetobriga (actuelle Côte d’Or). Fort de sa victoire, Ariovist exige alors un second tiers du pays séquane : il se considère désormais comme le suzerain des Eduens et des Séquanes et leur impose un tribut (impôt).
De leur côté, les Helvètes, originellement établis au Wurtemberg et contraints sous la poussée des Suèves d’émigrer vers le plateau suisse, en 58 av. J.-C. cherchent à émigrer vers l’ouest de la Gaule transalpine pour échapper au harcèlement des Germains (ayant séjourné longtemps en Germanie sur les bords du Main et du Neckar, les Helvètes étaient pénétrés des moeurs germaniques). Or, le pays des Eduens se trouvait sur leur chemin. Désespérés, ces derniers envoient un émissaire à Rome pour implorer l’aide du Sénat, probablement avec la triple préoccupation de stopper la migration des Helvètes, d’en finir avec l’hégémonie des Suèves et de briser le joug des Séquanes toujours protégés par ces derniers.
Evidemment, la défaite de leurs alliés Eduens, dont le territoire jouxtait la Narbonnaise, ne peut laisser les Romains indifférents. Mais le sénat romain, redoutant alors l’invasion des Helvètes, chercha d'abord à gagner du temps. Pour amadouer Ariovist et calmer ses appétits de conquête, en 59 av. J.-C. sous le consulat de Jules César, il lui avait octroyé le titre honorifique d’« Ami du Sénat romain ». Au nom du Sénat, César l’invita même à Rome, le couvrit de présents et le reconnut comme « roi des Suèves ».
Mais Ariovist a vent des projets de conquête de la Gaule de César, ce qui l’oblige à hâter l’implantation de ses tribus pour conforter ses positions dans tous les territoires passés aux Suèves et le devancer. Ainsi, et sans évoquer les Triboques à présent bien enracinés au Nord, au Sud, les 15 000 Germains venus en Haute-Alsace en l’an 63 av. J.-C. passèrent à 120 000 cinq années plus tard. La même année, 24 000 Harudes vinrent encore grossir leurs rangs.
C’est donc sans discontinuer que d’autres peuples germaniques s’établiront en Alsace jusqu’à occuper la totalité du pays en pratiquant l’élevage et en cultivant le sol. Pour défendre et garder leurs terres dans lesquelles ils se sont enracinés, ils suivront Ariovist jusqu’au bout.
La réaction des Romains ne tarde pas
La constante montée d’Ariovist va inévitablement provoquer une réaction des Romains qui ne peuvent tolérer que s’établisse le long du Rhin une puissance capable de contrarier leurs visées impérialistes sur la Gaule. Par ailleurs, Jules César, qui avait été nommé consul des Gaules en 59 av. J.-C., veut aussi assurer son contrôle sur les axes de circulation du centre-est de la Gaule. Récent vainqueur des Helvètes à la bataille de Bibracte (Montmort en Saône-et-Loire) en juin 58 av. J.-C., il est alors le seul à pouvoir empêcher militairement Ariovist d’étendre sa domination sur le nord-est de la Gaule.
César commence par envoyer des ambassadeurs à Ariovist. Mais celui-ci refuse un entretien en terre gauloise. De plus, il lui dénie toute légitimité pour s'occuper des affaires germano-gauloises et fait valoir son droit de rester en Gaule sur des terres qu’on lui a données « contractuellement ». César envoie alors un ultimatum au chef germain contenant une série d’exigences destinées à l’irriter pour l’amener à s’exposer. Il lui demande de ne plus installer de Germains en Séquanie, de rendre aux Eduens leurs otages et de ne plus s’attaquer à eux et à leurs alliés. Mais Ariovist, connu pour son tempérament fougueux, persiste : il refuse de se plier aux ordres des étrangers et rappelle à César que si les Eduens étaient devenus tributaires, ce n’était que justice, puisqu’ils avaient été battus après avoir été les premiers à attaquer.
C’est alors que César apprend que 100 cantons de nouveaux Suèves, soit environ 100 000 hommes, s’apprêtent à franchir le Rhin. Immédiatement, il décide de partir en campagne en se dirigeant d’abord vers Vesontio (Besançon), la capitale des Séquanes, pour se ravitailler !
Accompagné de 6 légions romaines, il vient en Alsace par la trouée de Belfort pour affronter l’armée suève d’Ariovist.
Dans La guerre des Gaules, Jules César nous apprend que, durant une halte de quelques jours à Vesontio, la peur s’empara soudainement de ses troupes. Dans les rangs des légionnaires romains on appréhendait l’affrontement avec ces « terribles Germains » qui semaient l’épouvante parmi leurs ennemis. La bataille approchant, la peur gagnait indifféremment soldats, centurions ou chefs de la cavalerie. Certains pleuraient, d’autres rédigeaient leur testament. Des troupes menacèrent même de désobéir à l’ordre d’engager la bataille. C’est que le raid meurtrier des Cimbres et des Teutons quelques décennies plus tôt était resté dans les mémoires romaines. César fut ainsi contraint de haranguer longuement ses troupes pour leur remonter le moral et leur redonner courage.
L’affrontement
César commence par manœuvrer adroitement pour pousser Ariovist à déclarer la guerre dans la plaine. Aussi, à l’automne 58 av. J.-C., il installe son armée près de l'actuel Wittelsheim, tandis qu’Ariovist cantonne la sienne non loin de là, à Ensisheim. Suite à une ultime négociation peu fructueuse [4] entre les deux hommes organisée à mi-chemin sur un tertre au sud de Pulversheim, la bataille n’allait pas tarder à s’engager.
Mais dans le camp des Germains, les devineresses suèves faisaient connaître la volonté des dieux : la bataille générale ne pouvait avoir lieu qu’après la nouvelle lune. Dans un premier temps, les Germains vont donc chercher à se dérober en évitant d’engager la grande bataille. C’est ainsi que les affrontements ne se limiteront d’abord qu’à quelques escarmouches menées par 6 000 cavaliers germains et autant de fantassins accrochés à la crinière de leurs chevaux au galop en se jetant au dernier moment sur les lignes ennemies comme de véritables projectiles. Dissimulés entre les chevaux, ces fantassins armés à la légère, habiles à manœuvrer et à frapper sous les flancs même des chevaux, étaient la terreur des soldats romains.
Cependant, ayant appris que les Germains refusaient de se battre avant la nouvelle lune, César se hâte alors d’engager la bataille et, sans tarder, installe deux légions à 800 m du camp adverse. Peu après, les deux armées se retrouvèrent face à face dans la plaine de l’Ochsenfeld en Haute-Alsace entre Alt-Thann / Vieux-Thann et Sennheim/Cernay : « Alors les Germains, contraints et forcés, se décidèrent à faire sortir leurs troupes : ils les établirent, rangées par peuplades, à des intervalles égaux, Harudes, Marcomans, Triboques, Vangions, Némètes, Sédusiens, Suèves [...] », écrit Jules César dans La guerre des Gaules (I, 51)».
Les assauts furent d’une violence inouïe. Mais opposés aux 40 000 légionnaires aguerris et bien équipés de César, les armées de la coalition germanique des Suèves finirent par ployer. Les renforts attendus tardant à venir, elles seront finalement écrasées après que le commandant de la cavalerie de César, voyant les armées romaines en difficulté, eut décidé d’engager les réserves composées de vétérans romains.
En Alsace, cette bataille marque le premier grand choc entre les civilisations latine et germanique.
Les pertes furent énormes de part et d’autre, le chiffre de 80 000 morts est souvent avancé. Quant aux survivants du carnage, ils furent rejetés outre-Rhin où ils se fixèrent. Mêlés aux autres Suèves déjà implantés sur ces terres le long du Rhin, ils formèrent le socle fondateur du peuplement « souabe », les futurs Schwaben (d’Schoowe). D’après l’historien romain Tacite, au Ier siècle de notre ère, ces derniers occupent toute la Germanie centrale.
Ariovist lui-même réussit à fuir en traversant le Rhin sur une barque laissant derrière lui ses deux femmes, il était bigame, et une de ses filles qui ne purent échapper au massacre auquel se livrèrent les Romains. Ne pouvant se pardonner son échec, désespéré, il mourut peu après, en 54 av. J.-C. Il avait commis l’erreur d’engager la bataille dans la plaine, en terrain découvert, ce qui avait laissé l’avantage aux troupes romaines dont les techniques de guerre étaient parfaitement adaptées à la situation d'un terrain dégagé[5].
La victoire de Jules César ouvre l’ère de la colonisation romaine
La victoire que remporta Jules César contre Ariovist à la bataille de l’Ochsenfeld, près de Cernay, ouvrit l’ère de la colonisation romaine de l’Alsace qui durera près de quatre siècles (58 av. J.C. à 350 après J.-C). L’Alsace est alors annexée par la république romaine avant de devenir une province de l’empire romain en 27 av. J.-C. Cependant, l’établissement définitif des Romains n’aura lieu qu’entre 16 et 14 av. J.-C.
Quant aux Gaulois, ils se rendirent très vite compte que les Romains n'étaient pas venus en libérateurs. Ils perdirent eux aussi leurs libertés et leur indépendance : leurs nouveaux maîtres sont désormais Romains ! En effet, dans la foulée de sa victoire sur Ariovist, César a immédiatement commencé par s'emparer de toute la région située entre la Seine et le Rhin (57 av. J.-C). Mais c'est en 52 av. J.-C. qu'il remporte une bataille décisive à Alésia contre Vercingétorix, le chef des Arvernes, qui avait tenté de fédérer les peuples gaulois pour repousser les envahisseurs romains. Des Suèves avaient alors franchi le Rhin pour prêter main-forte aux Gaulois assiégés. Mais, probablement devant la désunion de ces derniers, ils finirent par renoncer. Ils s'en retournèrent en Germanie en traversant le Rhin en profitant d'un pont nouvellement construit par les Romains. Ainsi, durant huit années, de 58 à 51 av. J.-C., César ne cessa de guerroyer en Gaule jusqu’à soumettre tous les peuples gaulois des Pyrénées à l’embouchure du Rhin.
Cependant, des Celtes et des Germains continuaient de vivre tant sur la rive droite du fleuve que sur la rive gauche, le Rhin n'ayant jamais été une barrière empêchant la circulation des peuples. (En Alsace au XVIIe s., s'inspirant de la politique des Romains, les Français en firent une frontière politique ; il n'en demeure pas moins qu'il ne fut jamais une frontière ethnique).
En Alsace, le peuplement germanique perdura même après la défaite des armées d’Ariovist et de la noblesse suève. Les Romains maintinrent sur place, probablement au titre de fédérés[6], les Triboques, les Vangions et les Némètes déjà sédentarisés ainsi que les Harudes en Haute-Alsace (la Basse-Alsace sera érigée au rang de Civitas Tribocorum, le district des Triboques, avec Brotomagum (Brocomagus / Brumath) pour capitale). Tous se fixèrent définitivement en Alsace où ils s’avérèrent être d’excellents artisans et agriculteurs. L'Alsace était devenue leur terre ! De ce fait, la langue germanique a pu se maintenir à côté du latin, la langue officielle imposée par les Romains.
On peut noter que sans la défaite d’Ariovist, qui permit aux Romains de gagner la frontière du Rhin, la guerre des Gaules n’aurait probablement pas pu avoir lieu. L’Europe au nord des Alpes aurait alors vraisemblablement connu un autre destin. Et peut-être même parlerait-on allemand aujourd'hui en France.
La colonisation romaine en Alsace
Cette période sera caractérisée par une forte présence militaire dans le pays particulièrement pesante en Basse-Alsace où le camp d’Argentorate (Strasbourg) prit une importance stratégique grandissante. L’Alsace est alors un territoire occupé militairement et administré par des fonctionnaires romains, civils ou militaires, qui ont autorité sur tout : l'armée est omniprésente. C’est elle qui contribue le plus à répandre la culture, la langue et les mœurs latines principalement dans les quelques centres urbains, les campagnes restant à l'écart. C’est que les légionnaires romains devaient obligatoirement être citoyens romains et savoir parler, lire et écrire le latin.
L’armée romaine, qui maîtrisait parfaitement l’art de la parade et, par son aspect "clinquant", celui de l'esbroufe, était le principal instrument de la conquête : elle devait incarner la civilisation et éblouir les Barbares considérés comme rustres et inférieurs. Soumis à une discipline de fer, doté d’un équipement standardisé comprenant, entre autres, une cuirasse (ou une cote de maille) rutilante en bronze pour protéger le torse, un glaive dans un fourreau décoré pour le corps à corps, un pilum et un casque parfois rehaussé par des plumes pour paraître plus grand, le soldat romain devait impressionner son adversaire « barbare » indiscipliné, se battant la plupart du temps torse nu avec des armes plus rudimentaires. L’armée romaine, conçue comme une force de dissuasion, voulait être le reflet de la grandeur de Rome et de la toute-puissance de l’Empire. Elle avait de ce fait un impact psychologique évident sur l’adversaire [7].
. La langue : Les Romains, qui tiennent le pays d'une main de fer, imposent leur langue, le latin, comme langue administrative, commerciale, de l'éducation et de la bonne société. Les tribunaux, les armées et les temples n'ont que le latin pour langue officielle. Face aux autres langues du pays, celte et germanique, ils imposent l'idée que le "latin est le beau langage"! Par ailleurs, nombre d'autochtones, celtes ou germains, sont affublés de noms latins. Il en est de même des nouveaux toponymes, comme par exemple Tres Tabernae (Zabern / Saverne). Certains anciens toponymes celtes ou proto-celtes sont néanmoins conservés.
. Un système colonial très inégalitaire : Les citoyens romains sont la classe privilégiée. Eux seuls sont gratifiés de privilèges et peuvent accéder à la carrière des honneurs (fonctionnaires, hautes charges…). Ils bénéficient également d'un régime pénal allégé, moins dur. Et dans les écoles ne sont enseignés que le latin ou le grec ainsi que l'histoire de Rome et des dieux du panthéon greco-romain (Jupiter, Mercure, Apollon…). Ravalés au rang de conquis, les indigènes ne peuvent participer à la vie politique. Ils ne bénéficient ni de la même considération, ni des mêmes droits que les Romains. Ils sont considérés comme des "Barbares", une notion réductrice révélatrice de la xénophobie des Romains convaincus de la primauté de leur culture et civilisation. Ce n’est qu’en 213, sous Caracalla, que la citoyenneté romaine sera accordée aux hommes libres de l’empire, mais sans pour autant que la hiérarchie n’en soit changée. Les esclaves, probablement les plus nombreux, eux ne bénéficient d’aucun droit.
. Une latinisation superficielle : Cependant, les Romains ne formeront toujours qu’une mince couche de la population, la seule immigration romaine étant le fait de vétérans de l’armée, auxquels on octroyait des terres, ou de commerçants venus des pays romanisés notamment de la Narbonnaise. Mais l'Alsace rurale, où se concentrait l'essentiel de la population, ne changea guère et resta assez hermétique à la latinisation/romanisation. Il en est de même de la plèbe des cités. Ainsi, la très grande majorité de la population ne parlait pas le latin ! Dans sa célèbre Histoire linguistique d'Alsace et de Lorraine, le professeur Paul Levy écrit que les populations rurales "ne furent que peu ou prou touchées par la latinisation"(p.53). Ceci expliquera la disparition rapide et complète du latin entre le IVe et le VIe s. Durant cette période, des termes latins vont passer dans l'ancien germanique et vice-versa : ex. le latin vinum devient Win en alémanique ; le germanique Stalla passe dans le latin sans modification en Stalla (étable, stalle).
Pour inventer des racines gallo-romaines aux Alsaciens, afin de nier leurs origines germaniques, et attester de la romanisation de l'Alsace, les historiens français s'appuient généralement sur les découvertes archéologiques. En recensant les textes retrouvés et l'origine des noms relevés sur les tombes, les monuments trouvés dans le sol ou les graffitis figurant sur les poteries, ils insistent sur le fait que l'écrasante majorité sont celtes ou latins (on retrouve d'ailleurs les mêmes types de vestiges en Allemagne, en Autriche ou en Suisse, sans pour autant que le caractère germanique de ces populations ne soit jamais mis en doute). Or, cette démonstration ne tient pas puisque le latin était la langue unique imposée partout et à tous par les occupants romains, ce qui explique son omniprésence. Par ailleurs, les Germains établis dans les campagnes - ils n'aiment pas les villes - avaient leur propre écriture, l'"écriture runique", apparue seulement au IIe s. et dont ils firent un usage restreint (Romains et Celtes utilisaient les caractères latins ou grecs). Ajoutons encore que seuls les Romains utilisaient la pierre dans leurs constructions, alors que les Celtes ou les Germains privilégiaient le bois. Ceci explique le grand nombre de découvertes archéologiques d'origine romaine (pierres de construction sculptées, statues de divinités romaines, textes en latin gravés dans la pierre…).
. Des routes stratégiques : Pour faciliter leurs continuelles expéditions guerrières en Germanie libre, les Romains développèrent un remarquable réseau de routes stratégiques longeant le Rhin ou allant soit vers le territoire ennemi, soit vers Rome où était centralisé le pouvoir. Les plus importantes sont pavées. Les grandes routes stratégiques mesurent de 10 à 14m de large. Trois d’entre elles parcouraient le pays du Nord au Sud.
. Le Limes : c'est une ligne militaire de défense et de surveillance constituée de murs de pierres, de tertres, de fossés, de palissades, de tours de guet et de fortins. Dès 12 à 19 av. J.-C., Drusus l'Ancien avait fait réaliser une ligne de défense de première nécessité avec de petites garnisons installées dans des lieux stratégiques. Sous l'empereur Auguste (27 av.J-C.- 14 ap. J-C.), premier empereur romain, les Romains édifièrent tout le long du Rhin une ligne continue de fortins, les "castella", qui, en Alsace, sont souvent à l'origine d'agglomérations comme Lauterbourg / Lauterburg, Seltz / Selz, Drusenheim, Mons Brisiacus (Breisach), Argentovaria (Horbourg / Hochburg)…
Le limes, qui s'étendait sur plus de 550km sous Domitien, était néanmoins perméable aux échanges de marchandises, frappées de taxes par les Romains, grâce aux nombreuses portes qui jalonnaient son parcours. Il eut une certaine efficacité durant près de deux siècles, mais ne constitua jamais une frontière étanche empêchant les échanges culturels entre le monde romain et le monde germanique, entre le monde romanisé et les "barbares". (Curieusement, l'historiographie française ne réserve qu'aux Germains le qualificatif de "barbares"… alors qu'aux yeux des Romains les Gaulois l'étaient pourtant tout autant).
. Développement de la production régionale et de l’artisanat : Les Romains détermineront de même la production régionale en fonction des besoins de leur armée grande consommatrice de produits artisanaux et agricoles nécessaires au ravitaillement des troupes (blé, arbres fruitiers, chevaux, bovins, volaille…). De plus, les soldats romains, qui étaient salariés, une rareté dans l'antiquité, touchaient une solde assez élevée, ce qui en faisait des clients idéaux pour écouler les productions artisanales locales : verrerie, céramique, cuir, outils, pierres taillées nécessaires aux constructions (thermes, théâtres, temples…). Il s’en suivra une multiplication d'ateliers de toutes sortes à travers le pays dont de nombreuses forges et tanneries.
Venus pour la plupart du bassin méditerranéen, avec des habitudes alimentaires et un mode de vie différents des populations indigènes, ils favorisent également l’importation de produits caractéristiques du sud : vin d’Italie, huile d’Espagne, épices, poivre, dattes… Vers l’an 280, ils acclimatent la vigne cultivée, à l’origine du vignoble alsacien.
Des colons romains introduisent également un nouveau mode d’exploitation, les « Villae » avec leurs opulentes demeures, grands domaines de plusieurs centaines d’hectares cultivés essentiellement par des esclaves. Toutefois, elles seront peu nombreuses en Alsace.
. Religion : Les Romains emportent avec eux les dieux et divinités du panthéon gréco-romain tandis que les indigènes conservent les leurs. Cependant, il s’est produit des mélanges (syncrétisme), les Romains assimilant leurs propres dieux et ceux des Celtes voire des Germains. C’est souvent sous un nom romain qu’on continuait à vénérer des dieux indigènes. Ainsi, Mars est associé à Medru et Jupiter à Taranis. Quant à la déesse Junon, elle est assimilée par les Gaulois à la déesse mère, Cantismerta. En Alsace, le christianisme ne fit son apparition qu’au IVe siècle. Le nom de l’évêque Amandus est évoqué en 342.
. Le mythe de la « Pax Romana » : On parle souvent de « Paix romaine » pour caractériser la période de l’occupation romaine. Mais à présent, la plupart des historiens s'accordent à dire que c'est faux ! En effet, cette période fut marquée par une alternance de périodes de calme (tout à fait relatif) et de graves troubles avec une succession de révoltes, de conflits internes à l'armée et de répressions souvent sanglantes : révoltes des indigènes contre l’occupation romaine, guerres incessantes avec les Germains infiltrés sur le Rhin, destructions de villes, mutineries de garnisons romaines... Et c’est toujours par le feu et le fer que les Romains rétablirent l’ordre : la "Paix romaine" par le despotisme militaire !!
Insatiables de conquêtes
Les Romains ne cessent d’entreprendre des expéditions guerrières en Germanie libre toujours accompagnées de destructions et de massacres. En effet, les Romains avaient la constante volonté de reporter la frontière du Rhin jusqu’à l’Elbe. Ainsi, vers l’an 10 av. J.-C., Auguste charge son beau-fils Drusus, plusieurs fois victorieux en Germanie, de la construction d’un chapelet de postes militaires le long du Rhin pour servir de base de départ à l’invasion de la Germanie libre, la « Germania Magna ». Chaque année, des légions romaines partaient ainsi de leurs bases situées sur la rive gauche du Rhin et le cours supérieur du Danube dans l’intention de prendre les Germains libres en tenaille. Durant ces expéditions, les Romains se ruaient sur les villages de la Germanie pour y faire des razzias d'esclaves, hommes, femmes, enfants, et s'emparer des bestiaux. Les habitations, généralement en bois et toits de chaume, étaient ensuite le plus souvent livrées aux flammes. Cette chasse à l'esclave continuelle permettait aux Romains de procurer aux terres latines la main-d'oeuvre nécessaire à leur exploitation. La Germanie libre était ainsi devenue pour eux un réservoir inépuisable de main-d'oeuvre et d'auxiliaires pour leurs armées. Elle fut, de ce fait, l'une des principales sources de l'esclavage antique ! Une des conséquences des continuels massacres de populations et des prélèvements incessants d'esclaves fut la disparition de peuples entiers. Ainsi en fut-il des Eburons, une tribu germanique de la région de l'"Eifel", territoire entre le Rhin et la Meuse (Maas), qui furent massacrés par milliers lors des incessants raids, tandis que les survivants étaient envoyés en longues colonnes vers l'esclavage. Leur nom finira par disparaître de l'histoire.
Hermann le chérusque met un coup d’arrêt aux ambitions romaines en Germanie
Mais en l’an 9 ap. J-C., le chef chérusque Hermann / Arminius met un coup d’arrêt à la politique expansionniste romaine en Germanie en anéantissant les trois légions romaines du légat Varus avec leurs auxiliaires dans la forêt de Teutoburg (Westphalie). Dans la foulée, tous les camps romains sur la rive droite de la Weser, à l’exception d’Alesio, sont détruits. Les Romains sont alors contraints de se replier à nouveau sur le Rhin, ce qui donnera une importance accrue au camp d’Argentorate. Leurs troupes vont ensuite rester sur le pied de guerre dans l'attente des Germains… qui, trop contents de s'être débarrassés des envahisseurs, ne se manifestèrent plus. En réussissant à stopper les Romains, Hermann le chérusque, qui passe pour le libérateur de la Germanie, a réussi là où Vercingétorix avait échoué quelques décennies plus tôt en Gaule ! Après le sanglant désastre de la forêt de Teutoburg, la peur panique qui s’était emparée des Romains poussa Auguste à concentrer un tiers de toute l’armée impériale derrière le fleuve.
Les incursions vont néanmoins continuer
Mais les incursions militaires romaines en Germanie ne vont pas complètement cesser pour autant. Ainsi, vers 72, l'empereur Vespasien (69-79) fait construire une route stratégique reliant Argentorate au lac de Constance en passant par la Forêt-Noire. L’année suivante, il s’empare du territoire situé au sud de cette route dans le coude du Rhin, grosso-modo l'actuel Bade-Wurtemberg, plus précisément la haute vallée du Rhin, du Danube et du Neckar. Il en chasse les Suèves venus au Ier s. av. J-C. et favorise l’implantation de colons gaulois dont Tacite dira qu’il s’agissait de « l’écume des Gaules, tous ceux que la misère pousse à l’audace ont saisi une terre dont la propriété était incertaine » (cf Tacitus, Germania XXIX, 4). C'est à Vespasien que revient l'idée d'utiliser le cours du Neckar comme voie de pénétration en Germanie libre.
Entre 83 et 89, Domicien recule encore cette limite : après plusieurs campagnes, il complète les conquêtes de ses prédécesseurs par l'annexion d'une partie de la Hesse, avec le Taunus, et de la Vettéravie, une ancienne région allemande située entre Hesse, Westphalie et Franconie. Ce vaste territoire nouvellement conquis sera annexé à l'empire et appelé "Champs Décumates", probablement en référence à l'obligation qui fut faite aux habitants de payer une dîme à l'empereur romain.
C’est sous la dynastie des Flaviens (Vespasien, Titus, Domitien), qui ont régné de 69 à 96 sur l’empire romain, que sont précisées les limites de la « Germanie inférieure » et de la « Germanie supérieure » à laquelle est rattachée l'Alsace. Il y avait alors trois Germanies : La Germanie libre, la Germanie inférieure et la Germanie supérieure. Cette dernière avait pour chef-lieu Mainz / Mayence et englobait toute la rive gauche du Rhin entre les confluents de la Moselle et de l’Ara ainsi qu'une partie de la Suisse, la Franche-Comté et un morceau de Bourgogne.
La Germanie Supérieure en l’an 120
(source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Germanie_supérieure)
A la fin du règne de Domitien, empereur de 81 à 96, le limes partait de la « Germanie inférieure » et aboutissait au Danube en amont de Regensburg/Ratisbonne, en passant au-delà de la vallée du Neckar. Cependant, à partir du début du IIIe s., il ne suffira plus pour arrêter la poussée des peuples germaniques dont certains avaient déjà pris pied derrière le limes depuis fort longtemps soit comme auxiliaires des armées romaines, soit comme colons autorisés à cultiver les terres abandonnées.
De sorte qu’en 254, les Romains, constamment harcelés par des troupes de guerriers germains, se trouvent placés dans l’incapacité de défendre les Champs Décumates. Ils sont refoulés derrière le Rhin et contraints d’abandonner le limes. Sous l’empereur Galien (260-268), celui-ci est ramené sur le Rhin qui redevenait ainsi la frontière de l’empire.
Les Suèves à nouveau en mouvement
Du côté de l’Elbe, depuis la défaite d’Ariovist, le peuple Suève était alors dans une mauvaise passe. Décimé, il avait perdu sa puissance d’antan et semblait déprimé. A part quelques opérations de guérilla, généralement menées par de petits groupes de cavaliers qui se repliaient dans la forêt une fois leur opération accomplie, il n’avait plus guère fait parler de lui pendant des décennies.
Cependant, grâce à sa vitalité, marquée par une forte natalité, et sa ténacité, il finira par se relever pour reprendre ses grandes migrations. Vers 200 après J.-C., c’est-à-dire longtemps avant que ne débute en Europe le grand mouvement tournant des peuples, die Völkerwanderung, probablement poussés par le manque de nourriture, les terres où ils étaient implantés étant trop pauvres pour les nourrir tous, les Suèves reprendront le chemin vers le sud en quête de terres capables de subvenir à leurs besoins alimentaires ! Une étude sur des os de squelettes trouvés lors de fouilles, notamment au Schleswig-Holstein, ont mis en évidence une succession de périodes de famine (jusqu'à 11 pour un individu dont l'âge a été estimé à 16 ans - voir Geoepoche n°34-2008). Le souvenir de leur terre perdue d’Alsace, où s’étaient fixés tant des leurs du temps d’Ariovist, était resté vivace dans leur mémoire.
Buste d'un guerrier, probablement suève, de la région de l'Elbe.
(in Karin Krapp, Die Alamannen, éd. Theiss, 2007)
Les Alamans entrent en scène
Au fur et à mesure de leur avancée, des survivants de peuplades germaniques massacrées par les Romains et divers peuples germaniques de moindre importance vivant entre la Weichsel (Vistule), la Weser et l’Eder, se joindront aux tribus Suèves pour refouler le colonialisme romain et conquérir de nouvelles terres. « Tous les hommes », « alle Mannen », capables de porter les armes sont les bienvenus[8] ! Ils finiront par former un peuple original, une nation : les Alamans / die Alemannen, nos ancêtres, héritiers des Suèves. A partir du Ve s., les noms de Alamans et Suèves seront synonymes et utilisés indifféremment au point que le nom de Suèves s'imposera progressivement pour désigner le territoire sur lequel les Alamans s'étaient installés ! A noter que ce nom, c’est eux-mêmes qui se l’attribuèrent !
Parmi les tribus qui firent partie des Alamans citons : les Suèves, les Hermundures, que Tacite range sous les Suèves, les Juthunges, les Bucinobantes, les Lentiens, les Armalauses, les Teutons, les Quades, Marcomans et Semnons...
C’est en 213, alors qu’ils s’attaquent au limes sur le Main, que leur nom, en latin Alamanni, apparaît pour la première fois dans les textes romains : les Alamans entraient dans la lumière de l’histoire ! Dès 254, après une première incursion en 233/34, ils reconquièrent progressivement les Champs Décumates en refoulant Romains et Gaulois derrière le Rhin. En 259, ils s'aventurent même jusqu’en Italie du Nord où ils sont arrêtés in extremis dans leur marche vers Rome par Gallien qui fini par les battre près de Milan.
Quelques décennies plus tard, les Alamans occuperont tout l’espace compris entre le lac de Constance, incluant tout le Bade-Wurtemberg, et la plaine de l’île. Par la suite, ils ne seront plus jamais chassés de cette terre gagnée de haute lutte où planait toujours l'âme de leurs ancêtres de l'épopée d'Ariovist. Ils s’y enracineront définitivement.
Au début du Ve siècle, emportés par leur impétuosité, des Suèves conduits par le roi Herméric et qui avaient franchi le Rhin avec les Alains et les Vandales en 406, choisissent de suivre ces derniers. Ils traversent toute la Gaule jusqu’aux Pyrénées avant d’aller fonder des royaumes en Galice et nord du Portugal – ce royaume sera reconnu par les Romains[9] - ainsi qu’en Espagne, des royaumes qui dureront jusqu’au VIe siècle ! Certains s'aventurèrent même jusqu’en Afrique du nord.
Bernard Wittmann - Historien - 23.12.2017
[1] P. Zind, Brève histoire de l’Alsace, éd. Albatros, 1977, p.23.
[2] Paul Lévy, Histoire linguistique d’Alsace et de Lorraine, Les Belles Lettres, t. I, p. 47.
[3] Cicéron, lettre à Atticus.
[4] Avant que ne s’engage la bataille, lors d’une ultime rencontre à cheval sur un tertre à l’écart du champ de bataille au Sud de Pulversheim, César rappelle à Arioviste que les Eduens sont les alliés des Romains qui, de ce fait, ne peuvent accepter qu’il soit porté atteinte à leur territoire. Il demande à Arioviste de faire allégeance à Rome, d’arrêter toute action guerrière à l’égard des Eduens et de renvoyer en Germanie une partie de ses troupes. Mais celui-ci refuse en rappelant que ses peuples suèves étaient venus dans cette partie de la Gaule bien avant les Romains et que, de plus, cette terre lui a été donnée librement par les tribus gauloises qui l’ont appelé à leur secours : « Mes hommes ont quitté leur patrie et leur famille à contrecœur. Seule la promesse de fortes récompenses les décida à venir. Les terres que nous occupons, ce sont les Gaulois eux-mêmes qui nous les ont données. Et le tribut qu’ils nous versent répond aux lois de la guerre que nous ont enseignées les Romains. Je ne comprends pas pourquoi, toi César, tu les incites à refuser de nous verser le tribut qu’ils ont payé jusque-là volontairement ». Pour finir, il se déclare souverain sur ses terres : « Cette partie de la Gaule est ma province, pas la vôtre et je ne tolèrerai aucune attaque de notre territoire !», dira-t-il en substance. De son côté, César maintient ses prétentions sur toute la Gaule : « La domination de la Gaule par le peuple romain est totalement justifiée » ! La bataille va alors s’engager.
[5] Quelques décennies plus tard, le chef de guerre chérusque Hermann, retiendra la leçon. Par des actions de guérilla, il attira les légions de Varus sur son terrain dans les profondes forêts et les marécages du pays chérusque sur les deux rives de la Weser propices aux embuscades. C’est ainsi qu’en l’an 9 après. J.-C., les guerriers chérusques, surgissant dans un étroit passage du « Teutoburger Wald » anéantirent totalement l’imposante armée romaine. Dans l’impossibilité de manœuvrer, elle laisse 25000 morts sur le carreau ! La victoire écrasante des Chérusques de Hermann dissuada les Romains de faire de la Germania magna une province de Rome. Ses légions, constamment harcelées par des groupes de combat germains, furent contraintes de se replier sur le limes du Rhin.
[6] Peuples ayant passé un traité d’alliance (foedus) ou de soumission avec les Romains.
[7] Héritage de la colonisation romaine, on retrouve cette culture de l’apparat et du paraître des Romains dans la France républicaine contemporaine. Ainsi, les « fastes de la République » visent à épater et à impressionner non seulement les hôtes du pouvoir mais aussi les visiteurs étrangers : défilés militaires grandioses symbolisant la puissance, gardes républicains à cheval avec leurs casques empanachés, décorum luxuriant des palais de la République croulant sous les dorures….
[8] L’historien Pierre Zind évoque une autre hypothèse : le nom pourrait aussi signifier « les hommes sacrés », Ala voulant dire sacré en Urgermanisch ?
[9] Ce fut le premier royaume du Haut-Moyen-Age qui frappa monnaie pour signifier son existence.