Oskar Wöhrle, le Rimbaud alsacien !

 

Oscar Wöhrle

Sous le Reichsland

Oskar Wöhrle (1890-1946), fut un poète et écrivain de grand talent qui contribua, en son temps, à rénover la littérature alsacienne d’expression allemande et dialectale. Fils de cordonnier, celui qu’on appellera  plus tard « le poète vagabond » ou le « Rimbaud alsacien », à cause de la vie de bohème qu’il mena (Nathan Katz, parlant de sa vie, le compare à Rimbaud ou Verlaine), dès son jeune âge, se montra doué d’une brillante intelligence.

Il commença des études d’instituteur à l’école normale de Colmar où il fit la connaissance du jeune Joseph Rossé. Mais, habité par une irrésistible soif de savoir et de découvertes, il préféra l’aventure et fugua à travers la France où il mena une vie de vagabond…pour finalement s’engager dans la Légion étrangère (il découvrira d’ailleurs que celle-ci était majoritairement composée d’Allemands, de Suisses et d’Autrichiens). C’est ainsi qu’en 1909, il se retrouva en Algérie, puis au Maroc où les Français cherchaient à mater des rébellions indigènes. Au Maroc, à Fort Lallemand au confin du Sahara, il sera engagé dans des combats meurtriers (des 60 hommes de la garnison, il ne restera que 27 survivants !). Evacué à Biskra, il est sauvé in extremis du typhus par un médecin sundgauvien comme lui qui le fit rapatrier à Marseille.

A partir de là, il ne veux plus retourner en Afrique du Nord car il  n’aime pas cette guerre coloniale et toute cette violence qui l’entoure : l’antimilitarisme le gagne. Poussé par un irrésistible « Heimweh », il décide alors de déserter pour retourner à Sankt-Ludwig (Saint-Louis)… où on le croyait mort. Pour gagner sa vie, il travailla alors dans une usine textile de Basel. Dès lors, il se consacrera à la littérature, fréquentera les milieux littéraires de Basel et de Zürich et se liera d’amitié avec le grand écrivain alsacien Friedrich Lienhard.

Pourtant, sa vie sentimentale le pousse à quitter Sankt-Ludwig pour Strassburg. Là, en 1911, à court d’argent, il s’engagea, cette fois dans l’armée allemande (dans un régiment d’artillerie) qui n’appréciera guère son indiscipline et prendra pour prétexte sa mauvaise santé pour le libérer sans tarder du service actif. Il restera alors à Strassburg, s’installera à Schiltigheim où il travaillera dans une conserverie. C’est en 1913, qu’il écrira son premier grand succès, un roman, Der Baldamus und seine Streiche (100.000 exemplaires imprimés en 1931), récit autobiographique de la révolte d’un adolescent et de ses années de vagabondage dans l’atmosphère tendue qui régnait alors entre l’Allemagne et la France.

 

Der Baldamus und seine Streiche

 

Peu après, grâce à son ami Friedrich Lienhard, il sera embauché par la revue littéraire Die Lese à München (il y rencontrera le poète prolétarien allemand Max Barthel qui deviendra son ami) ; à cette époque il écrira son célèbre Sundgaubuch, un recueil d’histoire et de poèmes. En 1914, il reviendra brièvement à Strassburg pour se marier avant de retourner à München. 

Première guerre mondiale

Peu après arrivera la première guerre mondiale. Incorporé dans l’armée allemande, mais suspect auprès des autorités allemandes puisque Alsacien et ancien légionnaire français, il sera arrêté quelque temps plus tard pour espionnage au profit de la France. Il réussira néanmoins à s’enfuir de la prison militaire et quittera München pour aller se réfugier à Strassburg où, pour échapper à la police, il n’aura d’autre alternative que de se porter volontaire dans son ancien régiment d’artillerie. De là, il sera envoyé sur le front en Russie, puis muté en Lituanie où il passera une grande partie de la guerre comme rédacteur du journal de la Xe armée. Il y apprendra la langue du pays et s’ouvrira à la poésie et la littérature lithuaniennes. A Versailles, la Conférence de la paix tiendra d’ailleurs compte, pour le tracé des frontières du futur Etat lituanien, du mémoire qu’il écrivit en Lituanie Litauen in geographischer und ethnischer Hinsicht.

Oskar Wöhrle est maintenant devenu un antimilitariste farouche, il hait la guerre, car il aime les hommes ; deux livres écrit durant la guerre 14-18 en témoignent : Soldatenblut et Das Bumserbuch. Il prendra d’ailleurs part au mouvement insurrectionnel socialiste des Soldaten –und Arbeiterräte. A l’issue du conflit, il reviendra pour un court séjour dans son pays natal. C’est à Strassburg qu’il rencontrera pour la première fois celui qui allait devenir par la suite son meilleur ami, le poète alsacien Eduard Reinacher (1892 – 1968) (Après sa mort, Reinacher lui consacrera tout un chapitre dans ses mémoires Am Abgrund hin). Mais Wöhrle qui n’avait connu que le Reichsland, ne trouvera plus ses marques dans la nouvelle Alsace française soumise à la politique d’assimilation, aux diktats de Paris, de ses commissaires de la République et de ses préfets assistés de cohortes de fonctionnaires venus de l’Intérieur qui ne connaissaient rien à l’Alsace. Il préfèrera s’exiler en Allemagne.

L’entre-deux guerres

C’est ainsi, qu’au début de la République de Weimar, il s’installera à Konstanz où il lancera, en collaboration avec le prix Nobel Andersen-Nexö (1869 – 1954), le grand poète-ouvrier danois, une maison d’édition de gauche (1920-1925). Puis, au début des années 30, il se fixera à Berlin où il collaborera au journal socialiste Vorwätz ; il écrira le Vier-Männer-Buch et le Rattennest, ses livres les plus typés.

En Alsace, il conserva néanmoins toujours de nombreux amis notamment dans les divers milieux autonomistes alsaciens dont il se sentait le plus proche (En 1941, Rossé rééditera son Sundgaubuch aux éditions Alsatia). En Allemagne, il fréquentera également la communauté des exilés alsaciens qui, comme lui, nourrissait la même nostalgie de leur patrie perdue. 

En 1933, après la prise du pouvoir par les nazis, Oskar Wöhrle, connu pour ses amitiés communistes et son opposition au nazisme, doit fuir Berlin et ses livres, dont le fameux Querschläger,  sont brûlés (mai 1933). Prévenu par des amis, il échappe de peu à l’arrestation et la déportation dans un camp de concentration. L’alerte a été chaude. Il n’a guère d’autre choix : en toute hâte il décide de retourner en Alsace. Et c’est à pieds qu’il reliera alors Berlin à Lörrach (il assommera un douanier allemand qui voulait contrôler ses papiers et s’échappera en sautant par une fenêtre du train).

Arrivé en Alsace, il s’installera d’abord à Sankt-Ludwig, puis à Strassburg où il travaillera comme ouvrier. Il y écrira alors son grand roman Die Backpulverstadt ainsi qu’un recueil de poèmes Die Schiltigheimer Ernte dont la couverture fut illustrée par son ami le peintre-poète Henri Solveen. Durant son séjour en Alsace, il rencontrera aussi certains des chefs autonomistes comme Rossé ou Roos dont il partageait l’idéal et leur opposition à la politique de francisation et d’éradication de la langue allemande. 

Oskar Wöhrle est maintenant devenu un écrivain célèbre. Invité à séjourner trois mois en Tchécoslovaquie qui, en 1932, l'avait fait citoyen d’honneur suite à la publication de son roman consacré à Jan Hus (« Jan Hus. Der letzte Tag » publié en 1932 à Berlin ; il y raconte la dernière journée du réformateur), il va s’installer à Prague (1933). Au bout de quelques temps il s’y retrouvera sans ressources. Mais il sera néanmoins contraint de prolonger son séjour, ne pouvant alors rentrer, ni en Allemagne où les nazis l’auraient arrêté, ni en Alsace. En effet, n’ayant jamais connu qu’une Alsace allemande, puisqu’il était né en 1890 sous le Reichsland, Wöhrle avait  toujours défendu le caractère allemand de sa Heimat. Ce qui, devant les tensions croissantes entre la France et l’Allemagne, compliquait singulièrement son  retour dans son pays natal où les Heimatrechtler étaient alors l’objet de suspicions et de persécutions policières et politiques. Pour quitter Prague et la vie misérable qu’il y menait, il dut attendre jusqu’en 1937, date où des amis de Freiburg obtinrent pour lui des Nazis la garantie qu’il pourrait retourner en Allemagne sans risquer l’arrestation pour ses opinions politiques. Oskar Wöhrle retourna alors s’installer au Pays de Bade où il continuera d’écrire notamment des pièces de théâtre qu’il présentera à la radio. Cette activité et ses œuvres littéraires lui conféreront une certaine popularité dans « le pays des trois frontières » et au-delà, dans toute l’Alsace et même dans toute l’Allemagne (en 1939, il recevra un deuxième prix littéraire, le prix « Erwin von Steinbach »).

Mais, à partir de 1938, les campagnes de persécutions dont furent victimes les Heimatrechtler alsaciens, avec notamment l’arrestation du Dr Karl Roos fin 1939 et son exécution le 7.2.1940, puis les arrestations massives de responsables et d’élus de la Heimatbewegung, notamment les Nanziger dont il connaissait la plupart, mais aussi des simples militants - dont plus de 500 furent envoyés dans des camps de concentration à St-Dié et Arches –, le bouleversèrent et le révoltèrent. Au  point, qu’en juillet 1940, il se porta volontaire pour rejoindre le commando spécial de l’Abwehr, commandé par le major Dehmel, qui fut chargé de retrouver à travers la France pour les libérer, les « Nanziger » que les Français projetaient d’envoyer en Afrique du Nord vraisemblablement pour les y éliminer.  

Pendant la guerre 39-45

En juin 1940, Oskar Wöhrle s’installera à nouveau à Sankt-Ludwig avec sa femme et ses deux filles, puis, peu après, à Brunstatt. Son aversion pour le jacobinisme et la politique brutale d’assimilation française, sa conviction de la destinée allemande de l’Alsace et son amour pour sa Heimet et sa langue, l’amèneront ensuite à se compromettre, par opportunisme vraisemblablement, avec les Nazis, pourtant ses pires ennemis d’hier : « er hatte aus Heimatliebe mit den Nazis paktiert », écrit le poète prolétarien Max Barth. Mais son humanisme le poussera souvent à émettre des réserves et sa compromission se limitera à des activités radiophoniques durant la présence allemande. Celles-ci, en novembre 1944, le condamnèrent à fuir avec nombre de Ludoviciens et de Huninguois d’abord à Basel, puis au Bad-Württemberg.

Diabétique, Wöhrle mourut le 31.1.1946 à Glötterbad, près de Freiburg-im-Breisgau. Il laissa derrière lui une œuvre considérable en langue allemande et en dialecte alémanique, faite de nouvelles et de romans ainsi que de nombreux poèmes (il en écrira plus de 1000),  dont beaucoup sont consacrés à son pays natal (Sundgaubuch (1941)). Après la guerre, son oeuvre sera passée sous silence en Alsace. D’ailleurs, elle ne figure toujours pas dans l’encyclopédie de biographie alsacienne. Seuls quelques rares personnalités alsaciennes comme René-Nicolas Ehni, Nathan Katz - qui l’appelait affectueusement « mon ami le poète » -, le maire de St. Ludwig Georges Gissy ou la poétesse Anne-Frank Neumann oseront saluer son œuvre.

 

 

Oskar Wöhrle

 

Ce n’est qu’en mai 1990 que le Député-Maire de Sankt-Ludwig/ St Louis Jean Ueberschlag, tira le poète de l’oubli dans lequel on le confinait depuis 1945, en organisant, avec le concours du services des archives municipales, une exposition commémorative pour lui rendre hommage : « Notre ville peut être fière d’avoir donné le jour à cet écrivain talentueux, enfant de son siècle, attaché à son Sundgau, dont il avait le caractère. Oskar Wöhrle sera désormais chez lui à Saint-Louis ; ne pas rendre l’hommage mérité à un talent tel que le sien, n’eut pas honoré notre ville » déclara à cette occasion Jean Ueberschlag (la mairie de St. Ludwig / St Louis, par le biais de l’Association d’Action Culturelle Cultur’a, réédita à cette occasion le roman d’Oskar Wöhrle Der Baldamus und seine Streiche). Dans la brochure éditée pour l’occasion par la mairie Adrien Fink, Jean-Marie Gall, Raymond Matzen, Louis Perin soulignèrent tous la place fort honorable qu’occupe Oskar Wöhrle dans la littérature allemande.

 

Bernard Wittmann – Historien 25.3.2018

 

Note : Le professeur d'allemand Joseph GROLL, de Saint-Louis, vient de publier une remarquable traduction de son BALDAMUS, aux éditions " Saisons d'Alsace", signe d'un changement important dans les mentalités alsaciennes, et de la présenter lors d'une conférence à la "René-Schickele-Gesellschaft/Centre Culturel Alsacien" de Strasbourg, où son ouvrage est disponible!!  Une grande partie de son oeuvre est disponible à la BNU ! D'Worheit kommt làngsàm erüss!