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Comment le duché souverain de Lorraine passa à la France en 1766
Bref rappel historique :
Le duché de Lorraine était issu du partage de la Lotharingie qui fut divisée en deux en 959 : la Haute-Lotharingie, qui deviendra le duché de Lorraine, et la Basse-Lotharingie qui correspondait grosso-modo à l’actuel Benelux. Ancien Etat du Saint Empire romain germanique, le duché gagna sa souveraineté dès 1542. Les ducs de Lorraine furent toujours des fidèles de l’empereur.
Le mariage projeté entre l’archiduchesse Maria-Theresia / Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780) et le duc de Lorraine François III (1708-1765), fils de Léopold 1er de Lorraine né à Innsbruck en 1679 et mort à Lunéville en 1729, posait problème à la France. En effet, s’il se réalisait, les possessions autrichiennes s’étendraient alors jusqu’à Bar-le-Duc… à 250km de Paris ! De plus, par ce mariage, le duc pouvait devenir empereur et apporter ses duchés aux Habsbourg, les protégeant ainsi des convoitises françaises. En France, on était d’autant plus inquiet de ce projet, que le jeune duc lorrain avait été élevé à la cour de Vienne et passait à Paris pour germanisé.
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Il était une fois les Suèves / die Sueben (Schwaben) (1ère partie)
Dès le IIIe siècle av. J.-C., des peuples Germains établis dans le nord-est de l’Europe commencent à se déplacer pour chercher une nouvelle terre d’accueil dans des contrées moins froides ou moins sujettes aux inondations et donc plus hospitalières. C’est le cas des Suèves, ces géants germaniques aux longs cheveux blond-roux et aux yeux bleus, excellents cavaliers pratiquant la monte à cru, guerriers intrépides redoutés de tous et dont Tacite dira plus tard que leur corps robuste était taillé pour l’attaque (les squelettes retrouvés dans les tombes alamanes lors de recherches archéologiques en attestent).
A l’origine, les Suèves, peuple de pasteurs-guerriers, sont établis dans le nord-est de la Germania Magna, plus précisément entre le cours moyen de l’Elbe et la rivière Havel (Marche de Brandebourg). Cependant, on pense que des éléments de ce grand peuple ont pu essaimer sur les bords de la mer Baltique / Ostsee que certaines cartes romaines désignent sous le nom de « mare suebicum ».
Raid des Cimbres et des Teutons
C’est à la fin du IIe siècle av. J.-C. que des Suèves (Sueben) font parler d’eux pour la première fois dans l’histoire. En effet, vers 120-110 av. J.-C., des tribus suèves emboîtent le pas à la coalition germanique des Cimbres (Kimbern), des Teutons (Teutonen) et des Ambrons (Ambronen) venus du Nord de l’Europe, plus précisément du Jüthland (Danemark), et qui entreprennent une marche effrénée vers le sud. Les Suèves entreprirent leur migration consécutivement à la mise en mouvement des Cimbres et des Teutons qui modifia la répartition territoriale des populations germaniques du bassin de l'Elbe.
Ensemble, Cimbres, Teutons et Ambrons descendent le Danube moyen. Le "Treck" des Germains, au fur et à mesure de sa progression vers le sud, n'a cessé de grossir jusqu'à compter 300 000 individus hommes, femmes, enfants. Rien ne les arrête ! Aussi, en 113 av. J-C., battent-ils les armées romaines à Noreia en Carinthie (Kärnten). Les pertes romaines sont énormes. A Rome, c'est alors la panique ! Mais plutôt que de garder l'avantage et de foncer vers l'Italie, contre toute attente, les Germains décident de faire un crochet dans le fossé rhénan en s’arrêtant quelques temps à Heildelberg pour se réapprovisionner en vivres et en matériel.
En 110 av. J.-C., ils reprennent leur marche, descendent ensemble la vallée rhénane, où ils entrent en contact avec l’Alsace, et passent par la porte de Bourgogne (Burgundische Pforte) pour aller se répandre en Gaule. Cimbres et Teutons semblent donc être les premiers Germains à avoir foulé le sol alsacien.
Partis de leur côté, les Suèves parvinrent jusqu'au Main inférieur. Mais quand les Cimbres et les Teutons reprirent leur périple en direction du Rhône en abandonnant leurs conquêtes territoriales situées au nord du Rhin supérieur, ils prirent progressivement leur place. Ainsi, finiront-ils bientôt par occuper toute la bande de terre située sur la rive gauche du Rhin de l’actuel Palatinat / Pfalz.
Après avoir descendu la vallée du Rhône, le 6 octobre 105 av. J.-C. à la bataille d'Orange (Arausio), les guerriers cimbres et teutons anéantissent une nouvelle fois les armées romaines venues à leur rencontre. 80 000 légionnaires romains sont massacrés. Ce désastre militaire causa à nouveau un grand effroi dans toute l’Italie : la voie vers le Tibre était désormais ouverte aux Germains !
C'est alors que, pour une raison inconnue, Cimbres et Teutons se séparent : les Teutons choisissent de remonter vers le nord de la Gaule tandis que les Cimbres préfèrent se diriger vers l'Espagne. Après avoir effectué de grandes boucles sans vraiment trouver d'adversaires à leur hauteur, ils se retrouvent à nouveau sur la Seine, pour se séparer une nouvelle fois peu après : les Teutons choisissent de piller la "Narbonnaise"(Gallia Narbonensis), l'actuelle Provence, tandis que les Cimbres prennent la direction des Alpes. Finalement Cimbres et Teutons s'accordent pour marcher vers l'Italie en deux énormes colonnes séparées, une erreur tactique assurément. Il n'empêche, la situation devient de plus en plus préoccupante pour les Romains.
Caius Marius reprend alors le commandement militaire romain défaillant. En 102 av. J.-C., il commence par battre les Teutons et les Ambrons à Aix-en-Provence (Aquae Sextiae). Les guerriers teutons, qui par le passé s'étaient toujours distingués par leur bravoure, sont cette fois anéantis. Leur roi Teutobod est fait prisonnier et emporté comme un trophée à Rome. Pour échapper à la captivité, nombre de survivants, hommes et femmes, choisissent le suicide. La bataille a duré deux jours.
Le 30 juillet 101 av. J.-C., le même Marius se heurte cette fois aux Cimbres, après qu’ils ont traversé les Alpes par le Brenner. Il les écrase à la bataille de Verceil (Verceilae) dans le Piémont (près de Milan) et décime leurs troupes. Leur roi Boiorix est tué. Les femmes, qui avaient participé à la bataille en défendant le camp retranché des Germains formé de chariots, tuèrent leurs enfants et se suicidèrent en masse pour éviter l'esclavage. Pour sauver l'honneur des guerriers qui avaient échappé aux glaives romains et qui tentaient de se replier, elles n'hésitèrent pas à les tuer. La chaleur étouffante avait lourdement handicapé les Germains. Les Romains firent des milliers d'esclaves et refoulèrent les survivants en Germanie.
C'est là que se termine le long périple de plus de 7000 km à travers la moitié de l'Europe des Cimbres et des Teutons. Les Romains garderont toutefois un souvenir cuisant de cette invasion et de la "terreur cimbrique".
Les Suèves se remettent en marche
A Rome, on pense en avoir fini avec ces remuants Germains. Cependant, même s'ils semblent avoir compris la leçon en s’éclipsant, la richesse des terres de Gaule et d’Italie du nord, le climat moins rude et l’opulence des villes romaines n’en restent pas moins gravées dans leur mémoire collective. Aussi se remettront-ils à nouveau en marche quelques décennies plus tard.
De leur côté, les Romains sont partis à la conquête de la Gaule et se sont aventurés jusqu’au Rhin et au Danube. A la fin du IIe siècle av. J.-C. ils occupaient déjà le sud-est de la Gaule dont ils firent une « provincia romana », baptisée plus tard sous Auguste « Narbonnaise ». Cette bande de terre qui s’étendait du lac Léman jusqu’aux Pyrénées, conquise par Rome entre 125 et 120 av. J.-C., permettait aux Romains de relier leur territoire avec leurs conquêtes de la péninsule Ibérique. La Narbonnaise leur servira ensuite de base de départ pour la conquête de la Gaule.
75 av. J.-C. : Ariovist prend la tête d’une grande coalition de Suèves
Vers 75 av. J.-C. entre en scène le premier grand chef de guerre suève, le triboque Ariovist (ou Arioviste, de l'allemand Ehrenvest). Celui-ci prend rapidement la tête d’une imposante coalition de tribus suèves ou alliées comprenant entre autres, Vangions, Némètes, Harudes, Marcomans, Sédusiens et Triboques. A celle-ci vont s’agréger, au fur et à mesure de leur avancée vers le Rhin, d’autres tribus germaniques du Neckar et du Main, moins puissantes et impressionnées par ces valeureux guerriers suèves qui sèment l’effroi chez leurs voisins et jusque dans les rangs des légions romaines.
En 72 av. J.-C., dans son périple migratoire, Ariovist s’arrête d’abord quelque temps à Mainz / Mayence, ville située sur la rive gauche du Rhin, pour regrouper ses troupes. Puis, appelé à la rescousse par ses voisins les Celtes Séquanes opposés aux Eduens de Bourgogne, il continue sa marche vers l’actuelle Alsace alors principalement peuplée de Celtes : Médiomatriques au nord, Séquanes et Rauraques, venus de la Ruhr, au sud.
Les Celtes pris en tenaille
L’aire d’implantation des Celtes venus en Europe à l’âge du bronze – en Alsace vers 1500 av. J.-C.- s’étendait alors sur une large bande territoriale allant des îles Britanniques, des rives de l’Atlantique à l’actuelle Espagne en passant par toute l’Europe centrale et bien au-delà vers l’Est. Au nord de cette ceinture se trouvaient les Germains, au sud, à partir du premier siècle av. J.-C., l’empire romain.
Cette situation centrale détermina le destin des Celtes. En effet, alors que les Germains se mettaient en mouvement pour agrandir leur espace vital vers le sud, de leur côté, les Romains commençaient à étendre leurs conquêtes vers le nord. Les Celtes, pris en tenaille, ne résistèrent pas à cette double pression. La partie de leur territoire tombée aux mains des Romains finira par être romanisée. Celle tombée sous l’influence des Germains sera germanisée, les Celtes choisissant d’émigrer plus à l’Ouest. Ceux qui échappèrent aux tueries et qui purent rester sur place finirent par se fondre progressivement dans le flot continu des peuples germaniques en quête de nouvelles terres.
En bon stratège, Ariovist prend le temps de masser ses troupes le long du Rhin. Par ailleurs, au fur et à mesure de son avancée, il prend soin d’installer ses peuples de part et d’autre du fleuve pour conforter ses arrières.
Ainsi les Triboques, probablement déjà présents dans le pays avant l’arrivée d’Ariovist, après avoir refoulé les quelques tribus médiomatriques, dont le berceau territorial se trouvait dans l’actuel département de la Moselle ainsi qu’en Alsace-Bossue, vont-ils finir par occuper toute la Basse-Alsace.
Les peuples de la confédération suève s’installent en Alsace
En 63 av. J.-C., les Celtes Séquanes (Sequaner) - établis en Haute-Alsace et en Franche-Comté - et Arvernes, toujours en lutte contre les Eduens (Häduer) de Bourgogne pour l’hégémonie à l’est de la Gaule, sur le point de succomber, appellent au secours leurs voisins suèves pour mater leurs adversaires. Ariovist accourt alors avec un contingent de 15 000 Suèves et, en quelques mois, écrase les Eduens. Par cette victoire, il rend ces derniers tributaires des Séquanes. Ariovist et ses suèves ayant rempli leur contrat, comme convenu, en contrepartie de leur aide, les Séquanes leur cèdent alors leur territoire de Haute-Alsace, soit 1/3 du pays séquane : « Ainsi, à partir de l’an 63 av. J.-C., l’Alsace tout entière possédait sa population germanique, et depuis, elle ne l’a plus jamais perdue », note l’historien Pierre Zind[1]. C’est donc par la voie de la diplomatie que le chef suève a pu prendre possession de l’Alsace !
A leur tour, les Séquanes prennent aux Eduens vaincus leurs territoires des rives de la Saône jusqu’aux portes de Lyon.
A partir de là, Ariovist décide d’installer définitivement sa confédération en Alsace. Ainsi, les Germains Némètes, Vangions et Triboques vont-ils continuer de s’installer en Basse Alsace, les Harudes en Haute Alsace.
Les Triboques (Triboker) occupent à présent toute la plaine de Basse Alsace, de Ehl près de Benfeld au sud, du Selzbach ou à la Lauter au nord : leur capitale est Brocomagus (Brumath). Ils n’en seront plus jamais chassés. De leur côté, Némètes et Vangions s'enracinent dans l'extrême nord du pays au-delà de l'Outre-Forêt.
Mais on pense que des Germains, plus ou moins celtisés, vivaient déjà depuis des temps très reculés dans le pays à côté des peuplades celtes. D’ailleurs Celtes et Germains, tous deux venus du Nord de l’Europe, avaient des mœurs et une civilisation très proches, ce qui conduira à un certain enchevêtrement des influences et des langues dans les aires de contact. Même les Romains firent parfois la confusion entre les deux. Ainsi, certains peuples sont-ils considérés par les historiens comme « celto-germains », comme par exemple les Tubinges ou encore les Latobriges et les Rauraques voisins et alliés des Helvètes. De même, il est à présent admis que la plupart des Belges, bien que partiellement celtisés, étaient d'origine germanique.
Se référant à l’historien et statisticien allemand August Meitzen, Paul Lévy écrit : « Le nombre des Triboques, Némètes et Vangions a donc dû être considérable (Meitzen l’évalue entre 137 000 et 275 000 âmes). (...) Une autre considération nous force à croire que la population germanique de la rive gauche du Rhin, longtemps avant la conquête complète, a dû être assez nombreuse. Comment expliquer autrement le fait qu’on avait pu donner aux contrées longeant la rive gauche du Rhin le nom de « Germanie supérieure » ? [2] ».
On peut ainsi affirmer que la population germanique de la rive gauche du Rhin a dû, longtemps avant la conquête romaine, être assez dense et ses parlers, à côté des parlers celtes, très répandus. À leur arrivée, les Romains trouvèrent donc un pays dont le caractère germanique ne faisait aucun doute. Ceci explique que dès l'an 14 ap. J.-C., l'empereur Auguste ait érigé le long du Rhin jusqu'au Lac Léman et au lac de Constance, une province prenant en compte une réalité ethnique à laquelle on donna le nom de "Germanie Supérieure (Germania Superior)" avec l'Alsace au centre et Mainz pour capitale.
Cependant, devant les exigences de plus en plus pressantes d’Ariovist, toujours en quête de nouvelles terres pour fixer ses Germains, et l’arrivée constante de nouvelles tribus suèves, Séquanes et Eduens décident de se réconcilier et de s’allier pour contrer l’avancée germanique. Mais l’armée coalisée gauloise est écrasée par les Suèves d’Ariovist le 15 mars 60 av. J.-C[3]. à Magetobriga ou Admagetobriga (actuelle Côte d’Or). Fort de sa victoire, Ariovist exige alors un second tiers du pays séquane : il se considère désormais comme le suzerain des Eduens et des Séquanes et leur impose un tribut (impôt).
De leur côté, les Helvètes, originellement établis au Wurtemberg et contraints sous la poussée des Suèves d’émigrer vers le plateau suisse, en 58 av. J.-C. cherchent à émigrer vers l’ouest de la Gaule transalpine pour échapper au harcèlement des Germains (ayant séjourné longtemps en Germanie sur les bords du Main et du Neckar, les Helvètes étaient pénétrés des moeurs germaniques). Or, le pays des Eduens se trouvait sur leur chemin. Désespérés, ces derniers envoient un émissaire à Rome pour implorer l’aide du Sénat, probablement avec la triple préoccupation de stopper la migration des Helvètes, d’en finir avec l’hégémonie des Suèves et de briser le joug des Séquanes toujours protégés par ces derniers.
Evidemment, la défaite de leurs alliés Eduens, dont le territoire jouxtait la Narbonnaise, ne peut laisser les Romains indifférents. Mais le sénat romain, redoutant alors l’invasion des Helvètes, chercha d'abord à gagner du temps. Pour amadouer Ariovist et calmer ses appétits de conquête, en 59 av. J.-C. sous le consulat de Jules César, il lui avait octroyé le titre honorifique d’« Ami du Sénat romain ». Au nom du Sénat, César l’invita même à Rome, le couvrit de présents et le reconnut comme « roi des Suèves ».
Mais Ariovist a vent des projets de conquête de la Gaule de César, ce qui l’oblige à hâter l’implantation de ses tribus pour conforter ses positions dans tous les territoires passés aux Suèves et le devancer. Ainsi, et sans évoquer les Triboques à présent bien enracinés au Nord, au Sud, les 15 000 Germains venus en Haute-Alsace en l’an 63 av. J.-C. passèrent à 120 000 cinq années plus tard. La même année, 24 000 Harudes vinrent encore grossir leurs rangs.
C’est donc sans discontinuer que d’autres peuples germaniques s’établiront en Alsace jusqu’à occuper la totalité du pays en pratiquant l’élevage et en cultivant le sol. Pour défendre et garder leurs terres dans lesquelles ils se sont enracinés, ils suivront Ariovist jusqu’au bout.
La réaction des Romains ne tarde pas
La constante montée d’Ariovist va inévitablement provoquer une réaction des Romains qui ne peuvent tolérer que s’établisse le long du Rhin une puissance capable de contrarier leurs visées impérialistes sur la Gaule. Par ailleurs, Jules César, qui avait été nommé consul des Gaules en 59 av. J.-C., veut aussi assurer son contrôle sur les axes de circulation du centre-est de la Gaule. Récent vainqueur des Helvètes à la bataille de Bibracte (Montmort en Saône-et-Loire) en juin 58 av. J.-C., il est alors le seul à pouvoir empêcher militairement Ariovist d’étendre sa domination sur le nord-est de la Gaule.
César commence par envoyer des ambassadeurs à Ariovist. Mais celui-ci refuse un entretien en terre gauloise. De plus, il lui dénie toute légitimité pour s'occuper des affaires germano-gauloises et fait valoir son droit de rester en Gaule sur des terres qu’on lui a données « contractuellement ». César envoie alors un ultimatum au chef germain contenant une série d’exigences destinées à l’irriter pour l’amener à s’exposer. Il lui demande de ne plus installer de Germains en Séquanie, de rendre aux Eduens leurs otages et de ne plus s’attaquer à eux et à leurs alliés. Mais Ariovist, connu pour son tempérament fougueux, persiste : il refuse de se plier aux ordres des étrangers et rappelle à César que si les Eduens étaient devenus tributaires, ce n’était que justice, puisqu’ils avaient été battus après avoir été les premiers à attaquer.
C’est alors que César apprend que 100 cantons de nouveaux Suèves, soit environ 100 000 hommes, s’apprêtent à franchir le Rhin. Immédiatement, il décide de partir en campagne en se dirigeant d’abord vers Vesontio (Besançon), la capitale des Séquanes, pour se ravitailler !
Accompagné de 6 légions romaines, il vient en Alsace par la trouée de Belfort pour affronter l’armée suève d’Ariovist.
Dans La guerre des Gaules, Jules César nous apprend que, durant une halte de quelques jours à Vesontio, la peur s’empara soudainement de ses troupes. Dans les rangs des légionnaires romains on appréhendait l’affrontement avec ces « terribles Germains » qui semaient l’épouvante parmi leurs ennemis. La bataille approchant, la peur gagnait indifféremment soldats, centurions ou chefs de la cavalerie. Certains pleuraient, d’autres rédigeaient leur testament. Des troupes menacèrent même de désobéir à l’ordre d’engager la bataille. C’est que le raid meurtrier des Cimbres et des Teutons quelques décennies plus tôt était resté dans les mémoires romaines. César fut ainsi contraint de haranguer longuement ses troupes pour leur remonter le moral et leur redonner courage.
L’affrontement
César commence par manœuvrer adroitement pour pousser Ariovist à déclarer la guerre dans la plaine. Aussi, à l’automne 58 av. J.-C., il installe son armée près de l'actuel Wittelsheim, tandis qu’Ariovist cantonne la sienne non loin de là, à Ensisheim. Suite à une ultime négociation peu fructueuse [4] entre les deux hommes organisée à mi-chemin sur un tertre au sud de Pulversheim, la bataille n’allait pas tarder à s’engager.
Mais dans le camp des Germains, les devineresses suèves faisaient connaître la volonté des dieux : la bataille générale ne pouvait avoir lieu qu’après la nouvelle lune. Dans un premier temps, les Germains vont donc chercher à se dérober en évitant d’engager la grande bataille. C’est ainsi que les affrontements ne se limiteront d’abord qu’à quelques escarmouches menées par 6 000 cavaliers germains et autant de fantassins accrochés à la crinière de leurs chevaux au galop en se jetant au dernier moment sur les lignes ennemies comme de véritables projectiles. Dissimulés entre les chevaux, ces fantassins armés à la légère, habiles à manœuvrer et à frapper sous les flancs même des chevaux, étaient la terreur des soldats romains.
Cependant, ayant appris que les Germains refusaient de se battre avant la nouvelle lune, César se hâte alors d’engager la bataille et, sans tarder, installe deux légions à 800 m du camp adverse. Peu après, les deux armées se retrouvèrent face à face dans la plaine de l’Ochsenfeld en Haute-Alsace entre Alt-Thann / Vieux-Thann et Sennheim/Cernay : « Alors les Germains, contraints et forcés, se décidèrent à faire sortir leurs troupes : ils les établirent, rangées par peuplades, à des intervalles égaux, Harudes, Marcomans, Triboques, Vangions, Némètes, Sédusiens, Suèves [...] », écrit Jules César dans La guerre des Gaules (I, 51)».
Les assauts furent d’une violence inouïe. Mais opposés aux 40 000 légionnaires aguerris et bien équipés de César, les armées de la coalition germanique des Suèves finirent par ployer. Les renforts attendus tardant à venir, elles seront finalement écrasées après que le commandant de la cavalerie de César, voyant les armées romaines en difficulté, eut décidé d’engager les réserves composées de vétérans romains.
En Alsace, cette bataille marque le premier grand choc entre les civilisations latine et germanique.
Les pertes furent énormes de part et d’autre, le chiffre de 80 000 morts est souvent avancé. Quant aux survivants du carnage, ils furent rejetés outre-Rhin où ils se fixèrent. Mêlés aux autres Suèves déjà implantés sur ces terres le long du Rhin, ils formèrent le socle fondateur du peuplement « souabe », les futurs Schwaben (d’Schoowe). D’après l’historien romain Tacite, au Ier siècle de notre ère, ces derniers occupent toute la Germanie centrale.
Ariovist lui-même réussit à fuir en traversant le Rhin sur une barque laissant derrière lui ses deux femmes, il était bigame, et une de ses filles qui ne purent échapper au massacre auquel se livrèrent les Romains. Ne pouvant se pardonner son échec, désespéré, il mourut peu après, en 54 av. J.-C. Il avait commis l’erreur d’engager la bataille dans la plaine, en terrain découvert, ce qui avait laissé l’avantage aux troupes romaines dont les techniques de guerre étaient parfaitement adaptées à la situation d'un terrain dégagé[5].
La victoire de Jules César ouvre l’ère de la colonisation romaine
La victoire que remporta Jules César contre Ariovist à la bataille de l’Ochsenfeld, près de Cernay, ouvrit l’ère de la colonisation romaine de l’Alsace qui durera près de quatre siècles (58 av. J.C. à 350 après J.-C). L’Alsace est alors annexée par la république romaine avant de devenir une province de l’empire romain en 27 av. J.-C. Cependant, l’établissement définitif des Romains n’aura lieu qu’entre 16 et 14 av. J.-C.
Quant aux Gaulois, ils se rendirent très vite compte que les Romains n'étaient pas venus en libérateurs. Ils perdirent eux aussi leurs libertés et leur indépendance : leurs nouveaux maîtres sont désormais Romains ! En effet, dans la foulée de sa victoire sur Ariovist, César a immédiatement commencé par s'emparer de toute la région située entre la Seine et le Rhin (57 av. J.-C). Mais c'est en 52 av. J.-C. qu'il remporte une bataille décisive à Alésia contre Vercingétorix, le chef des Arvernes, qui avait tenté de fédérer les peuples gaulois pour repousser les envahisseurs romains. Des Suèves avaient alors franchi le Rhin pour prêter main-forte aux Gaulois assiégés. Mais, probablement devant la désunion de ces derniers, ils finirent par renoncer. Ils s'en retournèrent en Germanie en traversant le Rhin en profitant d'un pont nouvellement construit par les Romains. Ainsi, durant huit années, de 58 à 51 av. J.-C., César ne cessa de guerroyer en Gaule jusqu’à soumettre tous les peuples gaulois des Pyrénées à l’embouchure du Rhin.
Cependant, des Celtes et des Germains continuaient de vivre tant sur la rive droite du fleuve que sur la rive gauche, le Rhin n'ayant jamais été une barrière empêchant la circulation des peuples. (En Alsace au XVIIe s., s'inspirant de la politique des Romains, les Français en firent une frontière politique ; il n'en demeure pas moins qu'il ne fut jamais une frontière ethnique).
En Alsace, le peuplement germanique perdura même après la défaite des armées d’Ariovist et de la noblesse suève. Les Romains maintinrent sur place, probablement au titre de fédérés[6], les Triboques, les Vangions et les Némètes déjà sédentarisés ainsi que les Harudes en Haute-Alsace (la Basse-Alsace sera érigée au rang de Civitas Tribocorum, le district des Triboques, avec Brotomagum (Brocomagus / Brumath) pour capitale). Tous se fixèrent définitivement en Alsace où ils s’avérèrent être d’excellents artisans et agriculteurs. L'Alsace était devenue leur terre ! De ce fait, la langue germanique a pu se maintenir à côté du latin, la langue officielle imposée par les Romains.
On peut noter que sans la défaite d’Ariovist, qui permit aux Romains de gagner la frontière du Rhin, la guerre des Gaules n’aurait probablement pas pu avoir lieu. L’Europe au nord des Alpes aurait alors vraisemblablement connu un autre destin. Et peut-être même parlerait-on allemand aujourd'hui en France.
La colonisation romaine en Alsace
Cette période sera caractérisée par une forte présence militaire dans le pays particulièrement pesante en Basse-Alsace où le camp d’Argentorate (Strasbourg) prit une importance stratégique grandissante. L’Alsace est alors un territoire occupé militairement et administré par des fonctionnaires romains, civils ou militaires, qui ont autorité sur tout : l'armée est omniprésente. C’est elle qui contribue le plus à répandre la culture, la langue et les mœurs latines principalement dans les quelques centres urbains, les campagnes restant à l'écart. C’est que les légionnaires romains devaient obligatoirement être citoyens romains et savoir parler, lire et écrire le latin.
L’armée romaine, qui maîtrisait parfaitement l’art de la parade et, par son aspect "clinquant", celui de l'esbroufe, était le principal instrument de la conquête : elle devait incarner la civilisation et éblouir les Barbares considérés comme rustres et inférieurs. Soumis à une discipline de fer, doté d’un équipement standardisé comprenant, entre autres, une cuirasse (ou une cote de maille) rutilante en bronze pour protéger le torse, un glaive dans un fourreau décoré pour le corps à corps, un pilum et un casque parfois rehaussé par des plumes pour paraître plus grand, le soldat romain devait impressionner son adversaire « barbare » indiscipliné, se battant la plupart du temps torse nu avec des armes plus rudimentaires. L’armée romaine, conçue comme une force de dissuasion, voulait être le reflet de la grandeur de Rome et de la toute-puissance de l’Empire. Elle avait de ce fait un impact psychologique évident sur l’adversaire [7].
. La langue : Les Romains, qui tiennent le pays d'une main de fer, imposent leur langue, le latin, comme langue administrative, commerciale, de l'éducation et de la bonne société. Les tribunaux, les armées et les temples n'ont que le latin pour langue officielle. Face aux autres langues du pays, celte et germanique, ils imposent l'idée que le "latin est le beau langage"! Par ailleurs, nombre d'autochtones, celtes ou germains, sont affublés de noms latins. Il en est de même des nouveaux toponymes, comme par exemple Tres Tabernae (Zabern / Saverne). Certains anciens toponymes celtes ou proto-celtes sont néanmoins conservés.
. Un système colonial très inégalitaire : Les citoyens romains sont la classe privilégiée. Eux seuls sont gratifiés de privilèges et peuvent accéder à la carrière des honneurs (fonctionnaires, hautes charges…). Ils bénéficient également d'un régime pénal allégé, moins dur. Et dans les écoles ne sont enseignés que le latin ou le grec ainsi que l'histoire de Rome et des dieux du panthéon greco-romain (Jupiter, Mercure, Apollon…). Ravalés au rang de conquis, les indigènes ne peuvent participer à la vie politique. Ils ne bénéficient ni de la même considération, ni des mêmes droits que les Romains. Ils sont considérés comme des "Barbares", une notion réductrice révélatrice de la xénophobie des Romains convaincus de la primauté de leur culture et civilisation. Ce n’est qu’en 213, sous Caracalla, que la citoyenneté romaine sera accordée aux hommes libres de l’empire, mais sans pour autant que la hiérarchie n’en soit changée. Les esclaves, probablement les plus nombreux, eux ne bénéficient d’aucun droit.
. Une latinisation superficielle : Cependant, les Romains ne formeront toujours qu’une mince couche de la population, la seule immigration romaine étant le fait de vétérans de l’armée, auxquels on octroyait des terres, ou de commerçants venus des pays romanisés notamment de la Narbonnaise. Mais l'Alsace rurale, où se concentrait l'essentiel de la population, ne changea guère et resta assez hermétique à la latinisation/romanisation. Il en est de même de la plèbe des cités. Ainsi, la très grande majorité de la population ne parlait pas le latin ! Dans sa célèbre Histoire linguistique d'Alsace et de Lorraine, le professeur Paul Levy écrit que les populations rurales "ne furent que peu ou prou touchées par la latinisation"(p.53). Ceci expliquera la disparition rapide et complète du latin entre le IVe et le VIe s. Durant cette période, des termes latins vont passer dans l'ancien germanique et vice-versa : ex. le latin vinum devient Win en alémanique ; le germanique Stalla passe dans le latin sans modification en Stalla (étable, stalle).
Pour inventer des racines gallo-romaines aux Alsaciens, afin de nier leurs origines germaniques, et attester de la romanisation de l'Alsace, les historiens français s'appuient généralement sur les découvertes archéologiques. En recensant les textes retrouvés et l'origine des noms relevés sur les tombes, les monuments trouvés dans le sol ou les graffitis figurant sur les poteries, ils insistent sur le fait que l'écrasante majorité sont celtes ou latins (on retrouve d'ailleurs les mêmes types de vestiges en Allemagne, en Autriche ou en Suisse, sans pour autant que le caractère germanique de ces populations ne soit jamais mis en doute). Or, cette démonstration ne tient pas puisque le latin était la langue unique imposée partout et à tous par les occupants romains, ce qui explique son omniprésence. Par ailleurs, les Germains établis dans les campagnes - ils n'aiment pas les villes - avaient leur propre écriture, l'"écriture runique", apparue seulement au IIe s. et dont ils firent un usage restreint (Romains et Celtes utilisaient les caractères latins ou grecs). Ajoutons encore que seuls les Romains utilisaient la pierre dans leurs constructions, alors que les Celtes ou les Germains privilégiaient le bois. Ceci explique le grand nombre de découvertes archéologiques d'origine romaine (pierres de construction sculptées, statues de divinités romaines, textes en latin gravés dans la pierre…).
. Des routes stratégiques : Pour faciliter leurs continuelles expéditions guerrières en Germanie libre, les Romains développèrent un remarquable réseau de routes stratégiques longeant le Rhin ou allant soit vers le territoire ennemi, soit vers Rome où était centralisé le pouvoir. Les plus importantes sont pavées. Les grandes routes stratégiques mesurent de 10 à 14m de large. Trois d’entre elles parcouraient le pays du Nord au Sud.
. Le Limes : c'est une ligne militaire de défense et de surveillance constituée de murs de pierres, de tertres, de fossés, de palissades, de tours de guet et de fortins. Dès 12 à 19 av. J.-C., Drusus l'Ancien avait fait réaliser une ligne de défense de première nécessité avec de petites garnisons installées dans des lieux stratégiques. Sous l'empereur Auguste (27 av.J-C.- 14 ap. J-C.), premier empereur romain, les Romains édifièrent tout le long du Rhin une ligne continue de fortins, les "castella", qui, en Alsace, sont souvent à l'origine d'agglomérations comme Lauterbourg / Lauterburg, Seltz / Selz, Drusenheim, Mons Brisiacus (Breisach), Argentovaria (Horbourg / Hochburg)…
Le limes, qui s'étendait sur plus de 550km sous Domitien, était néanmoins perméable aux échanges de marchandises, frappées de taxes par les Romains, grâce aux nombreuses portes qui jalonnaient son parcours. Il eut une certaine efficacité durant près de deux siècles, mais ne constitua jamais une frontière étanche empêchant les échanges culturels entre le monde romain et le monde germanique, entre le monde romanisé et les "barbares". (Curieusement, l'historiographie française ne réserve qu'aux Germains le qualificatif de "barbares"… alors qu'aux yeux des Romains les Gaulois l'étaient pourtant tout autant).
. Développement de la production régionale et de l’artisanat : Les Romains détermineront de même la production régionale en fonction des besoins de leur armée grande consommatrice de produits artisanaux et agricoles nécessaires au ravitaillement des troupes (blé, arbres fruitiers, chevaux, bovins, volaille…). De plus, les soldats romains, qui étaient salariés, une rareté dans l'antiquité, touchaient une solde assez élevée, ce qui en faisait des clients idéaux pour écouler les productions artisanales locales : verrerie, céramique, cuir, outils, pierres taillées nécessaires aux constructions (thermes, théâtres, temples…). Il s’en suivra une multiplication d'ateliers de toutes sortes à travers le pays dont de nombreuses forges et tanneries.
Venus pour la plupart du bassin méditerranéen, avec des habitudes alimentaires et un mode de vie différents des populations indigènes, ils favorisent également l’importation de produits caractéristiques du sud : vin d’Italie, huile d’Espagne, épices, poivre, dattes… Vers l’an 280, ils acclimatent la vigne cultivée, à l’origine du vignoble alsacien.
Des colons romains introduisent également un nouveau mode d’exploitation, les « Villae » avec leurs opulentes demeures, grands domaines de plusieurs centaines d’hectares cultivés essentiellement par des esclaves. Toutefois, elles seront peu nombreuses en Alsace.
. Religion : Les Romains emportent avec eux les dieux et divinités du panthéon gréco-romain tandis que les indigènes conservent les leurs. Cependant, il s’est produit des mélanges (syncrétisme), les Romains assimilant leurs propres dieux et ceux des Celtes voire des Germains. C’est souvent sous un nom romain qu’on continuait à vénérer des dieux indigènes. Ainsi, Mars est associé à Medru et Jupiter à Taranis. Quant à la déesse Junon, elle est assimilée par les Gaulois à la déesse mère, Cantismerta. En Alsace, le christianisme ne fit son apparition qu’au IVe siècle. Le nom de l’évêque Amandus est évoqué en 342.
. Le mythe de la « Pax Romana » : On parle souvent de « Paix romaine » pour caractériser la période de l’occupation romaine. Mais à présent, la plupart des historiens s'accordent à dire que c'est faux ! En effet, cette période fut marquée par une alternance de périodes de calme (tout à fait relatif) et de graves troubles avec une succession de révoltes, de conflits internes à l'armée et de répressions souvent sanglantes : révoltes des indigènes contre l’occupation romaine, guerres incessantes avec les Germains infiltrés sur le Rhin, destructions de villes, mutineries de garnisons romaines... Et c’est toujours par le feu et le fer que les Romains rétablirent l’ordre : la "Paix romaine" par le despotisme militaire !!
Insatiables de conquêtes
Les Romains ne cessent d’entreprendre des expéditions guerrières en Germanie libre toujours accompagnées de destructions et de massacres. En effet, les Romains avaient la constante volonté de reporter la frontière du Rhin jusqu’à l’Elbe. Ainsi, vers l’an 10 av. J.-C., Auguste charge son beau-fils Drusus, plusieurs fois victorieux en Germanie, de la construction d’un chapelet de postes militaires le long du Rhin pour servir de base de départ à l’invasion de la Germanie libre, la « Germania Magna ». Chaque année, des légions romaines partaient ainsi de leurs bases situées sur la rive gauche du Rhin et le cours supérieur du Danube dans l’intention de prendre les Germains libres en tenaille. Durant ces expéditions, les Romains se ruaient sur les villages de la Germanie pour y faire des razzias d'esclaves, hommes, femmes, enfants, et s'emparer des bestiaux. Les habitations, généralement en bois et toits de chaume, étaient ensuite le plus souvent livrées aux flammes. Cette chasse à l'esclave continuelle permettait aux Romains de procurer aux terres latines la main-d'oeuvre nécessaire à leur exploitation. La Germanie libre était ainsi devenue pour eux un réservoir inépuisable de main-d'oeuvre et d'auxiliaires pour leurs armées. Elle fut, de ce fait, l'une des principales sources de l'esclavage antique ! Une des conséquences des continuels massacres de populations et des prélèvements incessants d'esclaves fut la disparition de peuples entiers. Ainsi en fut-il des Eburons, une tribu germanique de la région de l'"Eifel", territoire entre le Rhin et la Meuse (Maas), qui furent massacrés par milliers lors des incessants raids, tandis que les survivants étaient envoyés en longues colonnes vers l'esclavage. Leur nom finira par disparaître de l'histoire.
Hermann le chérusque met un coup d’arrêt aux ambitions romaines en Germanie
Mais en l’an 9 ap. J-C., le chef chérusque Hermann / Arminius met un coup d’arrêt à la politique expansionniste romaine en Germanie en anéantissant les trois légions romaines du légat Varus avec leurs auxiliaires dans la forêt de Teutoburg (Westphalie). Dans la foulée, tous les camps romains sur la rive droite de la Weser, à l’exception d’Alesio, sont détruits. Les Romains sont alors contraints de se replier à nouveau sur le Rhin, ce qui donnera une importance accrue au camp d’Argentorate. Leurs troupes vont ensuite rester sur le pied de guerre dans l'attente des Germains… qui, trop contents de s'être débarrassés des envahisseurs, ne se manifestèrent plus. En réussissant à stopper les Romains, Hermann le chérusque, qui passe pour le libérateur de la Germanie, a réussi là où Vercingétorix avait échoué quelques décennies plus tôt en Gaule ! Après le sanglant désastre de la forêt de Teutoburg, la peur panique qui s’était emparée des Romains poussa Auguste à concentrer un tiers de toute l’armée impériale derrière le fleuve.
Les incursions vont néanmoins continuer
Mais les incursions militaires romaines en Germanie ne vont pas complètement cesser pour autant. Ainsi, vers 72, l'empereur Vespasien (69-79) fait construire une route stratégique reliant Argentorate au lac de Constance en passant par la Forêt-Noire. L’année suivante, il s’empare du territoire situé au sud de cette route dans le coude du Rhin, grosso-modo l'actuel Bade-Wurtemberg, plus précisément la haute vallée du Rhin, du Danube et du Neckar. Il en chasse les Suèves venus au Ier s. av. J-C. et favorise l’implantation de colons gaulois dont Tacite dira qu’il s’agissait de « l’écume des Gaules, tous ceux que la misère pousse à l’audace ont saisi une terre dont la propriété était incertaine » (cf Tacitus, Germania XXIX, 4). C'est à Vespasien que revient l'idée d'utiliser le cours du Neckar comme voie de pénétration en Germanie libre.
Entre 83 et 89, Domicien recule encore cette limite : après plusieurs campagnes, il complète les conquêtes de ses prédécesseurs par l'annexion d'une partie de la Hesse, avec le Taunus, et de la Vettéravie, une ancienne région allemande située entre Hesse, Westphalie et Franconie. Ce vaste territoire nouvellement conquis sera annexé à l'empire et appelé "Champs Décumates", probablement en référence à l'obligation qui fut faite aux habitants de payer une dîme à l'empereur romain.
C’est sous la dynastie des Flaviens (Vespasien, Titus, Domitien), qui ont régné de 69 à 96 sur l’empire romain, que sont précisées les limites de la « Germanie inférieure » et de la « Germanie supérieure » à laquelle est rattachée l'Alsace. Il y avait alors trois Germanies : La Germanie libre, la Germanie inférieure et la Germanie supérieure. Cette dernière avait pour chef-lieu Mainz / Mayence et englobait toute la rive gauche du Rhin entre les confluents de la Moselle et de l’Ara ainsi qu'une partie de la Suisse, la Franche-Comté et un morceau de Bourgogne.
La Germanie Supérieure en l’an 120
(source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Germanie_supérieure)
A la fin du règne de Domitien, empereur de 81 à 96, le limes partait de la « Germanie inférieure » et aboutissait au Danube en amont de Regensburg/Ratisbonne, en passant au-delà de la vallée du Neckar. Cependant, à partir du début du IIIe s., il ne suffira plus pour arrêter la poussée des peuples germaniques dont certains avaient déjà pris pied derrière le limes depuis fort longtemps soit comme auxiliaires des armées romaines, soit comme colons autorisés à cultiver les terres abandonnées.
De sorte qu’en 254, les Romains, constamment harcelés par des troupes de guerriers germains, se trouvent placés dans l’incapacité de défendre les Champs Décumates. Ils sont refoulés derrière le Rhin et contraints d’abandonner le limes. Sous l’empereur Galien (260-268), celui-ci est ramené sur le Rhin qui redevenait ainsi la frontière de l’empire.
Les Suèves à nouveau en mouvement
Du côté de l’Elbe, depuis la défaite d’Ariovist, le peuple Suève était alors dans une mauvaise passe. Décimé, il avait perdu sa puissance d’antan et semblait déprimé. A part quelques opérations de guérilla, généralement menées par de petits groupes de cavaliers qui se repliaient dans la forêt une fois leur opération accomplie, il n’avait plus guère fait parler de lui pendant des décennies.
Cependant, grâce à sa vitalité, marquée par une forte natalité, et sa ténacité, il finira par se relever pour reprendre ses grandes migrations. Vers 200 après J.-C., c’est-à-dire longtemps avant que ne débute en Europe le grand mouvement tournant des peuples, die Völkerwanderung, probablement poussés par le manque de nourriture, les terres où ils étaient implantés étant trop pauvres pour les nourrir tous, les Suèves reprendront le chemin vers le sud en quête de terres capables de subvenir à leurs besoins alimentaires ! Une étude sur des os de squelettes trouvés lors de fouilles, notamment au Schleswig-Holstein, ont mis en évidence une succession de périodes de famine (jusqu'à 11 pour un individu dont l'âge a été estimé à 16 ans - voir Geoepoche n°34-2008). Le souvenir de leur terre perdue d’Alsace, où s’étaient fixés tant des leurs du temps d’Ariovist, était resté vivace dans leur mémoire.
Buste d'un guerrier, probablement suève, de la région de l'Elbe.
(in Karin Krapp, Die Alamannen, éd. Theiss, 2007)
Les Alamans entrent en scène
Au fur et à mesure de leur avancée, des survivants de peuplades germaniques massacrées par les Romains et divers peuples germaniques de moindre importance vivant entre la Weichsel (Vistule), la Weser et l’Eder, se joindront aux tribus Suèves pour refouler le colonialisme romain et conquérir de nouvelles terres. « Tous les hommes », « alle Mannen », capables de porter les armes sont les bienvenus[8] ! Ils finiront par former un peuple original, une nation : les Alamans / die Alemannen, nos ancêtres, héritiers des Suèves. A partir du Ve s., les noms de Alamans et Suèves seront synonymes et utilisés indifféremment au point que le nom de Suèves s'imposera progressivement pour désigner le territoire sur lequel les Alamans s'étaient installés ! A noter que ce nom, c’est eux-mêmes qui se l’attribuèrent !
Parmi les tribus qui firent partie des Alamans citons : les Suèves, les Hermundures, que Tacite range sous les Suèves, les Juthunges, les Bucinobantes, les Lentiens, les Armalauses, les Teutons, les Quades, Marcomans et Semnons...
C’est en 213, alors qu’ils s’attaquent au limes sur le Main, que leur nom, en latin Alamanni, apparaît pour la première fois dans les textes romains : les Alamans entraient dans la lumière de l’histoire ! Dès 254, après une première incursion en 233/34, ils reconquièrent progressivement les Champs Décumates en refoulant Romains et Gaulois derrière le Rhin. En 259, ils s'aventurent même jusqu’en Italie du Nord où ils sont arrêtés in extremis dans leur marche vers Rome par Gallien qui fini par les battre près de Milan.
Quelques décennies plus tard, les Alamans occuperont tout l’espace compris entre le lac de Constance, incluant tout le Bade-Wurtemberg, et la plaine de l’île. Par la suite, ils ne seront plus jamais chassés de cette terre gagnée de haute lutte où planait toujours l'âme de leurs ancêtres de l'épopée d'Ariovist. Ils s’y enracineront définitivement.
Au début du Ve siècle, emportés par leur impétuosité, des Suèves conduits par le roi Herméric et qui avaient franchi le Rhin avec les Alains et les Vandales en 406, choisissent de suivre ces derniers. Ils traversent toute la Gaule jusqu’aux Pyrénées avant d’aller fonder des royaumes en Galice et nord du Portugal – ce royaume sera reconnu par les Romains[9] - ainsi qu’en Espagne, des royaumes qui dureront jusqu’au VIe siècle ! Certains s'aventurèrent même jusqu’en Afrique du nord.
Bernard Wittmann - Historien - 23.12.2017
[1] P. Zind, Brève histoire de l’Alsace, éd. Albatros, 1977, p.23.
[2] Paul Lévy, Histoire linguistique d’Alsace et de Lorraine, Les Belles Lettres, t. I, p. 47.
[3] Cicéron, lettre à Atticus.
[4] Avant que ne s’engage la bataille, lors d’une ultime rencontre à cheval sur un tertre à l’écart du champ de bataille au Sud de Pulversheim, César rappelle à Arioviste que les Eduens sont les alliés des Romains qui, de ce fait, ne peuvent accepter qu’il soit porté atteinte à leur territoire. Il demande à Arioviste de faire allégeance à Rome, d’arrêter toute action guerrière à l’égard des Eduens et de renvoyer en Germanie une partie de ses troupes. Mais celui-ci refuse en rappelant que ses peuples suèves étaient venus dans cette partie de la Gaule bien avant les Romains et que, de plus, cette terre lui a été donnée librement par les tribus gauloises qui l’ont appelé à leur secours : « Mes hommes ont quitté leur patrie et leur famille à contrecœur. Seule la promesse de fortes récompenses les décida à venir. Les terres que nous occupons, ce sont les Gaulois eux-mêmes qui nous les ont données. Et le tribut qu’ils nous versent répond aux lois de la guerre que nous ont enseignées les Romains. Je ne comprends pas pourquoi, toi César, tu les incites à refuser de nous verser le tribut qu’ils ont payé jusque-là volontairement ». Pour finir, il se déclare souverain sur ses terres : « Cette partie de la Gaule est ma province, pas la vôtre et je ne tolèrerai aucune attaque de notre territoire !», dira-t-il en substance. De son côté, César maintient ses prétentions sur toute la Gaule : « La domination de la Gaule par le peuple romain est totalement justifiée » ! La bataille va alors s’engager.
[5] Quelques décennies plus tard, le chef de guerre chérusque Hermann, retiendra la leçon. Par des actions de guérilla, il attira les légions de Varus sur son terrain dans les profondes forêts et les marécages du pays chérusque sur les deux rives de la Weser propices aux embuscades. C’est ainsi qu’en l’an 9 après. J.-C., les guerriers chérusques, surgissant dans un étroit passage du « Teutoburger Wald » anéantirent totalement l’imposante armée romaine. Dans l’impossibilité de manœuvrer, elle laisse 25000 morts sur le carreau ! La victoire écrasante des Chérusques de Hermann dissuada les Romains de faire de la Germania magna une province de Rome. Ses légions, constamment harcelées par des groupes de combat germains, furent contraintes de se replier sur le limes du Rhin.
[6] Peuples ayant passé un traité d’alliance (foedus) ou de soumission avec les Romains.
[7] Héritage de la colonisation romaine, on retrouve cette culture de l’apparat et du paraître des Romains dans la France républicaine contemporaine. Ainsi, les « fastes de la République » visent à épater et à impressionner non seulement les hôtes du pouvoir mais aussi les visiteurs étrangers : défilés militaires grandioses symbolisant la puissance, gardes républicains à cheval avec leurs casques empanachés, décorum luxuriant des palais de la République croulant sous les dorures….
[8] L’historien Pierre Zind évoque une autre hypothèse : le nom pourrait aussi signifier « les hommes sacrés », Ala voulant dire sacré en Urgermanisch ?
[9] Ce fut le premier royaume du Haut-Moyen-Age qui frappa monnaie pour signifier son existence.
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Mystérieuses disparitions
Il faudrait quand même qu’un jour soit dévoilée au grand jour une pratique assez constante en Alsace qui consiste à faire disparaître des documents, des monuments et autres témoignages de notre passé, dès lors qu’ils contredisent le roman national ou écornent par trop l’image de la France grande et généreuse.
Pour en avoir un petit aperçu, ci-après quelques-unes de ces curieuses « disparitions »:
- Comment se fait-il que les délibérations du Magistrat de la « Freie Reichsstadt Strassburg » à la veille de la capitulation de la ville (30.9.1681) aient disparu. « Après avoir fiévreusement délibéré toute la nuit, les membres du Conseil, les échevins et les bourgeois, réalistes, décident de capituler. La séance de délibération est extrêmement pathétique : certains pleurent, d’autres écument de rage et jurent contre les Français, et le désespoir est général ». Ce qui s’y dit fut consigné dans les registres. Mais en 1981, l’archiviste municipal de Strasbourg, Georges Foessel, révèle que les registres des délibérations du Magistrat de l’année 1681 n’existent plus, ils ont disparu[1]! « Ils ont été délibérément brûlés afin d’en garder le secret. »[2] Peut-être craignait-on que ce qui y était dit ne fasse tache dans l’histoire officielle de l’Alsace francophile ? Et, subsidiairement, que sont devenues toutes les armoiries de la Freie Reichsstadt Strassburg qui, encore au XVIIIe s., fleurissaient sur les façades des bâtiments publics ?
- Où sont passés les dossiers des milliers de civils alsaciens-lorrains arrêtés et pris en otages en 1914 lors des premières incursions françaises en Alsace. Ils furent transportés dans des wagons à bestiaux et détenus durant des années dans des camps de concentration en France où ils subirent brimades et mauvais traitements ? Cette disparition de la plupart des dossiers rendra ensuite impossible une indemnisation des victimes.
- Où sont passées les listes exhaustives d’Allemands et d’Alsaciens-Lorrains de souche expulsés après le 11 novembre 1918 ? Probablement faut-il y voir une tentative dérisoire d’effacer des mémoires alsaciennes les traces de l’abominable nettoyage ethnique perpétré par la France et qui entachera à jamais son histoire.
- Où ont bien pu passer les dizaines de milliers de dossiers des « Commissions de triage », fers de lance de l’épuration ethnique de 1918-1922, notamment ceux du Haut-Rhin ? On prétendra à Colmar qu’ils ont malencontreusement brûlé. Là encore, ces disparitions rendirent impossible une indemnisation des victimes.
- Où est passé le dossier de la procédure judiciaire devant le tribunal militaire de Nancy ayant conduit à la condamnation à mort puis à l’exécution, le 7.2.1939, du Dr Karl Roos ? Il n’en existe plus trace nulle part. Il aurait pourtant permis de dévoiler au grand jour toutes les irrégularités qui entachèrent son procès et sans doute de le disculper ?
- En juin 1940, les restes du Dr Karl Roos furent déposés dans un sarcophage placé dans la chapelle du Friendensturm de la Hünenburg pour y rester en paix. Mais en novembre 1944, le sarcophage fut précipité par les FFI du haut du Friedensturm dans le ravin en contrebas. Par la suite, on retrouva bien les morceaux du sarcophage en grès… mais on ne trouva trace des restes de celui qui incarnait pour beaucoup la résistance alsacienne à l’assimilation. A ce jour, personne ne sait où la dépouille du supplicié Karl Roos est enterrée : volatilisée[3]?
- Plus récemment, voilà qu’on apprend par un courrier officiel de la SNCF[4] (voir ci-après) que les deux grandes fresques peintes en 1885 par le peintre Hermann Knackfuss (1848-1915) et qui ornaient le hall d’entrée central de la gare de Strasbourg… n’existent tout simplement plus ! Probablement se sont-elles envolées ? Une explication à cette disparition semble venir des scènes peintes par l’artiste montrant, d’une part, la venue de Guillaume 1er à la forteresse de Hausbergen le 3 mai 1877 et, d’autre part, la translation des joyaux de la couronne dans la Kaiserpfalz de Haguenau en 1164 par l’empereur Friedrich Barbarossa. Elles faisaient ainsi un parallèle entre le Saint-Empire et le nouvel empire wilhelmien[5]. Cachez cet affreux passé germanique et ce Reichsland honnis que nous ne saurions voir !
Fresque mettant en scène l’empereur Friedrich Barbarossa
Fresque mettant en scène l’empereur Wilhelm / Guillaume Ier
Lettre du 20.10.2017 de la directrice de l’Agence Gares Est Européen
Et puis, on signale aussi la disparition de la langue historique de l'Alsace sous ses deux formes : Elsasserditsch und Schriftdeutsch… et celle, imminente, des panneaux "Région Alsace" consécutivement à une autre disparition : celle de la "Région Alsace". Mais ça, c’est encore une autre histoire !
Bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive, il existe de nombreux autres exemples.
Bernard Wittmann – Historien 1.11.2017
[1] Rot un Wiss, n° 61, juillet/août 1981.
[2] B.Wittmann, Une histoire de l’Alsace, autrement, éd. Rhyn un Mosel, 1999, T.1, p.108
[3] Probablement ne voulait-on pas que sa tombe puisse jamais devenir un lieu de pèlerinage... même ses restes devaient disparaître.
[4] Lettre du 20.10.2017 de la directrice de l’Agence Gares Est Européen, Mme Béatrice Leloup, à la présidente d’Unser Land Andrée Munchenbach.
[5] Une copie des fresques (lithographies) se trouve au Musée Historique de Strasbourg. Elles furent exposées aux Archives de la Ville dans le cadre de l'exposition "quand Strasbourg recevait Rois et Princesses".
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- Écrit par : Bernard Wittmann
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Rot un Wiss : le drapeau historique de l’Alsace
« Il ne peut y avoir de pays sans drapeau. » [1] - Michel Pastoureau- historien.
Les couleurs rouge et blanc associées sont enracinées dans la longue histoire de l’Alsace. Elles sont le plus ancien marqueur d’identification de l’Alsace puisqu’elles remontent au tréfonds de notre histoire médiévale. En effet, dès le XIe s., l’armée du premier duc de Lorraine, Gerhard d’Alsace (1024-1070), un descendant du duc Etichon-Athic d’Alsace d’après l’historien J.-Daniel Schöpflin, arborait les deux bannières rouges et blanches. Ces deux couleurs figurent également dans les armoiries du Nordgau, utilisées à partir de 1262 par le Landgraf issu des comtes de Werd.
Elles figurent de même dans les armoiries des plus grandes familles nobles alsaciennes comme les Andlau, les Geroldseck, les Ochsenstein, les Rappolstein, les Lichtenberg, les Wangen, les Wasigenstein… On les retrouve également dans les armes des évêques de Strassburg[2] ou dans celle des Habsburg, d’origine alsacienne.
Armoiries des princes-évêques de Strasbourg
Couleurs alémaniques traditionnelles, elles se retrouvent dans la plupart des armoiries de nos villes : Mülhausen, Ensisheim, Gebweiler, Schlettstadt, Münster, Türkheim, Rappoltsweiler, Weissenburg, Zabern… sans oublier la "Freie Reichsstadt Strassburg". La forte récurrence des couleurs rouge et blanc dans les armoiries de nos villes témoigne de leur proximité avec le Saint Empire romain germanique : ces deux couleurs se trouvaient tant sur la bannière impériale, « die Reichsbanner », (1200 à 1350, croix blanche sur fond rouge[3]) que sur la « Blutfahne », aussi appelée « Blutbann », utilisée du XIe s. au XVIIe s. pour représenter le pouvoir de haute justice, c’est-à-dire le droit de vie et de mort d’un souverain ou d’un seigneur sur ses sujets.
Reichsbanner (1200 – v. 1350)
Die Blutfahne (http://www.flaggenlexikon.de/f1rblutf.htm)
Dans la Freie Reichsstadt Strassburg, quand venait le Schwörtag, créé en 1334, c’est encore sur l’étendard rot un wiss que chaque année les bourgeois prêtaient leur serment de fidélité à la Constitution. Cette institution se perpétuera jusqu’en 1790.
A la fin du XVe s. et au début du XVIe, ces deux couleurs sont reprises par les paysans en révolte du Bundschuh : sur une gravure de 1522 un paysan armé à la manière des lansquenets déploie une bannière rouge et blanc sur laquelle flamboie le cri de l’insurrection : « Freyheit ».
Au XVIIe s., dans ses « Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace (1674/76 & 1681) », publiés en 1684 et 1886, le sieur J. de l’Hermine (Lazare de la Salle), un agent français envoyé en mission en 1674 dans une Alsace en ruine encore meurtrie par la guerre, raconte avoir assisté à une messe en l’église d’Altkirch pavoisée de bannières rouge et blanc : « Je trouvai aussi notre petite ville d’Altkirch toute changée depuis la paix, l’église étoit reblanchie du haut en bas et ornée de compartiments de peintures en guirlandes et en festons de feuilles de laurier et de fruits, les autels étoient peints et dorés de nouveau, le chœur et la nef brilloient de vingt bannières de taffetas rouge et blanc à l’allemande, attachées le long des deux murs. »
Les couleurs rouge et blanc associées continueront d’être utilisées sous la royauté comme une réminiscence nostalgique des anciennes libertés d’empire. Dans les dessins de Hansi se rapportant à la visite de Charles X en Basse-Alsace en 1828, dans les villages pavoisés traversés par le roi, à côté des trois fleurs de Lys, symbole de la royauté, flotte aux fenêtres et sur le clocher de l’église, le Rot un Wiss.
Lire la suite : Rot un Wiss : le drapeau historique de l’Alsace
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- Écrit par : Bernard Wittmann
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11 Novembre et devoir de mémoire en Alsace
Plus que la fin de la « Grande Guerre », le 11 Novembre est toujours commémoré en Alsace comme un jour de délivrance, la fin du « joug allemand » et le début des « grandes retrouvailles » ! Mais on oublie volontiers que 47 ans plus tôt, pour se sauver, la France avait cédé par un traité international l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne « à perpétuité, en toute souveraineté et propriété »!
L’Alsace fut alors « libérée », nous répète-t-on en boucle. Un grossier mensonge : en fait de « libération », les Alsaciens-Lorrains, autonomes depuis 1911, furent surtout libérés de leurs libertés. Nous avons été libérés non de l'Allemagne mais....de la GUERRE et des privations. S'il y avait eu référendum, personne ne sait ce qu'il aurait donné !
Après les promesses de Joffre à Thann en 1914 (« pacte de Thann »), les Alsaciens attendaient une politique de respect. Mais au lieu de cela, la France les soumit à un système colonial couplé avec un traitement punitif de « débochisation » et de mise au pas : « On nous traite plus sévèrement que les peuples des colonies », protesta le quotidien socialiste alsacien Der Republikaner (20.5.1920). En effet, le joug français pesa bientôt plus lourd que jadis la « botte prussienne » (1)!
- La constitution alsacienne de 1911 est foulée au pied et l’autonomie enterrée : le peuple alsacien est dépossédé des prérogatives dont il jouissait sous le Reichsland ;
- Le Conseil National (Nationralrat), dépositaire de la souveraineté alsacienne-lorraine et composé de représentants issus du suffrage universel, est carrément ignoré !
- Les promesses enjôleuses de respect des particularismes alsaciens des grands généraux français ne seront pas tenues ; le « pacte de Thann » de 1914 est oublié !!
- La chasse aux « boches » et aux « bochophiles » alsaciens-lorrains est immédiatement lancée et la délation est encouragée par les autorités ;
- Un filet de mouchards infiltrés dans la population est étendu à travers toute l’Alsace pour juger du degré de patriotisme et des options politiques des uns et des autres ;
- Une impitoyable épuration ethnique est lancée. 130 000 Alt-Deutsche et germanophiles alsaciens-lorrains sont expulsés de leur pays dans des conditions mortifiantes et sans aucune considération humanitaire ; tous leurs biens sont séquestrés : ils ne peuvent emporter que 20 à 50kg de bagages à main et 2000 marks en espèces par personne ;
- La population est soumise à un tri en 4 catégories suivant les origines ethniques et affublée de cartes d’identités sélectives A-B-C-D avec des règles d’apartheid ;
- Des « commissions de triage » sont instaurées à travers le pays pour juger et châtier les Alsaciens-Lorrains animés de sentiments germanophiles ; elles prononcent des sanctions d’une extrême dureté : expulsion en Allemagne avec séquestre des biens, internement, assignation à résidence à l’Intérieur, révocation pour les fonctionnaires… ;
- Une implacable politique d’éradication de l’allemand et d’assimilation culturelle et linguistique est lancée. Le français exclusif est imposé partout sans consultation des populations qui l’ignorent. La « méthode directe » faisant débuter la scolarité exclusivement en français est instaurée à l’école qui recevra pour mission première le déracinement des jeunes Alsaciens. La langue régionale est ravalée au rang de langue étrangère ;
- Les Alsaciens sont écartés de tout poste élevé dans leur pays. Les leviers de commande passent aux mains de Français de l’Intérieur qui, rapidement, occupent les 2/3 des postes laissés vacants par les Vieux-Allemands expulsés. Les fonctionnaires alsaciens n’ont droit qu’aux postes inférieurs : « L’Alsacien est administré par le Français de l’Intérieur, qui, à partir d’un certain niveau dans les carrières, règne seul », s’indigne le député démocrate Charles Frey (Bulletin d’Alsace-Lorraine, n°1, 1926)
Très vite, les joyeuses retrouvailles prennent un goût amer ! Dans L’Humanité(23.4.1919) le dirigeant socialiste Salomon Grumbach parle d’une « dictature renforcée ».Assurément, on était loin du « paradis tricolore » promis par Hansi et le Dr Bucher !
Dans ces conditions, n’y a-t-il pas une certaine indécence à parler de « libération » de l’Alsace ? Au regard des brutalités et des excès perpétrés alors par la France, peut-on fêter ce jour comme une « libération » ?
Et comment oublier que nos Feldgraue alsaciens-lorrains furent tués par des balles françaises : « Morts pour la France », nous dit-on à présent en nous expliquant le plus sérieusement du monde qu’en réalité, sous leurs uniformes feldgrau battaient des cœurs français. Leurs cœurs ont-ils été radiographiés pour valider cette affirmation saugrenue ?
Partant de là, en Alsace le 11 Novembre ne peut s’inscrire dans le devoir de mémoire que si l’on commémore la fin d’une sanglante tragédie européenne. Ce qui conduit à ce que les cérémonies soient organisées en l’honneur de tous les morts du conflit, y compris nos 50 000 Feldgraue alsaciens-mosellans si souvent oubliés des cérémonies en Alsace-Moselle où l’on préfère focaliser tous les honneurs sur les Poilus, leurs ennemis de la veille.
Le nationalisme est l’unique responsable des étripailles qui endeuillèrent régulièrement toute l’Europe depuis l’ère révolutionnaire. Aussi, ne serait-il pas préférable d’en tirer leçon et de supprimer la commémoration de l’Armistice, marqueur de la victoire militaire française sur l’Allemagne dans les esprits hexagonaux toujours gangrénés par le chauvinisme cocardier et un certain antigermanisme ? Ne serait-il pas plus judicieux de remplacer les cérémonies patriotiques désuètes exaltant le nationalisme sacrificiel devant les monuments aux morts, par une cérémonie du souvenir commune à toute l’Europe pour honorer tous les morts des guerres passées ?
Bernard Wittmann – Historien (6.11.2016)
(1) Source documentaire : B.Wittmann « Une épuration ethnique à la française – Alsace-Moselle 1928-1922 », éd. Yoran, 3e trim. 2016, 222 p. – Prix : 13€ - ISBN 9 782367 470269