FLASH BACK SUR UN RÉFÉRENDUM RATÉ :

En 2013, j'ai plaidé en faveur de la "Collectivité unique" (voir mon ouvrage titré : "L'Alsace demain : plaidoyer pour un statut d'autonomie" (éd. Yoran Embanner). Voici ce que j'écrivais alors dans un texte daté du 13.3.2013, c'est-à-dire un mois avant le référendum. J'étais alors plein d'optimisme. Mais les Alsaciens rateront une nouvelle fois le train de l'histoire : ils ne sauront pas se saisir de cette occasion qui s'offrait à eux pour s'ouvrir les voies de la responsabilisation et de l'émancipation. Le résultat fut qu'en 2015, l'Alsace se retrouvait rayée de la carte des régions !! Se rattraperont-ils aux législatives de juin 2017 en votant pour les candidats autonomistes d'Unser Land ? Wait and see ! B.W.

 

UNE OFFRE DE RESPONSABILISATION NE SE REFUSE PAS ! 

Le 7 avril 2013, pour la première fois de leur histoire, les Alsaciens pourront se prononcer sur leur avenir. Une occasion historique leur est offerte pour accéder aux voies émancipatrices de la responsabilisation et réaliser l’unification du pays. De toute façon, à l’avenir, avec une France en déclin et incapable de se réformer, les Alsaciens n’auront d’autre choix que de compter sur eux-mêmes pour s’en sortir !

D’ailleurs, les Alsaciens savent mieux que quiconque ce qui est bon pour eux. Ils sont assez matures pour gérer leurs affaires et certainement pas plus bêtes que les Enarques parisiens. Ils ont même montré qu’ils étaient plus performants qu’eux, le budget régulièrement excédentaire de notre Caisse locale d’Assurance-Maladie en témoigne.  

Pas d’autonomie financière

L’Alsace a toujours été forcée de se plier aux contraintes fixées par l’extérieur et souvent contraires à ses intérêts propres (sabotage du bilinguisme). Ce projet de Conseil unique permettra aux Alsaciens de sortir (un peu) de l’état de sujétion que l’absence d’autonomie financière met le mieux en évidence. Car Paris tient toujours les cordons de la bourse : le budget de la Région découle à 83% de dotations de l’Etat, celui des département à 85%, des dotations se font souvent attendre ! Et pardessus le marché, Paris vient encore de décider de diminuer de 3 milliards d’euros les dotations aux collectivités locales en 2014 et 2015[1]. La France enfreint ainsi ses engagements fixés dans la Charte européenne de l’autonomie locale, signée et ratifiée par elle, qui garantit l’autonomie des collectivités locales et instaure une démocratie de proximité. 

L’Alsace s’essouffle

Il faut en finir avec les dogmes et cette peur panique de la diversité des jacobins. Il faut déverrouiller ce système totalisant, et donc oppressif, véritable étouffoir des Région puisqu’il ne leur laisse aucune marge de manœuvre. Soumise à un tel régime, bridée et ponctionnée de partout, l’Alsace s’essouffle et entre dans un processus régressif. La croissance de son PIB est en-dessous de la moyenne nationale et son taux de progression du chômage est parmi les plus élevés de France (+11,4%[2] contre 10% moyenne nationale). Et son traditionnel bilinguisme, pourvoyeur d’emplois frontaliers, meurt victime d’une épuration linguistique visant à imposer partout le français unique !

Echec du modèle centraliste

D’ailleurs, le modèle centraliste est partout en échec : « avec le centralisme, on a l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités » écrivait déjà Félicité de Lamennais. Pour mesurer son inopérance, il suffit de comparer la situation régressive de l’Alsace soumise au système centralisé et le dynamisme de la région autonome voisine du Bade-Wurtemberg : « Dans toutes les grandes démocratiesle modèle régionaliste est plus efficace que le modèle centralisé pour l’économie et l’innovation » a martelé le PS Alain Rousset, président de l’Association des Régions de France, en janvier 2013 devant ses homologues réunis en assemblée.

Le Conseil unique permettra de libérer les énergies

Le Conseil unique est gage d’économie et permettra de gagner en rationalité et en efficacité, notamment dans la dépense publique. Ses avantages sont évidents :

- un budget unique de près de 2,8 milliards d’euros permettra d’engager des politiques plus ambitieuses et sur le long terme. Il permettra notamment à la Région de piloter le redressement industriel, elle seule ayant la connaissance du terrain ;

- une Alsace unie et parlant d’une seule voix sera évidemment plus forte, notamment pour défendre notre droit local et le Concordat de plus en plus attaqués ;

- dotée des compétences nouvelles qu’autorise le cadre législatif existant, l’Alsace aura la possibilité de  prendre en charge l’enseignement de son histoire et de sa langue. La connaissance de l’allemand permettra de soulager le chômage des jeunes qui pourront à nouveau trouver un travail dans le Land Bade-Wurtemberg qui est demandeur. Elle pourra aussi négocier des accords transfrontaliers avec les Régions du Rhin supérieur.

Evidemment, le Conseil Unique n’est pas la panacée et le projet, même s’il n’est pas parfait, est toujours perfectible ! Il n’est qu’une première étape. Négociées avec Paris, de nouveaux transferts de compétences, avec un financement adéquat, devront suivre. L’aboutissement sera un Parlement d’Alsace !  

Le camp du « non » : une coalition de jacobins

Quant à ceux opposés au projet, leur opposition est généralement purement idéologique et leurs arguments son souvent poussifs : « le texte est flou », « l’objectif est de casser le droit du travail national », « pas de chèque en blanc à un projet opaque » (PCF), « coût du référendum » (A. Fontanel PS)…

Le camp du « non » recrute essentiellement dans les 2 extrêmes de l’échiquier politique :

- à l’extrême gauche : partis du Front de Gauche de J.-L. Mélanchon (Parti de Gauche, Gauche Unitaire, PRCF, PC, POI…) et NPA… rejoints par la CGT ;

- à l’extrême droite : le FN, sa présidente Marine Le Pen s’étant même déclarée favorable à la suppression des Régions[3] ?

Cette curieuse « coalition » jacobine a vu le ralliement de quelques socialistes Bas-Rhinois nostalgiques de la SFIO. Ces derniers sont en opposition avec ministre Arnaud Montebourg qui, lui, encourage le Conseil unique « parce que c’est intelligent »[4] !

« J’aime l’Alsace, je vote non !» est le slogan fétiche des détracteurs du projet. C’est vrai qu’ils aiment tellement l’Alsace… qu’ils préfèrent en voir deux ! Ce qui les unit, c’est l’idéologie jacobine. Ils sont les héritiers des idéologues de la Terreur qui confondaient unité et uniformité et qui avaient une vision unitaire du peuple français quasi ethniciste : « La France, pays de la diversité vaincue !» était leur slogan. Aussi, leurs arguments, destinés à faire peur,  sentent-ils le rance : « Le Conseil unique est une machine à affaiblir la République » (Parti de Gauche) ; « C’est l’explosion de la France » ;  le projet s’attaque aux « fondements de la République : l’unité et l’indivisibilité de la loi » (Parti de Gauche[5]), il va conduire « au détricotage de la France » (FN), etc..

Leurs arguments étaient déjà les mêmes en juin 1924, lors des débats qui précédèrent l’adoption des deux lois conférant un caractère permanent à l’ancienne législation locale : ce « droit local » va faire voler en éclat la « République Une-et-Indivisible » prévenaient-ils déjà ! Or, force est de constater que notre droit local existe depuis près d’un siècle et la France ne s’est pas effondrée (seuls les Nazis le supprimèrent durant l’Occupation) ! L’Alsace n’est d’ailleurs pas la seule Région de France bénéficiant de dispositions particulières, loin de là. À Wallis et Futuna, depuis la fin du XIXe siècle, la « République Une-et-Indivisible » reconnaît même… trois royautés coutumières !

Le débat aura donc à nouveau mis en évidence le clivage entre régionalistes et jacobins. Les premiers, partisans du partage du pouvoir, font confiance en l’homme et le placent au centre de leurs préoccupations. Les seconds, caractérisés par leur « statolâtrie », se méfient de l’homme et veulent le soumettre à un pouvoir central omnipotent.

Les clés du futur

Ce projet de Conseil unique d’Alsace est une offre de responsabilisation. Les Alsaciens, s’ils ont un tant soit peu d’intelligence collective, ne peuvent la rejeter. C’est une chance unique qui nous est offerte pour nous extirper de la sujétion et nous permettre d’affronter, unis, solidaires et forts d’une identité réaffirmée, les grands défis du siècle. D’autant qu’il n’y a pas de plan B ! Le Oui s’impose donc comme une évidence ! 

Bernard Wittmann – Historien

15.3.2013  

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[1] In Figaro du 3.3.2013

[2] L’Alsace compte à présent plus de 88 000 inscrits à Pôle emploi (in Figaro 4.2.2013)

[3] http://www.menscom.com/uploads/files/Sondage_CSA-Menscom_avril-2011_Plus-Menscom-1-referendum.pdf

[4] DNA 11.3.2013

[5] DNA 13.3.2013 p.18