Catalogne : le coup de force de Madrid digne d’un Etat totalitaire !

Un des principes fondamentaux des démocraties régulièrement mis en avant par les dirigeants de la plupart des pays de la planète, vient d’être foulé aux pieds par le gouvernement de Madrid. Ce dernier entend s'opposer par la force à l'organisation d'un vote démocratique des Catalans appelés à se prononcer sur leur indépendance.

En effet, "l'autodétermination des peuples" figure toujours à l'ordre du jour des Nations Unies et dans les professions de foi de la plupart des dirigeants européens voire du monde. Et la décision d'un juge invoquée par Madrid pour justifier l'arrestation de 13 membres du gouvernement légal catalan, les innombrables perquisitions à travers toute la Catalogne, la saisie de tout le matériel électoral ainsi que celle de 10 millions de bulletins de vote pour empêcher les Catalans de s'exprimer librement, n'est qu'une couverture hypocrite pour cacher un situation de force. Bruxelles, toujours si prompte à dire la règle démocratique, a le devoir de s'y opposer ! 

Depuis ce mercredi 20 septembre 2017, l'Espagne offre au monde l'image ignominieuse d'un Etat oppressif qui renvoie inévitablement aux heures sombres du franquisme. Après le coup ce force de Madrid digne d’un Etat totalitaire, on peut dire que l'Espagne a cessé d'être une démocratie ! Aussi, soyons solidaires des Catalans qui luttent pour la souveraineté de l’expression référendaire et le droit fondamental à l’autodétermination.

Pour l’histoire, rappelons que le 23 octobre 2016, à Madrid, ce sont les socialistes qui ouvrirent la voie du pouvoir au conservateur Mariano Rajoy, un « jacobin espagnol » bête noire des Catalans ! A présent, ils soutiennent les mesures prises pour empêcher la tenue du référendum. En 1978, alors que sous Franco on avait promis aux Basques la possibilité de créer leur propre Etat, c'est déjà le Parti Socialiste (PSOE) qui s'opposa à l'inscription du droit d'autodétermination dans la Constitution du 27 décembre 1978.

En 2015, en France, ce sont également les socialistes, via le gouvernement Valls, qui décidèrent, sans aucune consultation des Alsaciens, de la fusion-dilution de l’Alsace avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne pour former la méga-Région « Grand-Est » grande comme deux fois la Belgique. Un autre déni de démocratie !  

Bernard Wittmann – 20.9.2017

FLASH BACK SUR UN RÉFÉRENDUM RATÉ :

En 2013, j'ai plaidé en faveur de la "Collectivité unique" (voir mon ouvrage titré : "L'Alsace demain : plaidoyer pour un statut d'autonomie" (éd. Yoran Embanner). Voici ce que j'écrivais alors dans un texte daté du 13.3.2013, c'est-à-dire un mois avant le référendum. J'étais alors plein d'optimisme. Mais les Alsaciens rateront une nouvelle fois le train de l'histoire : ils ne sauront pas se saisir de cette occasion qui s'offrait à eux pour s'ouvrir les voies de la responsabilisation et de l'émancipation. Le résultat fut qu'en 2015, l'Alsace se retrouvait rayée de la carte des régions !! Se rattraperont-ils aux législatives de juin 2017 en votant pour les candidats autonomistes d'Unser Land ? Wait and see ! B.W.

 

UNE OFFRE DE RESPONSABILISATION NE SE REFUSE PAS ! 

Le 7 avril 2013, pour la première fois de leur histoire, les Alsaciens pourront se prononcer sur leur avenir. Une occasion historique leur est offerte pour accéder aux voies émancipatrices de la responsabilisation et réaliser l’unification du pays. De toute façon, à l’avenir, avec une France en déclin et incapable de se réformer, les Alsaciens n’auront d’autre choix que de compter sur eux-mêmes pour s’en sortir !

D’ailleurs, les Alsaciens savent mieux que quiconque ce qui est bon pour eux. Ils sont assez matures pour gérer leurs affaires et certainement pas plus bêtes que les Enarques parisiens. Ils ont même montré qu’ils étaient plus performants qu’eux, le budget régulièrement excédentaire de notre Caisse locale d’Assurance-Maladie en témoigne.  

Pas d’autonomie financière

L’Alsace a toujours été forcée de se plier aux contraintes fixées par l’extérieur et souvent contraires à ses intérêts propres (sabotage du bilinguisme). Ce projet de Conseil unique permettra aux Alsaciens de sortir (un peu) de l’état de sujétion que l’absence d’autonomie financière met le mieux en évidence. Car Paris tient toujours les cordons de la bourse : le budget de la Région découle à 83% de dotations de l’Etat, celui des département à 85%, des dotations se font souvent attendre ! Et pardessus le marché, Paris vient encore de décider de diminuer de 3 milliards d’euros les dotations aux collectivités locales en 2014 et 2015[1]. La France enfreint ainsi ses engagements fixés dans la Charte européenne de l’autonomie locale, signée et ratifiée par elle, qui garantit l’autonomie des collectivités locales et instaure une démocratie de proximité. 

L’Alsace s’essouffle

Il faut en finir avec les dogmes et cette peur panique de la diversité des jacobins. Il faut déverrouiller ce système totalisant, et donc oppressif, véritable étouffoir des Région puisqu’il ne leur laisse aucune marge de manœuvre. Soumise à un tel régime, bridée et ponctionnée de partout, l’Alsace s’essouffle et entre dans un processus régressif. La croissance de son PIB est en-dessous de la moyenne nationale et son taux de progression du chômage est parmi les plus élevés de France (+11,4%[2] contre 10% moyenne nationale). Et son traditionnel bilinguisme, pourvoyeur d’emplois frontaliers, meurt victime d’une épuration linguistique visant à imposer partout le français unique !

Echec du modèle centraliste

D’ailleurs, le modèle centraliste est partout en échec : « avec le centralisme, on a l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités » écrivait déjà Félicité de Lamennais. Pour mesurer son inopérance, il suffit de comparer la situation régressive de l’Alsace soumise au système centralisé et le dynamisme de la région autonome voisine du Bade-Wurtemberg : « Dans toutes les grandes démocratiesle modèle régionaliste est plus efficace que le modèle centralisé pour l’économie et l’innovation » a martelé le PS Alain Rousset, président de l’Association des Régions de France, en janvier 2013 devant ses homologues réunis en assemblée.

Le Conseil unique permettra de libérer les énergies

Le Conseil unique est gage d’économie et permettra de gagner en rationalité et en efficacité, notamment dans la dépense publique. Ses avantages sont évidents :

- un budget unique de près de 2,8 milliards d’euros permettra d’engager des politiques plus ambitieuses et sur le long terme. Il permettra notamment à la Région de piloter le redressement industriel, elle seule ayant la connaissance du terrain ;

- une Alsace unie et parlant d’une seule voix sera évidemment plus forte, notamment pour défendre notre droit local et le Concordat de plus en plus attaqués ;

- dotée des compétences nouvelles qu’autorise le cadre législatif existant, l’Alsace aura la possibilité de  prendre en charge l’enseignement de son histoire et de sa langue. La connaissance de l’allemand permettra de soulager le chômage des jeunes qui pourront à nouveau trouver un travail dans le Land Bade-Wurtemberg qui est demandeur. Elle pourra aussi négocier des accords transfrontaliers avec les Régions du Rhin supérieur.

Evidemment, le Conseil Unique n’est pas la panacée et le projet, même s’il n’est pas parfait, est toujours perfectible ! Il n’est qu’une première étape. Négociées avec Paris, de nouveaux transferts de compétences, avec un financement adéquat, devront suivre. L’aboutissement sera un Parlement d’Alsace !  

Le camp du « non » : une coalition de jacobins

Quant à ceux opposés au projet, leur opposition est généralement purement idéologique et leurs arguments son souvent poussifs : « le texte est flou », « l’objectif est de casser le droit du travail national », « pas de chèque en blanc à un projet opaque » (PCF), « coût du référendum » (A. Fontanel PS)…

Le camp du « non » recrute essentiellement dans les 2 extrêmes de l’échiquier politique :

- à l’extrême gauche : partis du Front de Gauche de J.-L. Mélanchon (Parti de Gauche, Gauche Unitaire, PRCF, PC, POI…) et NPA… rejoints par la CGT ;

- à l’extrême droite : le FN, sa présidente Marine Le Pen s’étant même déclarée favorable à la suppression des Régions[3] ?

Cette curieuse « coalition » jacobine a vu le ralliement de quelques socialistes Bas-Rhinois nostalgiques de la SFIO. Ces derniers sont en opposition avec ministre Arnaud Montebourg qui, lui, encourage le Conseil unique « parce que c’est intelligent »[4] !

« J’aime l’Alsace, je vote non !» est le slogan fétiche des détracteurs du projet. C’est vrai qu’ils aiment tellement l’Alsace… qu’ils préfèrent en voir deux ! Ce qui les unit, c’est l’idéologie jacobine. Ils sont les héritiers des idéologues de la Terreur qui confondaient unité et uniformité et qui avaient une vision unitaire du peuple français quasi ethniciste : « La France, pays de la diversité vaincue !» était leur slogan. Aussi, leurs arguments, destinés à faire peur,  sentent-ils le rance : « Le Conseil unique est une machine à affaiblir la République » (Parti de Gauche) ; « C’est l’explosion de la France » ;  le projet s’attaque aux « fondements de la République : l’unité et l’indivisibilité de la loi » (Parti de Gauche[5]), il va conduire « au détricotage de la France » (FN), etc..

Leurs arguments étaient déjà les mêmes en juin 1924, lors des débats qui précédèrent l’adoption des deux lois conférant un caractère permanent à l’ancienne législation locale : ce « droit local » va faire voler en éclat la « République Une-et-Indivisible » prévenaient-ils déjà ! Or, force est de constater que notre droit local existe depuis près d’un siècle et la France ne s’est pas effondrée (seuls les Nazis le supprimèrent durant l’Occupation) ! L’Alsace n’est d’ailleurs pas la seule Région de France bénéficiant de dispositions particulières, loin de là. À Wallis et Futuna, depuis la fin du XIXe siècle, la « République Une-et-Indivisible » reconnaît même… trois royautés coutumières !

Le débat aura donc à nouveau mis en évidence le clivage entre régionalistes et jacobins. Les premiers, partisans du partage du pouvoir, font confiance en l’homme et le placent au centre de leurs préoccupations. Les seconds, caractérisés par leur « statolâtrie », se méfient de l’homme et veulent le soumettre à un pouvoir central omnipotent.

Les clés du futur

Ce projet de Conseil unique d’Alsace est une offre de responsabilisation. Les Alsaciens, s’ils ont un tant soit peu d’intelligence collective, ne peuvent la rejeter. C’est une chance unique qui nous est offerte pour nous extirper de la sujétion et nous permettre d’affronter, unis, solidaires et forts d’une identité réaffirmée, les grands défis du siècle. D’autant qu’il n’y a pas de plan B ! Le Oui s’impose donc comme une évidence ! 

Bernard Wittmann – Historien

15.3.2013  

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[1] In Figaro du 3.3.2013

[2] L’Alsace compte à présent plus de 88 000 inscrits à Pôle emploi (in Figaro 4.2.2013)

[3] http://www.menscom.com/uploads/files/Sondage_CSA-Menscom_avril-2011_Plus-Menscom-1-referendum.pdf

[4] DNA 11.3.2013

[5] DNA 13.3.2013 p.18

LIVRE À LIRE :

 

« Les 16 Alsaciens qui ont dit OUI à Pétain – Résistants ou collabos ? »

Auteur : Jean-Claude Streicher - Ed. Jérôme Do Benzinger – 4e trim. 2016 – Prix : 25€

 

 

 

Voilà un livre que devraient se procurer tous ceux qui s’intéressent à la vie politique alsacienne d’avant la guerre, à l’occupation nazie et à l’épuration. L’auteur, qui est un historien reconnu, a à son actif de nombreux articles et ouvrages historiques. C’est à lui qu’on doit notamment « Impossible Alsace : histoire des idées autonomistes (1982) », un petit livre courageux, transgressant les tabous et débarrassé des habituelles broderies tricolores. Il contribua à réhabiliter le mouvement autonomiste de l’entre-deux guerres et certains de ses leaders, comme Dahlet ou Rossé, injustement voués aux gémonies après 1945 dans le récit historique officiel.

Son dernier ouvrage, publié aux éditions Jérôme Do Benzinger à la fin de l’année dernière, est remarquable à plus d’un égard : sérieux de l’analyse, abondantes références, solide documentation… et neutralité méritoire. Dans cet esprit,  l’auteur a choisi de ne pas traduire les citations en allemand pour ne pas prendre le risque de les dénaturer. Du travail d’historien !

 

Sur le fond du livre :

Jean-Claude Streicher passe en revue, avec beaucoup de minutie, les parcours politiques des « Seize » parlementaires alsaciens (sur 21), 11 députés et 5 sénateurs, qui votèrent les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940, ainsi que leur engagement politique avant la débâcle et durant l’occupation. Il y ajoute encore le parcours de Robert Schuman, « le plus alsacien des parlementaires mosellans ». 

Au total, on compte 569 parlementaires « ouiistes », dont un certain nombre venu de la gauche, contre 80 « nonistes ». Après la Libération, dans les présentations officielles, les premiers seront vilipendés et présentés comme les « fourriers de la collaboration », des « traîtres à la Démocratie, la République et la Nation », tandis que les seconds seront présentés comme les premiers résistants, « portés au pinacle et sanctifiés ». Une simplification abusive, « un manichéisme réducteur », que démonte parfaitement l’auteur en s’attardant sur l’instrumentalisation qui fut faite de leur vote après la guerre par les nouvelles autorités pour l’insérer dans le mythe résistancialiste.  

Pour bien comprendre le vote des uns et des autres, il faut commencer par contextualiser – le préfacier du livre Jean-Laurent Vonau insiste sur ce point ! Malheureusement cela n’est jamais ou rarement fait. Ensuite, il est important de noter que les positionnements des uns et des autres lors du vote ne déterminèrent pas leur engagement par la suite durant l’occupation : il y eut de grands résistants parmi les premiers et des proches du gouvernement de Vichy parmi les seconds. Ainsi le noniste Isidore Thivrier, député socialiste de l’Allier, accepta-t-il d’abord de siéger au Conseil National avant de se raviser et de finir par rejoindre la Résistance. Il succombera au camp du Struthof le 5.5.1944.

Dès le 21.4.1944, une  ordonnance du gouvernement provisoire d’Alger déclara inéligibles d’office, et en bloc, tous les ouiistes… sauf à être blanchis par le préfet et le Comité départemental de libération pour participation active à la Résistance. Les parlementaires Alsaciens furent du lot !

 

Les motivations des 16 « ouiistes » :

Pour éviter tout jugement hâtif, il faut donc s’interroger sur les motivations  des 16 ouiistes  alsaciens ? Pourquoi les Alsaciens, dont on sait qu’ils étaient plutôt réticents au départ - « la position d’unanimité n’ayant été adoptée qu’après de longues tergiversations », écrit l’auteur -, finirent-ils néanmoins par opter unanimement pour le oui (idem pour les Mosellans), par ailleurs adopté avec une écrasante majorité par l’Assemblée nationale ? L’explication viendra après la guerre : pour eux, il s’agissait de mettre en évidence la solidarité qu’ils éprouvaient avec la nation !!! : « Si leur vote s’était écarté de celui de la majorité, d’aucuns y eussent vu le signe d’un séparatisme de l’Alsace (20) », écrit l’abbé Zemb en 1960 (1). Ce que député UPR de Colmar Edouard Fuchs avait confirmé à la Libération dans une lettre du 16.6.1945 à René Cassin : Par leur vote en faveur du Maréchal, « les parlementaires alsaciens-mosellans voulaient ne pas paraître comme protestataires autonomistes ou partisans d’une opposition anti-française (20) ». C’est donc leur candeur bien alsacienne, doublée d’une étonnante naïveté, qui les amena à se fourvoyer dans l’aventure de Vichy… au nom de leur patriotisme français !! Précisons néanmoins qu’aucun des 16 ne versa ensuite dans une collaboration active.

 

Les blanchiments :

Viendra l’ordonnance du 21.4.1944 qui permettra des blanchiments « à la carte ». Ainsi prendra-t-on soin de réhabiliter en premier lieu les parlementaires alsaciens au patriotisme français éprouvé. Ce qui conduira à éliminer provisoirement, voire définitivement, ceux dont on voulait éviter qu’ils ne reprennent immédiatement la lutte régionaliste d’avant-guerre. Ce sera le cas du sénateur autonomisant de l’UPR Eugène Muller. Les deux autres députés autonomisants de l’UPR, les Nanziger Joseph Rossé et Marcel Sturmel, en prison lors du vote du 10 juillet, seront immédiatement emprisonnés à la libération sous le prétexte de collaboration… Ils étaient pourtant membres du « Groupe de Colmar » impliqué dans l’opération Walkyrie (2).

Ainsi, dès le 2 décembre 1944, réhabilitera-t-on immédiatement les députés Henri Meck et Michel Walter… qui deviendront ensuite les ennemis les plus acharnés des autonomistes. Ils veilleront toujours à empêcher l’émergence au sein du nouveau parti centriste de toute revendication autonomiste : « Je ne veux plus d’autonomistes dans l’UPR », prévient Henri Meck dès janvier 1945 (cf Mémoires de Frère Médard, p.250/251) ! Par la suite, il s’en prendra régulièrement à Camille Dahlet, notamment lors des élections législatives de 1956 auxquelles ce dernier s’était présenté en dépit de ses 72 ans.

Le 14 décembre l’inéligibilité est levée pour le sénateur APNA Jean de Leusse. Un mois plus tard, le 11 janvier 1945, ce sera au tour des UPR Charles Elsaesser et Thomas Seltz, de l’APNA Alfred Oberkirch et du député autonomiste républicain et franc-maçon Camille Dahlet dont l’attitude fut absolument irréprochable pendant toute la guerre.

Le dernier repêché du Bas-Rhin sera le comte Hubert d’Andlau-Hombourg (4.10.1945).

Dans le Haut-Rhin, Joseph Gullung n’est blanchi que le 20.12.1945. L’UPR Joseph Brom, membre du groupe de Colmar, et l’indépendant Paul Jourdain ne peuvent l’être car décédés prématurément.

Au final, seuls trois parlementaires seront expressément et définitivement maintenus à l’écart des urnes : Maurice Burrus (3), le « milliardaire du tabac », car soupçonné de collaboration - probablement aussi parce qu’on cherchait un prétexte pour s’emparer de sa manufacture qui sera d’ailleurs nationalisée en 1947, Joseph Féga, sans doute pour avoir été membre du Conseil National jusqu’en octobre 1942 (4) et Eugène Muller.

 

Le cas du chanoine Muller

Jean-Claude Streicher consacre 38 pages au cas du chanoine Eugène Muller – appelé « de Sprochemeller », en référence à son engagement constant pour la défense de la langue régionale -, une des figures de proue du régionalisme alsacien de l’entre-deux guerres, un personnage attachant, de grande culture et très aimé de la population. Il reprocha toujours au Maréchal sa compromission de Montoire. Réfugié à Vichy durant toute la guerre, il ne cessa d’intervenir auprès du gouvernement de Vichy en faveur de la population alsacienne. Ainsi, il protesta vigoureusement contre l’incorporation de force et intervint à de multiples reprises en faveur des réfugiés alsaciens : son appartement devint « le lieu de ralliement des Alsaciens réfugiés », écrit l’abbé Zemb. De même il s’éleva contre les rafles de juifs et la déportation d’enfants juifs. De retour en Alsace, il défendra jusqu’à sa mort son ami Joseph Rossé, injustement condamné par un tribunal d’épuration, une juridiction d’exception, que Paris refusera toujours de réhabiliter.

Un livre à lire absolument ! 

 

Note : L’histoire des 16 parlementaires « ouiistes » alsaciens permet aussi de mieux cerner, à travers les parcours individuels, certains épisodes du drame vécu par le peuple alsacien durant le dernier conflit. Un drame absolu qui commence avec « l’évacuation-transplantation » de septembre 1939 de près de 430 000 Alsaciens contraints de tout quitter pour un voyage vers un Sud inconnu.

Après la débandade des armées françaises et la fuite des services de l’administration, suit l’annexion de fait par les nazis et surtout l’incorporation de force contre laquelle Vichy ne proteste que très mollement. Elle touche 103 000 Alsaciens et 31 000 Mosellans. 42 500 d’entre eux ne reviendront pas. À ces morts viennent s’ajouter 32 000 blessés dont 10 000 très grièvement et souvent mutilés !! Toutes ces souffrances infligées à une population abandonnée et livrée à l’occupant donne à penser que si la France l’avait alors mieux défendu, le peuple alsacien n’aurait pas eu à subir pendant quatre années un calvaire qui n’eut pas d’équivalent ailleurs dans l’Hexagone. Les polémiques actuelles autour du « mur des noms » de Schirmeck, avec sa liste fleuve de 52 000 victimes alsaciennes et mosellanes du nazisme, n’auraient pas aujourd’hui de raison d’exister !

 

Bernard Wittmann - 28.5.2017

 

(1)  Abbé Joseph Zemb, « Témoin de son temps : le chanoine Muller 1861-1948 », éd. Alsatia-Colmar, 1960, p.140 

(2)  Le député communiste-autonomiste, ancien « Nanziger », Jean-Pierre Mourer avait accepté le poste de Kreisleiter. Il fut arrêté en août 1945 par les troupes américaines. Livré un an plus tard aux Français, ces derniers l’exécuteront le 10.6.1947.

(3)  Affairiste et grand patriote français avant la guerre. Burrus avait fondé et présidait l’« Association des proscrits d’Alsace ». Choyé par les autorités françaises, en janvier 1919, il deviendra administrateur des « Tanneries de France » de Lingolsheim, anc. Lederfabrik Adler & Oppenheimer, un des nombreux biens allemands séquestrés par les autorités françaises et attribués à des affairistes bien en cour.

(4)  Il démissionna du C.N. pour protester contre l’insuffisance d’une protestation du gouvernement de Vichy auprès des autorités allemandes suite à l’annonce, le 25.8.1942, de l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans la Wehrmacht.