COMMENT LE KAISERPALAST FUT SAUVÉ IN EXTREMIS DE LA DÉMOLITION EN 1957

L’histoire du sauvetage du Palais du Rhin à Strasbourg par le secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin Maurice Roche porte témoignage du mal qu’ont pu faire à notre pays la bêtise et le fanatisme nationaliste de certains patriotes alsaciens de l’après-guerre alors aux manettes.

Le pasteur Charles Altorffer (1881-1960) était de ceux-ci, de même que Charles Frey et Pierre Pflimlin. Ce francophile invétéré, résistant gaulliste et nationaliste borné, prend, au décès de Charles Frey, survenu le 14.10.1955, sa succession comme maire de Strasbourg, jusqu’au 14 mars 1959, date où il cède sa place à Pierre Pflimlin. On lui reconnaît néanmoins un bilan de mandat assez positif dans le domaine social.

Séduit dès 1918 par le jacobinisme, il se distingue par une forte germanophobie. En 1949, quand il est question de faire de Strasbourg la capitale de l’Europe, Charles Altorffer, alors membre du RPF et adjoint au maire Charles Frey, exprime toutes ses réticences : comme le maire, il craint la possibilité « d’une infiltration allemande en Alsace [1]» par ce biais qui pourrait porter atteinte au caractère français de la ville ! A Paris, on partage d’ailleurs la même crainte. Aussi, loin de se réjouir de voir sa ville promue siège d’une organisation internationale, son chauvinisme français et son hostilité aux Allemands le cantonnent alors dans une position de méfiance.

Partisan de l’assimilation rapide des Alsaciens, il est surtout un ennemi juré des autonomistes. Ce qui n’étonne pas quand on sait qu’il fut battu aux législatives de mai 1928 à Saverne par l’autonomiste Camille Dahlet. Ce dernier lui ravit son siège de député du parti démocrate - dont il fut un des fondateurs - qu’il occupait sans discontinuer depuis novembre 1919. Cet échec électoral brisa net ses ambitions d’une carrière politique nationale et fera de lui un adversaire acharné des autonomistes, jusqu’à sa mort.

En 1957, comme le révèle l’article des DNA du 12.6.2016 (voir ci-après), de mèche avec le préfet André Marie Tremeaud, le maire Altorffer est un des principaux initiateurs du projet visant la démolition du Palais du Rhin / Kaiserpalast à Strasbourg (et d’une partie de la Neustadt) dont il juge le style trop « boche ». En réalité, le but inavoué de l’opération est de gommer une page de notre histoire qui renvoie à une période honnie des chauvins français, celle du Reichsland où l'Alsace avait son autonomie.

Le Kaiserpalast ou Palais du Rhin place de la République à Strasbourg de nos jours

 

A la place du Kaiserpalast était prévue la construction d’une tour en béton devant abriter des bureaux administratifs. Précisons que le projet du tandem maire/préfet est alors soutenu par le Conseil général du Bas-Rhin.

Finalement, c’est à l’opiniâtreté du secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin Maurice Roche, opposé dès la première heure à ce saccage, ainsi qu’à l’intelligence et au courage de quelques personnalités alsaciennes, que les Strasbourgeois doivent la préservation de ce magnifique palais trônant au milieu de la Neustadt. Cet ensemble immobilier unique de toute beauté est à présent en instance de classement au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO.

Vers la fin de son mandat, Altorffer se montre également favorable à la suppression des lignes de tramway qui s’étendent alors jusqu’à Reichstett. En 1959, il sera récompensé et promu commandeur de la légion d’honneur.

 

La Maison Rouge n’échappa pas aux casseurs

Cependant, si le projet destructeur Altorffer/Tremeaud a échoué in extremis, celui de la Maison Rouge, un hôtel prestigieux de style néo-baroque allemand de la fin du XIXe siècle tout en pierre de taille et en ferronnerie d’art, aboutira. Le saccage a été possible grâce à la ténacité de Pierre Pflimlin qui préside alors aux destinées de la CUS, de son adjoint Robert Baillard… et de quelques promoteurs immobiliers bien placés avides de gains. Pour se justifier, le maire, européen certes convaincu mais tenaillé par une profonde aversion pour la germanité des Alsaciens, dira ne pas aimer le style néo-baroque allemand à Strasbourg. Pour lui, « cet édifice lourd et boursoufflé, de style Guillaume II, n’est pas un immeuble ancien ».

C’est ainsi qu’en août 1973, en pleine période estivale, alors que la plupart des Strasbourgeois sont en vacances, il donne le feu vert. La démolition débute immédiatement devant une foule atterrée par ce vandalisme.

 

L'hôtel de la Maison Rouge place Kléber avant sa démolition

Le saccage de la Maison Rouge a commencé ! 

 

La place Kléber se trouva ainsi défigurée, déséquilibrée. La construction, à la place de la Maison rouge, du hideux bâtiment en béton armé de la FNAC, finira par détériorer définitivement l’esthétique de la place. Le même Pierre Pflimlin œuvrera ensuite à la suppression du tramway, démarrée sous son prédécesseur, pour le remplacer par le bus qu'il pensait être le moyen de déplacement urbain de l'avenir. Une autre aberration, un autre mauvais choix ! 

Par la suite, ces trois maires, Frey, Altorffer et Pflimlin, furent évidemment tous honorés par des rues, des places, des ponts ou des écoles à leur nom. Les trois avaient en partage une francophilie et un nationalisme français à toute épreuve, une égale indifférence pour le sort de la langue régionale ainsi qu'une même aversion pour l'autonomisme alsacien. Leurs regards étaient tournés en permanence vers Paris dont ils furent toujours, et en toutes occasions, les serviteurs zélés !

On le voit, hier comme aujourd’hui avec Philippe Richert, les Alsaciens sont souvent trahis par leurs propres élites. 

Bernard Wittmann – Historien (14.6.2016) 

 


[1] Fritz Allemann, Die Elsässer eine Minderheit, die keine sein will, imp. Rugé, Mulhouse, p. 38.

 

 

Article paru dans les DNA du 12.6.2016