Collectivité européenne d’Alsace : juste un grand département !

 

Flash back  

Le 25.11.2014, sur une proposition du gouvernement socialiste, les députés français adoptent la carte administrative française à 13 Régions. La loi nᵒ 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, également connue en tant que Loi NOTRe, viendra compléter le dispositif. L’Alsace est fusionnée de force avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne et se retrouve ainsi tout simplement rayée de la carte des Régions ! Ce mariage forcé s’apparente à un viol ! A nouveau Paris administre la preuve du mépris dans lequel sont tenus les Alsaciens ! 

Menée sur un coin de table, cette réforme totalement anti-démocratique fut élaborée et décidée à Paris sans aucune concertation des Alsaciens et en parfaite violation du Code général des collectivités locales et de la Charte européenne de l’autonomie locale[1]… pourtant ratifiée par la France. Vouloir gouverner des peuples sans leur consentement est bien la marque du totalitarisme. 

Les jacobins français en rêvaient depuis des lustres, le Président socialiste François Hollande et son Premier ministre Valls l’ont finalement réalisé : tuer l’Alsace en tant que Région ! D’ailleurs, dès le 14.10.2014, Manuel Valls n’a-t-il pas affirmé devant l’Assemblée qu’« il n’existe pas de peuple alsacien » ! Trois jours plus tôt, le 11.10.2014, dans une marée de Rot un Wiss, 15 000 à 20 000 Alsaciens, avaient pourtant manifesté à Strasbourg leur hostilité à la fusion programmée (Libération en ligne 11.10.2014) ! Le chef d’orchestre de cette manifestation de protestation n’était autre que le président de Région Philippe Richert !

Alors que la réforme territoriale n'est encore qu'à l’état de projet, les manifestations d’hostilité à la fusion se succèdent. Le 20.7.2014, quelques jours après le débat et le vote de l'Assemblée nationale, en première lecture, pour la création de treize régions en France, dont Champagne-Ardenne-Lorraine-Alsace, le maire de Mulhouse Jean Rottner lance une pétition - elle recueille plus de 60 000 signatures - pour une Région Alsace seule : « Une Région allant de la région parisienne au Rhin, c’est inconséquent, incohérent et inefficace », affirme-t-il alors (L’Alsace du 20.7.2014). De leur côté, les élus de la « majorité alsacienne » protestent eux aussi, certes (très) mollement comme à leur habitude. En septembre 2014, ils déposent à l’Élysée une pétition de 53 000 signatures en posant devant une banderole avec cette supplique adressée au gouvernement : « NE TUEZ PAS L’ALSACE !» (Tout juste s’ils n’ont ajouté « s’il vous plaît ! »). Seuls les socialistes alsaciens, connus pour leurs options jacobines, continuent à soutenir mordicus le projet fou du Grand Est. Une méga-Région deux fois grande comme la Belgique, dépourvue de liants historiques, sans âme, ni intérêt économique et culturel, tellement désincarnée qu’on n’a d’autre solution que de la baptiser du nom d’un point cardinal… comme si Paris était le centre du monde !On vient d’ailleurs d’apprendre que le président Rottner veut préparer la construction d’une identité grandestienne en prévoyant à cet effet un budget de 580 000 € HT : il s’agit de « construire le fait régional et écrire un récit commun faisant sens auprès des habitants et des partenaires de la collectivité» explique-t-il (DNA 18.7.2019)…comme si une identité, qui s’inscrit toujours dans l’histoire longue des peuples, pouvait se construire à partir d’un simple budget, aussi conséquent soit-il !

 Protestations des Alsaciens

La protestation continue ainsi durant des mois. Le 1.2.2015, la Fédération démocratique alsacienne (FDA) lance une grande pétition (signatures sur papier) titrée « Alsace, retrouve ta voix ». Elle recueillera 117 000 signatures. Un record… mais qui ne servira à rien ! 

Quant aux autonomistes d’Unser Land, aux élections régionales de décembre 2015, ils capitalisent le mécontentement et se retrouvent propulsés au rang de 3e force politique en Alsace avec plus de 11% des voix. Un an et demi plus tard, aux législatives de 2017, dans la 5e circonscription du Bas-Rhin, Unser Land réussit à qualifier son candidat, le Dr Gérard Simler, pour le 2e tour où il réalise le remarquable score de 45,86% des voix. Partout, le Rot un Wiss effectue un retour en force et s’impose à nouveau comme le drapeau de la contestation alsacienne ! Ce qui n’empêchera pas le Président Hollande, le 7.4.2016, après Manuel Valls, d’en rajouter une couche en se gaussant de la disparition de l’Alsace et en lançant à la volée : « L’Alsace n’existe plus, c’est maintenant le Grand Est » (DNA 18.4.2016) ! Toujours le mépris !

Cependant, les Alsaciens ont beau manifester leur exaspération en protestant encore et toujours contre ce diktat annexant l’Alsace au Grand Est, Paris reste inflexible ! Alors, très vite, après avoir montré (un peu) leurs biscotos, peu à peu la plupart des grands-élus, soucieux de leur avenir politique, mais aussi par habitude, choisissent à nouveau de se coucher, certains allant jusqu’à la plus vile des trahisons, celle de leurs mandants qui ne les ont certainement pas élus pour liquider l’Alsace. C’est le cas de Philippe Richert, l’ex-président de la Région Alsace qui tourne immédiatement sa veste…  en échange de la présidence de ce Grand Est, qu’il honnissait tant précédemment. Idem pour Jean Rottner, jadis farouche adversaire du projet. D’autres continueront à demander la sortie du Grand Est, mais sans réelle conviction. Ils n’engageront pas vraiment le combat, ne s’autorisant que des confrontations à fleurets mouchetés pour surtout ne pas blesser Paris. Et un combat non mené ne peut être gagné ! 

Pourtant, cette fois, le peuple alsacien se mure dans le refus. Avec une écrasante majorité, il ne cesse de revendiquer la sortie du Grand Est ainsi qu’un statut particulier pour l’Alsace.  Le 22 juillet 2017, le député de Molsheim (LR), Laurent Furst, lance une nouvelle pétition, « Rendez-nous l’Alsace », en faveur d’un Conseil d’Alsace comprenant les compétences régionales et départementales. En septembre 2017, une centaine d’intellectuels, universitaires, artistes alsaciens appellent à la création « d’une nouvelle région Alsace ». Leur Appel est lancé par quatre associations : Initiative citoyenne alsacienne (ICA), Culture & Bilinguisme, Club Perspectives alsaciennes (CPA) et Avenir Région d’Europe.

Ainsi, le « désir d’Alsace » exprimé par la population et nombre d’élus locaux ne s’éteint pas. Dans un sondage IFOP du 8.2.2018, 83% des Alsaciens déclarent toujours vouloir le retour à la Région Alsace. Le malaise alsacien finira par s’ancrer profondément.

Emanuel Macron : « le retour à la Région Alsace n’est pas négociable » ! 

Le gouvernement ne peut donc rester éternellement sourd aux appels des Alsaciens, d’autant qu’au fil des années ce Grand Est s’avère être un fiasco. En effet, de toutes parts, on se rend compte que cette super-structure technocratique ne fonctionne pas et qu’elle est génératrice de doublons, de gabegies financières et de dépenses frisant le scandale. L’enchevêtrement des compétences des collectivités demeure. A ceci vient s’ajouter une augmentation des indemnités de déplacement[2]! Alors qu’à l’origine, pour justifier la création du Grand Est, on invoquait les économies d’échelle : on parlait alors d’un milliard[3] d’économies !!! De plus, les élus sont handicapés dans leurs travaux par les distances à parcourir du fait de l’éloignement des centres de décision et perdent leur temps sur les tarmacs, les rails ou les autoroutes. 

Paris se devait de bouger. Aussi, le 30 octobre 2017, lors d’un déjeuner républicain à la préfecture de Strasbourg, le Président de la République Emanuel Macron laisse-t-il entendre qu’il serait éventuellement prêt à quelques accommodements… mais à la condition expresse que l’évolution de l’Alsace se fasse au sein de la Région Grand Est : « le retour à la Région Alsace n’est pas négociable » ! Le couperet est tombé. L'idée d'un statut particulier comme celui accordé à la Corse est également rejeté d'emblée. Ce blocage rend évidemment impossible la réparation de l’injustice historique infligée au peuple alsacien par la sinistre loi NOTRe. A nouveau, l’oukase présidentiel interdit tout débat, le président Macron disposant d’une écrasante majorité à l’Assemblée : L’Alsace, réputée riche et considérée traditionnellement par Paris comme une « vache à lait », va devoir continuer à tirer vers le haut les territoires déshérités du Grand Est.  

Après le refus de Macron, des revendications a minima 

Dès lors, les espoirs de voir l’Alsace retrouver les prérogatives d’une Région s’envolent. La renaissance institutionnelle de l’Alsace est bel et bien enterrée ! Mais au lieu de continuer à se battre pour l’émancipation de l’Alsace, la plupart des partisans d’une sortie - à l’exception d’Unser Land qui continue la lutte – reviennent sur leurs engagements et intègrent alors docilement le cadre imposé par Emmanuel Macron : ils défendront dès lors des revendications a minima et se paieront de mots !

Effet d’annonce  

Face au malaise alsacien grandissant et aux divergences locales, en janvier 2018, le Premier ministre charge le préfet du Grand Est, Jean-Luc Marx, de rédiger un rapport sur l’avenir institutionnel de l’Alsace en proposant d’éventuelles « expérimentations législatives et réglementaires ». Faisant suite à cette annonce, en mai 2018, les présidents des Conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry, dévoilent leur projet d’Eurocollectivité d’Alsace, collectivité à statut particulier, qui serait créée par une loi ordinaire et qui serait dotée de compétences spécifiques, dont le tourisme, le bilinguisme et le transfrontalier. Le mois suivant, le préfet Marx rend son rapport à Edouard Philippe. Et c’est solennellement que le 29.1.2018 on annonce la création d’une « Collectivité européenne d’Alsace ». Quelques mois plus tard, à l’issue des « accords de Matignon » du 29.10.2018, on apprend, sans surprise aucune, que la CEA restera ficelée au Grand Est et qu’un statut particulier est exclu. Les Alsaciens partageront-ils l'enthousiasme de la Présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, pour laquelle ce qui a été obtenu est "énorme"? Les compétences et spécificités de la CEA seront définies par la loi.  Le 27.2.2019, la ministre de la cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, présente un projet de loi qui, à ses dires, redonneras une existence institutionnelle à l’Alsace. A ses dires ! 

Et la montagne accoucha d’une souris

Lors des débats sur le projet à l’Assemblée, les élus alsaciens Agir-Modem-LaREM, et quelques autres, font figure de « minables » mariant incompétence et bêtise, incapables de s’entendre et de s’unir pour former un front uni, un Heimatfront, face à Paris. Ils se montrent sans réelles convictions et plus préoccupés par leur carrière politique que par la défense des intérêts du peuple alsacien. Tout juste ont-ils réussi à négocier la possibilité pour les ligues et fédérations sportives, culturelles et professionnelles de s’organiser à l’échelle de l’Alsace.

Après quelques tractations, le mercredi 26 juin 2019, l’Assemblée nationale adopte enfin la loi pour la création de la CEA, qui sera officiellement mise sur les rails le 1er janvier 2021. Au final, le gouvernement ne cède sur rien et la montagne accouche d’une souris. La CEA ne sera pas une collectivité au statut particulier et se réduira à un grand département avec quelques prérogatives en plus. Rien à voir avec les prérogatives d’une Région. Les compétences accordées à la CEA peuvent ainsi se résumer en quelques lignes : 

-       La CEA bénéficiera du transfert des compétences de la part de l’État sur les routes et les autoroutes non concédées. L’Alsace devra ainsi financer la rénovation de réseaux routiers vétustes qui, de plus, seront privés d’investissements jusqu’à l’avènement de la CEA en 2021 ! 

-       La CEA sera dotée de quelques compétences particulières dans les domaines du transfrontalier, du tourisme et du bilinguisme toujours en panne. 

Mais il ne suffit point : l’Alsace aura toujours besoin pour mener ses projets à bien de l’aval du Grand Est et du préfet. Elle restera donc sous tutelle. Lors des débats, la faiblesse des compétences concédées à la CEA permet à la sénatrice (Les Républicains) Agnès Canayer, rapporteur du projet de loi, de dire que la CEA n’est qu’« un département de plus » ! De son côté, le sénateur Les Républicains Philippe Bras pose cette question : « Était-il nécessaire de légiférer pour si peu ? ». Au final, on aura brassé beaucoup d’air pour pas grand-chose. On peut d'ailleurs noter que dans la loi du 2.8.2019 relative aux compétences de la CEA, une compensation financière n'est prévue a l'article 9 que pour les compétences prévues à l'article 6, c'est-à-dire le transfert routier. Ce qui montre bien qu'il s'agit du seul transfert réel.

Lors de la bataille des amendements qui précède le vote du projet de loi, faute de députés alsaciens à la hauteur, ce sont les députés breton Paul Molac et corse Jean-Félix Acquaviva qui montent au créneau pour défendre la sortie du Grand Est, la création d’une Collectivité à statut particulier[4] et l’organisation d’un référendum d’initiative populaire sur le futur de l’Alsace. Ils défendent de même bec et ongles un amendement, toujours rédigé par Unser Land, demandant la reconnaissance du « peuple alsacien »… amendement qui sera vivement combattu par deux députés alsaciens de la macronie Olivier Becht (5e circonscription du Haut-Rhin)  et Vincent Thiébaut (9e circonscription du Bas-Rhin). Ce dernier, visiblement formaté aux dogmes du jacobinisme, se dit " choqué » par cette demande de reconnaissance, la trouvant « extrêmement dangereuse » car elle porte atteinte à l’unité nationale ! Nos deux députés, en niant l’existence d’un peuple alsacien, qu’ils sont pourtant censés représenter, apportent la preuve de leur incapacité à incarner l’Alsace. 

Discours triomphalistes des élus alsaciens : cocus… mais contents !

Et comme nos élus ne peuvent reconnaître avoir été roulés dans la farine, pour masquer leur échec, ils cherchent à transformer des bribes d’avancées en grande victoire historique, affichant partout un triomphalisme indécent : « Le nom « Alsace » est de retour ! », martèlent-ils à longueur d’interviews. Cocus… mais contents ! Cocus comme de fait tous les Alsaciens, victimes du consentement et de la servitude volontaire des grands élus ! Encore plus choquante est la réponse que certains donneront à ceux pointant leur échec : « C’est mieux que rien ! », leur rétorquent-ils. Pour sûr !

 Aussi, le combat pour l’émancipation de l’Alsace et sa renaissance institutionnelle est-il à reprendre… et à amplifier. Une victoire est possible, mais pas avec nos bras cassés de la politique locale, sans charisme, sans carrure, sans courage, sans réel idéal démocratique et surtout sans ambitions pour l’Alsace. Ces politiques sont d’un conservatisme ahurissant et en rupture totale avec le peuple alsacien… certains se gaussant même d’ignorer son existence (Olivier Becht). Ce combat, s’ils veulent le gagner, les Alsaciens doivent le mener unis derrière notre Rot un Wiss.

Mais l’optimiste n’est pas de rigueur quand on lit cette réponse ahurissante de la présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin Brigitte Klinkert[5] à la Secrétaire fédérale d’Unser Land Andrée Munchenbach à propos de la revendication autonomiste : « Il y a deux voies politiques que la responsable politique que je suis combat au nom de mes convictions et de ses valeurs : l’extrémisme et l’autonomisme. Nous avons en effet voulu construire un projet qui permette de reconstruire l’Alsace en dehors de ces deux courants de pensée (…) L’Alsace en laquelle je crois plus que tout est passionnément française et s’épanouit avec ses spécificités reconnues dans le cadre de la République et non dans celui d’une autonomie »[6]. Avec ça, tout est dit. Aucune lueur d’espoir de ce côté-là. A en croire Brigitte Klinkert, la Suisse avec ses autonomies serait donc peuplée de dangereux extrémistes ? Elle ignore visiblement que l’autonomie est considérée dans la plupart des pays européens comme la forme la plus élaborée de la démocratie. Allez, mieux vaut en rire. Mais il faudra s’en souvenir aux prochaines échéances électorales : Weg mit dem Ballast, disait Jean Keppi ! 

Signalons tout de même que Brigitte Klinkert vient d’être décorée, le 9 juillet 2019 à Paris, des insignes d’officier de la Légion d’honneur des mains mêmes du Président Macron… pour service rendu à Marianne probablement. Pour sûr, la Françalsace a encore de beaux jours devant elle. 

Bernard Wittmann – 17.7.2019

(reproduction du texte autorisée avec indication de la source : http://www.wittmann-bernard.com)

 

[1] Le 22.3.2015, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a confirmé, par un vote quasi unanime de 98.62 % des voix, représentant 46 des 47 États membres, la violation par le gouvernement français de la "Charte européenne de l’autonomie locale" à l'occasion des fusions de régions en raison de l'absence de la consultation préalable des populations (art. 5 de la Charte).

[2] https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-14-juillet-2019?fbclid=IwAR06Grbu_uKIEBfiDQxxl0Ta_dBx8WmaQK1trjwPRHTjNqN_hyLcCfmepEM

[3] Chiffre avancé par Philippe Richert et Jean Rottner !

[4] Lors du débat sur la CEA, le député Jean Lassalle a également clairement défendu l'idée d'une collectivité à statut particulier.

[5] Par un courrier du 19.6.2019, la Secrétaire fédérale d’UL Andrée Munchenbach avait interpellé Brigitte Klinkert suite à une interview donnée par celle-ci au média « La Tribune » dans laquelle elle disait ne pas vouloir laisser la question de la CEA aux « extrémistes » en pointant les autonomistes !

[6] Lettre B. Klinkert à A. Munchenbach du 3.7.2019

 

"Tout le Bas-Rhin" n°115 - janvier 2019 - Le Magazine du Conseil Départemental 67 : Beaucoup de bruit et de belles phrases...pour pas grand chose !