Collectivité européenne d’Alsace : juste un grand département !

 

Flash back  

Le 25.11.2014, sur une proposition du gouvernement socialiste, les députés français adoptent la carte administrative française à 13 Régions. La loi nᵒ 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, également connue en tant que Loi NOTRe, viendra compléter le dispositif. L’Alsace est fusionnée de force avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne et se retrouve ainsi tout simplement rayée de la carte des Régions ! Ce mariage forcé s’apparente à un viol ! A nouveau Paris administre la preuve du mépris dans lequel sont tenus les Alsaciens ! 

Menée sur un coin de table, cette réforme totalement anti-démocratique fut élaborée et décidée à Paris sans aucune concertation des Alsaciens et en parfaite violation du Code général des collectivités locales et de la Charte européenne de l’autonomie locale[1]… pourtant ratifiée par la France. Vouloir gouverner des peuples sans leur consentement est bien la marque du totalitarisme. 

Les jacobins français en rêvaient depuis des lustres, le Président socialiste François Hollande et son Premier ministre Valls l’ont finalement réalisé : tuer l’Alsace en tant que Région ! D’ailleurs, dès le 14.10.2014, Manuel Valls n’a-t-il pas affirmé devant l’Assemblée qu’« il n’existe pas de peuple alsacien » ! Trois jours plus tôt, le 11.10.2014, dans une marée de Rot un Wiss, 15 000 à 20 000 Alsaciens, avaient pourtant manifesté à Strasbourg leur hostilité à la fusion programmée (Libération en ligne 11.10.2014) ! Le chef d’orchestre de cette manifestation de protestation n’était autre que le président de Région Philippe Richert !

Alors que la réforme territoriale n'est encore qu'à l’état de projet, les manifestations d’hostilité à la fusion se succèdent. Le 20.7.2014, quelques jours après le débat et le vote de l'Assemblée nationale, en première lecture, pour la création de treize régions en France, dont Champagne-Ardenne-Lorraine-Alsace, le maire de Mulhouse Jean Rottner lance une pétition - elle recueille plus de 60 000 signatures - pour une Région Alsace seule : « Une Région allant de la région parisienne au Rhin, c’est inconséquent, incohérent et inefficace », affirme-t-il alors (L’Alsace du 20.7.2014). De leur côté, les élus de la « majorité alsacienne » protestent eux aussi, certes (très) mollement comme à leur habitude. En septembre 2014, ils déposent à l’Élysée une pétition de 53 000 signatures en posant devant une banderole avec cette supplique adressée au gouvernement : « NE TUEZ PAS L’ALSACE !» (Tout juste s’ils n’ont ajouté « s’il vous plaît ! »). Seuls les socialistes alsaciens, connus pour leurs options jacobines, continuent à soutenir mordicus le projet fou du Grand Est. Une méga-Région deux fois grande comme la Belgique, dépourvue de liants historiques, sans âme, ni intérêt économique et culturel, tellement désincarnée qu’on n’a d’autre solution que de la baptiser du nom d’un point cardinal… comme si Paris était le centre du monde !On vient d’ailleurs d’apprendre que le président Rottner veut préparer la construction d’une identité grandestienne en prévoyant à cet effet un budget de 580 000 € HT : il s’agit de « construire le fait régional et écrire un récit commun faisant sens auprès des habitants et des partenaires de la collectivité» explique-t-il (DNA 18.7.2019)…comme si une identité, qui s’inscrit toujours dans l’histoire longue des peuples, pouvait se construire à partir d’un simple budget, aussi conséquent soit-il !

 Protestations des Alsaciens

La protestation continue ainsi durant des mois. Le 1.2.2015, la Fédération démocratique alsacienne (FDA) lance une grande pétition (signatures sur papier) titrée « Alsace, retrouve ta voix ». Elle recueillera 117 000 signatures. Un record… mais qui ne servira à rien ! 

Quant aux autonomistes d’Unser Land, aux élections régionales de décembre 2015, ils capitalisent le mécontentement et se retrouvent propulsés au rang de 3e force politique en Alsace avec plus de 11% des voix. Un an et demi plus tard, aux législatives de 2017, dans la 5e circonscription du Bas-Rhin, Unser Land réussit à qualifier son candidat, le Dr Gérard Simler, pour le 2e tour où il réalise le remarquable score de 45,86% des voix. Partout, le Rot un Wiss effectue un retour en force et s’impose à nouveau comme le drapeau de la contestation alsacienne ! Ce qui n’empêchera pas le Président Hollande, le 7.4.2016, après Manuel Valls, d’en rajouter une couche en se gaussant de la disparition de l’Alsace et en lançant à la volée : « L’Alsace n’existe plus, c’est maintenant le Grand Est » (DNA 18.4.2016) ! Toujours le mépris !

Cependant, les Alsaciens ont beau manifester leur exaspération en protestant encore et toujours contre ce diktat annexant l’Alsace au Grand Est, Paris reste inflexible ! Alors, très vite, après avoir montré (un peu) leurs biscotos, peu à peu la plupart des grands-élus, soucieux de leur avenir politique, mais aussi par habitude, choisissent à nouveau de se coucher, certains allant jusqu’à la plus vile des trahisons, celle de leurs mandants qui ne les ont certainement pas élus pour liquider l’Alsace. C’est le cas de Philippe Richert, l’ex-président de la Région Alsace qui tourne immédiatement sa veste…  en échange de la présidence de ce Grand Est, qu’il honnissait tant précédemment. Idem pour Jean Rottner, jadis farouche adversaire du projet. D’autres continueront à demander la sortie du Grand Est, mais sans réelle conviction. Ils n’engageront pas vraiment le combat, ne s’autorisant que des confrontations à fleurets mouchetés pour surtout ne pas blesser Paris. Et un combat non mené ne peut être gagné ! 

Pourtant, cette fois, le peuple alsacien se mure dans le refus. Avec une écrasante majorité, il ne cesse de revendiquer la sortie du Grand Est ainsi qu’un statut particulier pour l’Alsace.  Le 22 juillet 2017, le député de Molsheim (LR), Laurent Furst, lance une nouvelle pétition, « Rendez-nous l’Alsace », en faveur d’un Conseil d’Alsace comprenant les compétences régionales et départementales. En septembre 2017, une centaine d’intellectuels, universitaires, artistes alsaciens appellent à la création « d’une nouvelle région Alsace ». Leur Appel est lancé par quatre associations : Initiative citoyenne alsacienne (ICA), Culture & Bilinguisme, Club Perspectives alsaciennes (CPA) et Avenir Région d’Europe.

Ainsi, le « désir d’Alsace » exprimé par la population et nombre d’élus locaux ne s’éteint pas. Dans un sondage IFOP du 8.2.2018, 83% des Alsaciens déclarent toujours vouloir le retour à la Région Alsace. Le malaise alsacien finira par s’ancrer profondément.

Emanuel Macron : « le retour à la Région Alsace n’est pas négociable » ! 

Le gouvernement ne peut donc rester éternellement sourd aux appels des Alsaciens, d’autant qu’au fil des années ce Grand Est s’avère être un fiasco. En effet, de toutes parts, on se rend compte que cette super-structure technocratique ne fonctionne pas et qu’elle est génératrice de doublons, de gabegies financières et de dépenses frisant le scandale. L’enchevêtrement des compétences des collectivités demeure. A ceci vient s’ajouter une augmentation des indemnités de déplacement[2]! Alors qu’à l’origine, pour justifier la création du Grand Est, on invoquait les économies d’échelle : on parlait alors d’un milliard[3] d’économies !!! De plus, les élus sont handicapés dans leurs travaux par les distances à parcourir du fait de l’éloignement des centres de décision et perdent leur temps sur les tarmacs, les rails ou les autoroutes. 

Paris se devait de bouger. Aussi, le 30 octobre 2017, lors d’un déjeuner républicain à la préfecture de Strasbourg, le Président de la République Emanuel Macron laisse-t-il entendre qu’il serait éventuellement prêt à quelques accommodements… mais à la condition expresse que l’évolution de l’Alsace se fasse au sein de la Région Grand Est : « le retour à la Région Alsace n’est pas négociable » ! Le couperet est tombé. L'idée d'un statut particulier comme celui accordé à la Corse est également rejeté d'emblée. Ce blocage rend évidemment impossible la réparation de l’injustice historique infligée au peuple alsacien par la sinistre loi NOTRe. A nouveau, l’oukase présidentiel interdit tout débat, le président Macron disposant d’une écrasante majorité à l’Assemblée : L’Alsace, réputée riche et considérée traditionnellement par Paris comme une « vache à lait », va devoir continuer à tirer vers le haut les territoires déshérités du Grand Est.  

Après le refus de Macron, des revendications a minima 

Dès lors, les espoirs de voir l’Alsace retrouver les prérogatives d’une Région s’envolent. La renaissance institutionnelle de l’Alsace est bel et bien enterrée ! Mais au lieu de continuer à se battre pour l’émancipation de l’Alsace, la plupart des partisans d’une sortie - à l’exception d’Unser Land qui continue la lutte – reviennent sur leurs engagements et intègrent alors docilement le cadre imposé par Emmanuel Macron : ils défendront dès lors des revendications a minima et se paieront de mots !

Effet d’annonce  

Face au malaise alsacien grandissant et aux divergences locales, en janvier 2018, le Premier ministre charge le préfet du Grand Est, Jean-Luc Marx, de rédiger un rapport sur l’avenir institutionnel de l’Alsace en proposant d’éventuelles « expérimentations législatives et réglementaires ». Faisant suite à cette annonce, en mai 2018, les présidents des Conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry, dévoilent leur projet d’Eurocollectivité d’Alsace, collectivité à statut particulier, qui serait créée par une loi ordinaire et qui serait dotée de compétences spécifiques, dont le tourisme, le bilinguisme et le transfrontalier. Le mois suivant, le préfet Marx rend son rapport à Edouard Philippe. Et c’est solennellement que le 29.1.2018 on annonce la création d’une « Collectivité européenne d’Alsace ». Quelques mois plus tard, à l’issue des « accords de Matignon » du 29.10.2018, on apprend, sans surprise aucune, que la CEA restera ficelée au Grand Est et qu’un statut particulier est exclu. Les Alsaciens partageront-ils l'enthousiasme de la Présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, pour laquelle ce qui a été obtenu est "énorme"? Les compétences et spécificités de la CEA seront définies par la loi.  Le 27.2.2019, la ministre de la cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, présente un projet de loi qui, à ses dires, redonneras une existence institutionnelle à l’Alsace. A ses dires ! 

Et la montagne accoucha d’une souris

Lors des débats sur le projet à l’Assemblée, les élus alsaciens Agir-Modem-LaREM, et quelques autres, font figure de « minables » mariant incompétence et bêtise, incapables de s’entendre et de s’unir pour former un front uni, un Heimatfront, face à Paris. Ils se montrent sans réelles convictions et plus préoccupés par leur carrière politique que par la défense des intérêts du peuple alsacien. Tout juste ont-ils réussi à négocier la possibilité pour les ligues et fédérations sportives, culturelles et professionnelles de s’organiser à l’échelle de l’Alsace.

Après quelques tractations, le mercredi 26 juin 2019, l’Assemblée nationale adopte enfin la loi pour la création de la CEA, qui sera officiellement mise sur les rails le 1er janvier 2021. Au final, le gouvernement ne cède sur rien et la montagne accouche d’une souris. La CEA ne sera pas une collectivité au statut particulier et se réduira à un grand département avec quelques prérogatives en plus. Rien à voir avec les prérogatives d’une Région. Les compétences accordées à la CEA peuvent ainsi se résumer en quelques lignes : 

-       La CEA bénéficiera du transfert des compétences de la part de l’État sur les routes et les autoroutes non concédées. L’Alsace devra ainsi financer la rénovation de réseaux routiers vétustes qui, de plus, seront privés d’investissements jusqu’à l’avènement de la CEA en 2021 ! 

-       La CEA sera dotée de quelques compétences particulières dans les domaines du transfrontalier, du tourisme et du bilinguisme toujours en panne. 

Mais il ne suffit point : l’Alsace aura toujours besoin pour mener ses projets à bien de l’aval du Grand Est et du préfet. Elle restera donc sous tutelle. Lors des débats, la faiblesse des compétences concédées à la CEA permet à la sénatrice (Les Républicains) Agnès Canayer, rapporteur du projet de loi, de dire que la CEA n’est qu’« un département de plus » ! De son côté, le sénateur Les Républicains Philippe Bras pose cette question : « Était-il nécessaire de légiférer pour si peu ? ». Au final, on aura brassé beaucoup d’air pour pas grand-chose. On peut d'ailleurs noter que dans la loi du 2.8.2019 relative aux compétences de la CEA, une compensation financière n'est prévue a l'article 9 que pour les compétences prévues à l'article 6, c'est-à-dire le transfert routier. Ce qui montre bien qu'il s'agit du seul transfert réel.

Lors de la bataille des amendements qui précède le vote du projet de loi, faute de députés alsaciens à la hauteur, ce sont les députés breton Paul Molac et corse Jean-Félix Acquaviva qui montent au créneau pour défendre la sortie du Grand Est, la création d’une Collectivité à statut particulier[4] et l’organisation d’un référendum d’initiative populaire sur le futur de l’Alsace. Ils défendent de même bec et ongles un amendement, toujours rédigé par Unser Land, demandant la reconnaissance du « peuple alsacien »… amendement qui sera vivement combattu par deux députés alsaciens de la macronie Olivier Becht (5e circonscription du Haut-Rhin)  et Vincent Thiébaut (9e circonscription du Bas-Rhin). Ce dernier, visiblement formaté aux dogmes du jacobinisme, se dit " choqué » par cette demande de reconnaissance, la trouvant « extrêmement dangereuse » car elle porte atteinte à l’unité nationale ! Nos deux députés, en niant l’existence d’un peuple alsacien, qu’ils sont pourtant censés représenter, apportent la preuve de leur incapacité à incarner l’Alsace. 

Discours triomphalistes des élus alsaciens : cocus… mais contents !

Et comme nos élus ne peuvent reconnaître avoir été roulés dans la farine, pour masquer leur échec, ils cherchent à transformer des bribes d’avancées en grande victoire historique, affichant partout un triomphalisme indécent : « Le nom « Alsace » est de retour ! », martèlent-ils à longueur d’interviews. Cocus… mais contents ! Cocus comme de fait tous les Alsaciens, victimes du consentement et de la servitude volontaire des grands élus ! Encore plus choquante est la réponse que certains donneront à ceux pointant leur échec : « C’est mieux que rien ! », leur rétorquent-ils. Pour sûr !

 Aussi, le combat pour l’émancipation de l’Alsace et sa renaissance institutionnelle est-il à reprendre… et à amplifier. Une victoire est possible, mais pas avec nos bras cassés de la politique locale, sans charisme, sans carrure, sans courage, sans réel idéal démocratique et surtout sans ambitions pour l’Alsace. Ces politiques sont d’un conservatisme ahurissant et en rupture totale avec le peuple alsacien… certains se gaussant même d’ignorer son existence (Olivier Becht). Ce combat, s’ils veulent le gagner, les Alsaciens doivent le mener unis derrière notre Rot un Wiss.

Mais l’optimiste n’est pas de rigueur quand on lit cette réponse ahurissante de la présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin Brigitte Klinkert[5] à la Secrétaire fédérale d’Unser Land Andrée Munchenbach à propos de la revendication autonomiste : « Il y a deux voies politiques que la responsable politique que je suis combat au nom de mes convictions et de ses valeurs : l’extrémisme et l’autonomisme. Nous avons en effet voulu construire un projet qui permette de reconstruire l’Alsace en dehors de ces deux courants de pensée (…) L’Alsace en laquelle je crois plus que tout est passionnément française et s’épanouit avec ses spécificités reconnues dans le cadre de la République et non dans celui d’une autonomie »[6]. Avec ça, tout est dit. Aucune lueur d’espoir de ce côté-là. A en croire Brigitte Klinkert, la Suisse avec ses autonomies serait donc peuplée de dangereux extrémistes ? Elle ignore visiblement que l’autonomie est considérée dans la plupart des pays européens comme la forme la plus élaborée de la démocratie. Allez, mieux vaut en rire. Mais il faudra s’en souvenir aux prochaines échéances électorales : Weg mit dem Ballast, disait Jean Keppi ! 

Signalons tout de même que Brigitte Klinkert vient d’être décorée, le 9 juillet 2019 à Paris, des insignes d’officier de la Légion d’honneur des mains mêmes du Président Macron… pour service rendu à Marianne probablement. Pour sûr, la Françalsace a encore de beaux jours devant elle. 

Bernard Wittmann – 17.7.2019

(reproduction du texte autorisée avec indication de la source : http://www.wittmann-bernard.com)

 

[1] Le 22.3.2015, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe a confirmé, par un vote quasi unanime de 98.62 % des voix, représentant 46 des 47 États membres, la violation par le gouvernement français de la "Charte européenne de l’autonomie locale" à l'occasion des fusions de régions en raison de l'absence de la consultation préalable des populations (art. 5 de la Charte).

[2] https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-14-juillet-2019?fbclid=IwAR06Grbu_uKIEBfiDQxxl0Ta_dBx8WmaQK1trjwPRHTjNqN_hyLcCfmepEM

[3] Chiffre avancé par Philippe Richert et Jean Rottner !

[4] Lors du débat sur la CEA, le député Jean Lassalle a également clairement défendu l'idée d'une collectivité à statut particulier.

[5] Par un courrier du 19.6.2019, la Secrétaire fédérale d’UL Andrée Munchenbach avait interpellé Brigitte Klinkert suite à une interview donnée par celle-ci au média « La Tribune » dans laquelle elle disait ne pas vouloir laisser la question de la CEA aux « extrémistes » en pointant les autonomistes !

[6] Lettre B. Klinkert à A. Munchenbach du 3.7.2019

 

"Tout le Bas-Rhin" n°115 - janvier 2019 - Le Magazine du Conseil Départemental 67 : Beaucoup de bruit et de belles phrases...pour pas grand chose ! 

UNE AUTRE CATHEDRALE QUI BRÛLE EN ALSACE  

Notre-Dame de Paris gravement endommagée par un incendie ! Toute la France est en deuil. Des séances de prières sont organisées aux abords de l’édifice. Comme à l’unisson les Parisiens pleurent leur cathédrale, ce qui peut se comprendre car on ne peut évidemment qu’être touché par ce désastre architectural frappant un édifice vieux de 800 ans. L’émoi est donc grand. « C’est la mère des cathédrales », s’est écrié l’abbé Grosjean du diocèse de Versailles, non sans exagération ! Cet incendie est un « drame national », une « blessure à notre histoire », un « coup porté au cœur des Français »… entend-on dire à la télé. Et la surenchère continue !! Quant aux chaînes info, comme à leur habitude, elles surfent sur l’émotionnel pour maintenir le saisissement.

Du coup, immédiatement, l’argent pour la reconstruction de la charpente et du toit s’est mis à couler à flot : en deux jours, près d’un milliard récolté (sommes défiscalisables) !!! « Nous rebâtirons Notre-Dame parce que c'est ce que les Français attendent, parce que c'est ce que notre histoire mérite, parce que c'est notre destin profond (…) c'est notre histoire, notre littérature, notre imaginaire, le lieu où nous avons vécu tous nos grands moments », a dit Emmanuel Macron le soir de l’incendie. Et déjà ce matin, il annonce que tout sera reconstruit d’ici 5 ans ! Ouf, toute la France respire à nouveau !! 

Mais en Alsace, il y a une autre cathédrale qui brûle et se consume doucement depuis des décennies, abandonnée à son triste sort par les mêmes qui pleurent aujourd’hui sur Notre-Dame. Celle-ci est privée de pompiers pour éteindre les flammes pour la sauver et se désintègre lentement sous nos yeux dans l’indifférence de nos gouvernants. C’est une cathédrale « immatérielle », une cathédrale de la spiritualité, de l’esprit, de l’histoire et de la culture alsaciennes. C’est une cathédrale deux fois millénaire : il s’agit de notre langue livrée aux flammes par une idéologie politique mortifère qui veut la réduire en cendres. Et cette cathédrale-là, qui nous appartient en propre, celle sur laquelle personne ne pleure, elle ne pourra plus être reconstruite. Sans mobilisation pour la sauver, la perte sera définitive ! Alors, ce matin, j’ai pris la décision d’envoyer un chèque au FILAL ! 

Bernard Wittmann (17.4.2019)

 

APRÈS TURCKHEIM, BIENTÔT BRUMATH ???

Après le monument de la honte de Turckheim, érigé à la gloire du criminel de guerre Turenne sur les lieux d’un de ses crimes, Brumath aura bientôt le sien ! En effet, le 25 décembre dernier, les DNA[1] nous apprenaient que la municipalité de Brumath allait édifier une statue de bronze à la gloire du généralissime romain Julien l’Apostat (331-363), empereur de 361 à 363, que les édiles de la ville voudraient bien honorer du titre de libérateur de Brumath ! La sculpture a été confiée un artiste polonais habitant Ruciane-Nida en Pologne. D’après le quotidien, le coût global de l’érection de la statue et de l’éclairage est évalué à 43 348 € ! Les Gilets jaunes, les contribuables de Brumath ou les défenseurs des classes bilingues ABCM, qui manquent cruellement de financement public, apprécieront ! A croire que le pays ne traverse aucune crise sociale… De plus, le choix du personnage, apostat et chef de guerre brutal « qui ne rêvait que de massacres », n’est pas des plus judicieux, c’est le moins qu’on plus dire. Comme le suggérait le Conseiller J.-M. Delaye, une figure historique comme Spartacus, esclave révolté qui sut se libérer de ses chaines, aurait eu au moins une forte valeur symbolique de liberté. 

Ce qui vaut à Julien l’Apostat cette reconnaissance de la ville, c’est d’avoir, entre 355 et 357, massacré des milliers de paysans alamans alors installés entre Vosges et Rhin, dans ce qu’on appellera l’Alsace. Cette installation a commencé dès la fin du IIIe siècle et s’est intensifiée suite à une donation (350) de l’empereur romain d’Orient Constance II (Constantius), qui, pour s’assurer du concours des Alamans dans sa lutte contre l’usurpateur Magnence (qui venait d’assassiner l’empereur légitime Constant), leur accorda toute la rive gauche du Rhin jusqu’à Mainz y compris l’Alsace. D’après le philosophe et rhéteur grec Libanius (314-393)[2], le roi alaman Chnodomar disait posséder une lettre de Constance II qui en attestait.

Dès lors, les Alamans, profitant d’un repli en Italie des troupes romaines mobilisées dans la lutte opposant Constance II et les usurpateurs Magnence et Décence, s’étaient installés en nombre en Alsace jusqu’à occuper tout le nord du pays. Bientôt, ils occuperont les villes de Seltz, Strasbourg, Saverne, Brumath… et au-delà, toutes les villes rhénanes jusqu’à Mainz. Paysans-pasteurs avant tout, ils se mettent immédiatement à cultiver les terres offertes spontanément par Constance II.

Mais les Alamans, ne résistent pas à la tentation d’agrandir leur nouveau territoire en direction de l’actuelle Moselle… ce qui pousse Constance II à réagir. Dans l’intention d’affronter les rois alamans Gundomar et Vadomar qui ont entrepris de conquérir la Suisse, il pousse avec son armée jusqu’à Kaiser-Augst. Finalement, son équipée se solde par un échec et il se trouve forcé de signer un traité de paix avec eux (354). Inquiet du danger, l’année suivante, Constance II confie à son cousin Julien, gouverneur des Gaules et futur empereur (361 à 363), la mission de chasser les Alamans et de rétablir l’ancienne frontière romaine le long du Rhin (355).

Julien l’Apostat était un personnage cultivé mais brutal et très impopulaire. D’après Ammien Marcellin, il ne « rêvait que de fracas de batailles et massacres de Barbares ».

L’année suivante, depuis la Bourgogne, il se dirige vers le Nord et traverse la Lorraine pour aller reprendre l’Alsace des mains des Alamans. Près de Tarquimpol (Teichenphul) (près de Dieuze en Moselle), ses troupes tomberont dans une embuscade tendue par les Alamans. La bataille se termine par une victoire à l’arraché des légions romaines (356). De là, Julien se précipite sur Brumath, Brocomagus, l’ancienne capitale des Triboques (des "Germains" précise César), occupée par les Alamans. Il y défait une troupe de Germains et massacre de nombreux habitants qui cultivaient pacifiquement les terres alentour[3]. Ammien Marcellin nous raconte cette bataille : « A l’approche de Julien, une troupe de Germains vint à sa rencontre et tenta de lui livrer bataille. Mais lui-même sépara son armée en deux corps, et dès la prise de contact, alors que le combat commençait, les ennemis se retrouvèrent pris entre deux feux. Beaucoup furent pris, les autres massacrés dans l’ardeur du combat, le reste trouva son salut dans la rapidité de la fuite »[4]. Puis, prudent, il se replie sur Saverne qu’il fortifie. 

A la suite de quoi, il reprend sa marche triomphante vers Köln/Cologne où il signe une paix avec les Francs, avant de descendre à Sens pour prendre ses quartiers d’hiver.

En été 357, Julien l’Apostat reprend sa grande offensive contre les Alamans d’Alsace qui tenaient toujours la région et s’apprêtaient à moissonner (preuve d’un établissement ancien). Ses soldats débarquent inopinément dans les îles rhénanes « et massacrèrent indistinctement comme du bétail, hommes et femmes, sans faire aucune différence d’âge », nous dit Ammien Marcellin. Après ce nouveau carnage, il s’en va reconstruire les fortifications du castrum de Saverne. Là, il s’empare des moissons des paysans Alamans et les fait stocker dans la forteresse pour assurer la subsistance de la garnison romaine pour un an. Muni de provisions pour 20 jours, il se dirigea alors vers Strasbourg pour y affronter les Alamans du roi Chnodomar bien décidées à défendre leur terre entre Vosges et Rhin.

Le combat s’est engagé par une chaude journée d’été, le 25 août 357, à l’Ouest de Strasbourg entre les villages actuels d’Ittenheim et d’Oberhausbergen. L’affrontement est d’une extrême violence et se termine par la victoire in extremis, grâce à l’appui des mercenaires bataves, des troupes de Julien. Là encore, 6000 à 8000 guerriers alamans restent sur le carreau. Certains tentent de fuir désespérément vers le Rhin poursuivis par les Romains qui continuent la tuerie en se livrant à un massacre systématique des survivants, de sorte que « d’autres amas de morts, impossible à décompter, sont entrainés dans les eaux du fleuve ». Le philosophe Libanius, rapporte qu’ils assistèrent, « comme au cirque », à l’agonie des guerriers alamans systématiquement abattus lors de leur tentative de gagner à la nage l’autre rive du fleuve : « Le Rhin fut obstrué par ceux qui, ne sachant pas nager, s’y noyèrent. Les îles du fleuve furent remplies de cadavres », écrit-il dans son oraison funèbre à Julien.

Les Romains, jamais rassasiés de sang barbare, continuèrent ainsi le carnage après la bataille : « Aucun légionnaire ne laissa assouvir sa rage par le sang des blessés, ni son bras par des meurtres multipliés ; nul n’eut pitié d’un suppliant et ne lui fit quartier », écrit de son côté Ammien Marcellin. Quant aux rares rescapés de la boucherie, ils seront emmenés en esclavage.

Julien avait rétabli la domination coloniale romaine sur le Rhin ! Une nouvelle fois, l’impérialisme romain avait triomphé… cependant, pas pour longtemps !

Mais Julien l’Apostat est surtout connu pour avoir persécuté les chrétiens dans le but de rétablir le paganisme. D’abord diacre chrétien (arien), en 361, il abjura le christianisme et retourna au paganisme, d’où son nom de Julien-l’Apostat. Ennemi juré des chrétiens, il émit des lois anti-chrétiennes (17.6.362) et fit même exécuter quelques soldats chrétiens qui refusaient de renier leur religion.

Alors, à quand un monument à Haguenau à la gloire de l’incendiaire Labrosse, où à celle de Louvois qui ordonna la destruction totale de la ville en 1677 ? Jusqu’où poussera-t-on cette morbide manie alsacienne d’honorer des officiers et autres « traînes-sabres » qui ont répandu le sang dans notre pays, le sang de nos ancêtres ! Car les Alamans sont bien nos ancêtres, c’est d’eux en tout cas que nous tenons notre germanité !

En effet, malgré sa campagne victorieuse de 357, qu’il poussa en remontant le Main et en imposant de fortes rançons aux souverains alamans, malgré de nouveaux raides au-delà du Rhin en 358 et 359, Julien n’a pas mis fin à la présence alamane en Alsace[5]. Bientôt, les Alamans, dont certains étaient installés bien avant la venue de Julien dans le pays, dès la fin du IIIe siècle et avec l’accord des Romains, reprendront le contrôle politique de la région… où l’on parle largement l’alémanique jusqu’à aujourd’hui. 

Les victoires de Julien l’Apostat furent donc sans lendemain. A quoi bon célébrer le chant du cygne romain sur le Rhin supérieur ? Sauf à inscrire l’empereur romain dans une lutte bimillénaire entre mondes latin et germain pour la possession de l’Alsace et à vouloir en faire un héros annonciateur de la victoire du premier sur le second. On n’ose envisager qu’à l’heure de la coopération transfrontalière et de l’enseignement bilingue, la municipalité de Brumath permette, en toute conscience, la satisfaction de si malsaines visées.

RÉTROPÉDALAGE

Devant les réactions indignées, le choix du sanguinaire généralissime ne faisant pas l’unanimité, placée dans l’embarras, la municipalité choisira finalement de dédier la statue à un obscure mercenaire triboque de l'armée romaine dont on pense qu’il est né à Brumath : Marcus Ulpius Tertius dont la statue fut inaugurée le 21.9.2019. L'auxiliaire germain de Brumath l'aura donc finalement emporté sur le généralissime romain qui " ne rêvait que de fracas de batailles et massacres de Barbares ". Tout est donc bien qui finit bien !

Bernard Wittmann – Historien 22.2.2019

 

[1] DNA du 25.12.2018 – éd. Strasbourg-Campagne – p.29.

[2] Libanius, Eloge funèbre pour Julien, (365), 133.

[3] P. Zind, Brève histoire de l’Alsace, éd. Albatros, Paris, 1977, p.39.

[4] Ammien Marcellin, livre XVI, II ; traduction de J.-J. Hatt.

[5] L’historien Heinrich Büttner écrit : « Nach der Schlacht von 357 blieben die alamanischen Siedler im Elsass ruhig sitzen, mit und neben der noch vorhandenen älteren galloromanischen Bevölkerung, die nicht geflüchtet oder getötet war »  (in Heinrich Büttner, Geschichte des Elsass T.1 Thorbecke, Sigmaringen, 1991, p.39).